Avec THYS EYOUM
L’industrie musicale au Cameroun est un écosystème vibrant, riche en talents, mais qui peine à s’imposer avec la vigueur et la reconnaissance que l’on pourrait attendre, notamment par rapport à ses voisins africains. Si la créativité des artistes camerounais n’est plus à démontrer, les obstacles auxquels ils font face semblent empêcher l’émergence d’une industrie solide, puissante et crédible. À travers une analyse Swot (Forces, Faiblesses, Opportunités, Menaces), nous tenterons de mettre en lumière les enjeux et les perspectives de cette industrie.
Forces
Le Cameroun est un vivier incontestable de talents musicaux. De Manu Dibango à Richard Bona, en passant par Charlotte Dipanda à Kris M et bien d’autres, le pays a offert au monde des artistes d’exception. La créativité, l’authenticité et la diversité des genres (makossa, bikutsi, fusion afro-jazz, etc.) constituent des atouts considérables. La richesse culturelle du pays, avec ses multiples influences ethniques et son histoire coloniale, se reflète dans la pluralité de ses créations artistiques.
Une autre force majeure réside dans la résilience des artistes camerounais. Malgré des infrastructures inadéquates et un manque criant de soutien institutionnel, les artistes continuent de produire des œuvres de qualité, attirant un public national et international. Cette résilience témoigne de l’esprit de détermination et de passion qui caractérise le milieu artistique au Cameroun.
Faiblesses
Malgré ce potentiel artistique indéniable, les faiblesses structurelles de l’industrie musicale camerounaise sont flagrantes. Tout d’abord, le cadre juridique entourant la protection des droits d’auteur reste lacunaire, voire inefficace. Les artistes peinent à vivre de leur art, victimes d’une piraterie omniprésente et d’une absence de régulation stricte du secteur. Les sociétés de gestion des droits sont souvent pointées du doigt pour leur opacité et leur incapacité à garantir une répartition équitable des revenus.
Ensuite, l’industrie musicale au Cameroun souffre d’un manque criant de professionnalisme. Les structures de production, de promotion et de distribution restent embryonnaires, souvent mal organisées et faiblement dotées en ressources. Les artistes doivent ainsi endosser de multiples rôles, allant du management à la production, en passant par la promotion, ce qui dilue leur capacité à se concentrer uniquement sur la création musicale.
La faiblesse des infrastructures constitue également un frein majeur. Les studios d’enregistrement, les plateformes de diffusion et les lieux de spectacles sont rares, mal équipés ou inaccessibles pour de nombreux artistes. En conséquence, le coût de production reste élevé, limitant l’émergence de nouveaux talents et la diffusion de la musique camerounaise à un public plus large.
Opportunités
Dans un monde globalisé où les plateformes numériques redéfinissent les modes de consommation de la musique, les artistes camerounais disposent de nouvelles opportunités pour se faire connaître à l’échelle internationale. YouTube, Spotify, Apple Music et autres services de streaming permettent désormais une diffusion mondiale à moindre coût. Cette fenêtre sur le monde représente une opportunité inédite pour les artistes locaux, leur offrant la possibilité de contourner les obstacles traditionnels de distribution.
De plus, le regain d’intérêt pour les musiques africaines, à l’échelle continentale et internationale, est un levier sur lequel l’industrie musicale camerounaise pourrait s’appuyer. L’essor de l’afrobeats, notamment au Nigeria, montre que la musique africaine peut conquérir les marchés occidentaux, si elle est soutenue par des structures adéquates. Le Cameroun, avec sa diversité musicale et ses talents, pourrait profiter de cette dynamique pour asseoir une présence plus affirmée sur les scènes mondiales.
Enfin, l’émergence d’un public jeune, connecté et avide de consommation culturelle représente une manne pour l’industrie. Cette jeunesse, influencée par les tendances mondiales tout en étant attachée à ses racines, constitue une clientèle potentielle pour la musique locale, à condition que les artistes et les producteurs sachent exploiter cette niche.
Menaces
L’une des principales menaces qui pèsent sur l’industrie musicale camerounaise est la domination croissante des marchés voisins, en particulier celui du Nigeria. Le soft power musical nigérian, incarné par des artistes phares tels que Burna Boy, Wizkid ou Davido, s’impose comme une référence mondiale, éclipsant la scène camerounaise. Cette dynamique crée une pression concurrentielle qui fragilise encore davantage les artistes locaux, déjà confrontés à des difficultés structurelles internes.
La piraterie, sous toutes ses formes, reste un fléau. La facilité avec laquelle les œuvres musicales sont copiées, partagées illégalement et consommées sans rétribution pour leurs créateurs mine encore davantage les revenus des artistes. Ce phénomène, couplé à l’absence d’une législation rigoureuse, représente une menace existentielle pour l’industrie musicale camerounaise.
Enfin, la marginalisation des musiques locales par les médias et les DJ camerounais, souvent obsédés par les productions étrangères, aggrave la situation. Les artistes locaux peinent à obtenir une visibilité nationale, ce qui limite leur capacité à construire un public fidèle et à générer des revenus significatifs.
Une industrie à réinventer
L’affaire “Viviane” m’a poussé à relancer le débat sur l’industrie musicale camerounaise, révélant un profond malaise au sein d’un secteur en quête de reconnaissance et de structuration. Si le potentiel est indéniable, il est urgent que les autorités publiques, les acteurs privés et les artistes eux-mêmes s’unissent pour créer les conditions d’une véritable industrie musicale. Une industrie qui soit à la fois puissante, dynamique, crédible, et qui, à l’instar du Nigeria ou de la Côte d’Ivoire, parvienne à se hisser parmi les références continentales.
Pour cela, il est impératif de réformer en profondeur le cadre juridique, de professionnaliser l’écosystème, de promouvoir la musique camerounaise au-delà des frontières, tout en s’appropriant les opportunités offertes par les plateformes numériques. L’industrie musicale camerounaise, bien qu’à la croisée des chemins, peut encore, si elle fait les choix adéquats, éclore et s’affirmer comme une puissance créative majeure sur la scène africaine et mondiale.
L’éveil de cette industrie est une question de dignité, de fierté et de reconnaissance pour des artistes dont le talent, remarquable et majestueux, ne demande qu’à être propulsé vers les sommets qu’ils méritent.
De THYS EYOUM
Rhéteur