Par Sandra Embollo
Pour Josep Borrell, l’Union européenne (Ue) ne peut prétendre à devenir comme elle y aspire une puissance géopolitique si elle continue à être divisée sur des questions fondamentales de politique étrangère. Il a regretté les divisions sur l’autorisation de frapper la Russie avec les armes fournies par l’Europe tout en estimant que l’autorisation donnée par les États-Unis servirait peut-être de leçon pour les Européens au sujet d’un conflit ukrainien existentiel pour l’avenir même de l’Ue.
En cinq ans de mandat, Josep Borrell, 77 ans, a vécu en première ligne quelques-uns des événements les plus marquants de l’histoire récente, de la guerre en Ukraine, au conflit au Moyen-Orient, en passant par la pandémie de Covid-19. Mais c’est sans conteste l’invasion russe de l’Ukraine, lancée dans la nuit du 24 février 2022, qui a bouleversé son mandat et profondément changé l’approche diplomatique de l’Union européenne.
Fervent soutien de l’Ukraine
Josep Borrell, ancien ministre espagnol des Affaires étrangères avec plus de 40 ans d’expérience politique, a vite compris ce changement d’époque et la nécessité de fournir rapidement des armes aux Ukrainiens, une option considérée comme tabou par plusieurs États membres.
Ses services lui ont d’abord proposé une aide de 50 millions d’euros en faveur de l’Ukraine. « J’ai dit, mais vous êtes fous, est-ce que vous savez de quoi on parle ? Il s’agit d’une guerre ! Ajoutez un zéro à votre chiffre », raconte-t-il. « Cela a été un vrai bouleversement dans notre façon de nous comporter », a-t-il ajouté. Depuis lors, l’UE a dépensé plus de 120 milliards d’euros pour aider l’Ukraine et frapper la Russie avec pas moins de quatorze « paquets » de sanctions destinés à entraver au maximum son effort de guerre, malgré l’opposition de certains pays comme la Hongrie.
Le Haut représentant pour la politique étrangère regrette aussi de n’avoir pas réussi à peser pour que les Vingt-Sept rompent les relations avec Israël au vu des violations du droit international humanitaire. Josep Borrell a souvent fait figure d’exception en dénonçant avec force ce qu’il considère comme les excès d’Israël, dans des messages de plus en plus désespérés sur les réseaux sociaux. Selon lui, cette impuissance a nui à la réputation de l’UE sur la scène internationale.
« L’histoire nous jugera tous »
« Ma plus grande frustration est de ne pas avoir été capable de faire comprendre qu’une violation du droit international est une violation du droit international, quel qu’en soit l’auteur », explique-t-il. « L’histoire nous jugera tous, n’est-ce pas ? Nous tous. J’ai fait ce que je pensais devoir faire. Mais le Haut représentant fait des propositions. Les États membres ne sont pas tenus de les approuver. Et dans ce cas, ils ne les ont pas approuvées. La plupart d’entre eux ont estimé qu’il était nécessaire de poursuivre les contacts diplomatiques avec Israël », a-t-il regretté.
Le diplomate espagnol a souvent fait grincer des dents dans les capitales européennes en allant bien au-delà de ce qui avait été décidé au préalable. « On doit briser les tabous », explique-t-il. « Les éléments de langage sur lesquels on se met d’accord ne disent rien la plupart du temps. On se met d’accord pour ne rien dire ».
Josep Borrell ne peut que constater les limites de sa fonction, mais il se dit certain que Kaja Kallas assurera la relève face à tous les conflits auxquels l’Europe doit de plus faire face, à un rythme qui, selon lui, s’accélère. Mais il rappelle que lorsqu’il a pris ses fonctions il y a cinq ans, les Européens affirmaient déjà qu’il leur fallait prendre leur destin en main.