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Afrique centrale > Sérails: Ambitions présidentielles muettes, alternances interdites

A l’observation du fonctionnement des régimes en Afrique centrale, le code prégnant est l’omerta qui tient les acteurs autour des présidents de la République sur toute prétention de prendre la relève au sommet de l’Etat. La Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Cemac) au scanner.

Par panorama papers
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Par Léopold DASSI NDJIJDOU

Pourquoi en Afrique centrale, les hommes politiques rechignent-ils tant à affirmer ou à afficher leurs ambitions politiques ? Si l’opposition dans l’ensemble joue le jeu, déterminée d’évincer le chef de l’Etat du perchoir et le fait savoir, il en va autrement des hommes et des femmes qui gravitent autour du pouvoir. S’ils sont tous bien entendu intéressés par le pouvoir, aucun n’oserait avoir assez de cran pour affronter le chef de l’Etat à une élection présidentielle. Qu’est-ce qui explique que des hommes et des femmes politiques qui ne sont pas toujours en phase avec le leadership ambiant, s’accommodent avec concupiscence à toutes les dérives qui vont à l’encontre de leurs convictions ou de leur philosophie de vie ? Tout se passe exactement comme si plus un homme politique expérimente l’ascension vers les sommets de la pyramide, moins ses ambitions de pouvoir sont vives ou s’expriment. C’est exactement comme si ceux qui accèdent aux plus hautes fonctions de l’Etat ont été émasculés de leur capacité à ambitionner de prendre les rênes du pouvoir un jour. C’est une piste qui peut expliquer la longévité exceptionnelle au pouvoir dans cette partie du monde. Obiang Nguema est par exemple aux affaires depuis 1979 tout comme Paul Biya depuis 1982. De Ndjamena à Yaoundé, de Bangui à Malabo, de Brazzaville à Libreville, c’est la même structuration conservatrice du pouvoir. Si ailleurs à travers l’Afrique, chaque homme d’Etat redoute son entourage direct, en Afrique centrale, c’est plutôt hors du sérail que les chefs d’Etat mettent en avant l’artillerie la plus lourde de conservation du pouvoir, rassurés qu’au sein du sérail, la fidélisation de tout le régime plus à leurs personnes qu’aux institutions est un acquis. Quelques faits politiques révélateurs à travers la Cemac.
1. Le président de l’Assemblée nationale du Tchad refuse d’assumer l’intérim présidentiel au profit du fils du chef de l’Etat.
Annoncé décédé le 20 avril 2021 par le Conseil militaire de transition (Cmt), l’opinion s’attendait de toute évidence que le président de l’Assemblée nationale prenne ses responsabilités constitutionnelles. Même si le Cmt avait au préalable suspendu la Constitution, dissout le gouvernement et l’Assemblée nationale, l’opinion ne se doutait un seul instant que le président de l’Assemblée nationale allait assurer l’intérim. Sauf que dans la foulée de cette annonce, on apprenait de Jean Yves le Drian, le patron du Quai d’Orsay, qu’Haroun Kabadi avait décliné l’offre d’assurer la transition. Il avait, apprenait-on, évoqué son âge avancé et surtout la complexité de la situation sécuritaire pour demander aux militaires de combler la vacance du pouvoir. Bien sûr, avoue-t-on à Ndjamena, que c’est devant cet imbroglio que les militaires conduits par Mahamat Idriss Deby ont pris la relève. Cette situation était peu surprenante, car au Tchad comme en Afrique centrale, règne un biotope politique où avoir l’ambition de remplacer le président de la République est perçu comme un crime de lèse-majesté. C’est donc, égal à lui-même qu’Haroun Kabadi s’est désisté. Au propre comme au figuré, il ne s’était jamais imaginé comme un challenger d’Idriss Deby Itno ou comme un président de la République. Il se prenait tout juste comme un instrument, un pion, un serviteur de l’Etat incarné par le président de la République. Qu’on se souvienne de ce qui se passa au Togo à la mort de Gnassingbé Eyadema. Le président de l’Assemblée nationale qui devait assurer la transition, avait été maintenu à l’étranger avec la fermeture des frontières. Face à la contestation de la communauté internationale, Faure Gnassingbé par ailleurs ministre des Travaux publics, des mines et des télécommunications, sera élu précipitamment président de l’Assemblée nationale en remplacement de Fambane Ouattara Natchaba, isolé à l’extérieur du pays. Ce dernier d’ailleurs se battait en vain pour renter assumer ses nouvelles responsabilités constitutionnelles. Quel contraste avec ce qui s’est passé au Tchad ou bien qui s’est passé au Gabon où assumer même l’intérim présidentiel avait été perçu comme une offense, dirait-on, par celle à qui revenait le poste. Au Gabon, à la mort du président Omar Bongo Ondimba en 2009, c’est avec beaucoup de réticences que la présidente du Sénat, continuellement désignée comme devant assurer la transition, consentit à s’asseoir sur le fauteuil d’Omar Bongo au Bord de mer. Rosine Francine Rogombé, une fois installée, ne manquait pas de rappeler aux acteurs politiques qu’elle ne prolongera pas d’un seul jour son bail au palais de la Rénovation, pour se retirer dans son Lambaréné natal. A l’issue de l’élection présidentielle qu’elle organisa, c’est Ali Bongo Ondimba qui remporta dans les conditions qui sont connues. La leçon qu’on retient de cet épisode de la vie politique gabonaise, est l’affirmation d’Ali Bongo d’avoir été préparé depuis des années par son père pour assurer la relève. Il y consacrait du temps, confie-t-il, et l’envoyait vers sas pairs africains pour recevoir des conseils.
2. Le triste sort d’André Mba Aubame après son audace de contester le pouvoir d’Ali Bongo Ondimaba
A la mort d’Omar Bongo Ondimba, personne et alors personne au grand jamais n’avait imaginé qu’il y aurait une lutte acharnée pour la succession entre les deux fils et amis du défunt président de la République : Ali Bongo Ondimba (Abo) et André Mba Obame (Amo). Dans toute la place librevilloise, ils étaient plus que des frères et dès qu’on voyait l’un, on savait d’office que l’autre était dans les parages. Le premier était le ministre de la Défense et par ailleurs vice-président du Parti démocratique gabonais (Pdg) alors que le second était ministre de l’Intérieur, la boîte noire du régime. A l’élection présidentielle très controversée entre Abo (41,7%), Amo (25,3%) et Pierre Mamboudou (25,6%), le Gabon était à jamais déchiré. Au sein du sérail, pour beaucoup, le coupable désigné était Amo qui avait eu l’outrecuidance de combattre sans retenue son frère Abo. Jusqu’aujourd’hui au Gabon, la communauté Fang, la plus nombreuse du pays dont est issue Amo, croit dur comme fer que sa victoire avait été volée. Le natif de Medouneu dans le Woleu-Ntem, s’il repose aujourd’hui pour l’éternité chez lui, beaucoup d’observateurs pensent que s’il n’en avait pas été ainsi, soit Abo serait aujourd’hui viré du pouvoir soit le Gabon serait entré dans une instabilité chronique. C’était les deux protégés d’Omar Bongo Ondimba, sur qui il avait visiblement tout misé. Ce sort étrange d’Amo enseigne à suffisance qu’il est visiblement interdit en Afrique centrale de faire partie du sérail et de contester le pouvoir de celui qui tient les manettes. Toujours au Gabon aujourd’hui, alors que Abo est sérieusement handicapé physiquement, il va de soi qu’au sein du sérail, il est déjà acquis qu’il est impossible que le moindre doigt se lève, que le moindre mot soit murmuré pour questionner une telle situation. C’est une donne qui gagne toute la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Cemac), où les chefs de l’Etat ne quittent que rarement le pouvoir à la suite des élections en dehors des épisodes congolais où Lissouba avait pris le dessus sur Denis-Sassou Nguesso ou en Rca avec les arrivées d’Ange Félix Patassé ou d’Archange Touadera au pouvoir. C’est dire combien les sérails politiques en Afrique Cemac sont complexes, où tous les pouvoirs et institutions doivent allégeance à un seul homme. Se lever de ce fait de ce milieu pour contester le pouvoir du chef est très mal perçu et combattu par toutes les créatures du président. Le président de la République est respecté à la dimension des dieux. Lui, l’alpha et l’oméga de tout le système politique. Tout commence avec lui et finit avec lui. On ne combat pas un dieu sans coup férir. L’exemple de d’Amo est de ce fait illustratif. Les pouvoirs en Afrique centrale ne s’accommodent pas qu’on soit en son sein pour y combattre son chef. C’est un affront inacceptable pour l’establishment communautaire (Cemac).
Le chef ne quitte pas le pouvoir en Afrique centrale

En zone Cemac, il est difficile d’envisager les hommes politiques construits de toutes pièces par le chef de l’Etat à travers des décrets et autres faveurs, s’opposer de quelque manière à l’action de leur créateur au sommet de l’Etat. C’est considéré comme une ingratitude et une offense intolérables. C’est ainsi que vont les choses. Plus encore, cette partie du continent est la seule où tous les chefs d’Etat sont régulièrement accusés de l’intention de céder leur fauteuil présidentiel à leur progéniture une fois qu’ils auraient engagé le chemin vers l’éternité. De ce fait, si Ali Bongo Ondimaba a succédé à Omar Bongo Ondimba et Mahamat Idriss Deby s’est emparé du pouvoir après son père, les bruits sourdent de toutes parts qu’Ali Bongo Ondimba fait déjà la place à son fils Noureddine, tout comme on accuse Paul Biya de le faire à Franck, ou même Dénis Sasssou-Nguesso qui aurait déjà un de ses fils dans le pipe. C’est la seule partie du monde où on entend de tels faits et la population n’est en rien émue ou concernée. Dans cette foulée, le pouvoir équatoguinéen est l’exemple achevé de dévolution dynastique de pouvoir dans l’environnement Cemac. Le fils de l’actuel président de la République est bien parti pour succéder à son père en cas de quelconque couac. Il est le vice-président de la République et par-dessus tout, le vice-président du Parti démocratique de Guinée Equatoriale (Pdge). Il est, pour ainsi dire, le numéro deux du régime. Au sein du régime, il est déjà bien compris que c’est Théodorine qui prendra la relève après le départ d’Obiang Nguema. A côté de cette situation, il suffit tout juste que le chef de l’Etat fasse savoir ce qu’il attend de ses créatures et il en sera ainsi. Le président français Jacques Chirac ne croyait pas si bien dire que la démocratie est un luxe pour l’Afrique. Mais de quelle Afrique parlait-t-il si ce n’est l’Afrique centrale ? Le président gabonais Omar Bongo, disait souvent sous forme de boutade pour railler ses ministres mais avec une pleine lucidité, qu’il fait d’un ministre un chien et d’un chien un ministre. Cette affirmation n’est pas très éloignée des confidences attribuées à Paul Biya par un de ses proches collaborateurs qui laissaient entendre que sur la flopée des ministres du gouvernement, il n’y avait en réalité que quelques ministres qui pouvaient se compter sur le bout des doigts, les autres étant là pour faire valoir. De ce fait, telle que le pouvoir dirigeant est structuré en Afrique centrale, il semble une impossibilité de voir un acteur politique émaner de l’intérieur et rafler le pouvoir à une élection présidentielle. Pour challenger Ali Bongo de manière conséquente et sérieuse, il a fallu que Jean Ping ne soit plus dans la matrice du pouvoir. De même, Maurice Kamto n’a pu se tailler une réputation que parce qu’il n’était plus au gouvernement. Il est dès lors difficile d’envisager qu’on peut être dans la matrice du pouvoir et prétendre à la place du chef comme on le voit en France. Emmanuel Macron a été président de la République en se démarquant de François Hollande. Nicolas Sarkozy est entré à l’Elysée parce qu’il a pris ses distances vis-à-vis de Jacques-Chirac. Cela ne peut se faire Afrique en centrale, car ceux qui ont osé se sont retrouvés dans des situations très pénibles, entre une longue prison et la mort. Si on considère ce qui a court en Afrique de l’Ouest à l’exemple du Sénégal, on observera que Macky Sall, l’actuel chef d’Etat a dû s’émanciper d’Abdoulaye Wade qui voulait confier les rênes du pouvoir à son fils Karim. Toute la classe politique et la société civile ruinèrent sans projet, mettant un terme au régime Wade. Une telle ouverture n’est pas encore possible en zone Cemac, où les acteurs politiques selon la tradition bantou, sont convaincus qu’on ne conteste ni le chef, ni son pouvoir sans conséquences y relatives.

De ce point de vue, le président ivoirien, Félix Houphouët Boigny, disait déjà en son temps qu’un chef ne voit pas son successeur. Lui le chef de l’Etat se voyait en chef traditionnel de la République de Côte-d’Ivoire. Il en fut presqu’ainsi car c’est à sa mort que Konan Bedié prit les reines du pouvoir. En Afrique centrale, comme on peut le constater, le chef ne quitte pas le pouvoir, tous les membres du sérail sont formatés dans ce registre, et ouvrent pour la consolidation de l’ordre établi et régnant. Toute la créature du président est sans cesse au biberon de la fidélité présidentielle, dans un contexte où la démocratie est un véritable luxe.

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