Par Sandra Embollo
Début février, la police allemande a arrêté neuf personnes aux Pays-Bas, suspectées d’avoir commis au moins 50 attaques en Bavière et dans le Bade-Wurtemberg depuis novembre 2021, pour un butin très conséquent de 5,2 millions d’euros. Ces neuf suspects sont de nationalité néerlandaise, marocaine, turque et roumaine – sans que la police n’incrimine telle ou telle mafia, tant elles sont nombreuses à opérer aux Pays-Bas, plaque tournante du trafic de drogue et de la prostitution.
Les attaques des distributeurs de billets se sont d’abord répandues dans les années 2000 par des installations de malware, par des gangs surtout issus d’Europe de l’Est (Roumanie, Pologne, Russie), permettant d’opérer des fraudes à la carte bleue à partir des guichets « infectés » par ces logiciels malveillants.
Lorsque les banques ont renforcé leur sécurité, le recours à des techniques d’air comprimé, puis aux explosifs a commencé. D’autres mesures ont donc été prises: à Amsterdam, malgré les flux touristiques constants, les guichets automatiques ferment entre 23 h et 6 h et ne restent ouverts la nuit qu’à proximité de night shops, les épiceries de nuit, des lieux de passage. Les premiers à s’en désoler, indique la presse néerlandaise, sont les… dealers de drogue. En 2021, pas moins de 880 guichets ont été fermés par les banques, laissant les Pays-Bas avec un total de 4 916 distributeurs pour 17 millions d’habitants. Soit un tiers de moins qu’en 2019.
Conséquence inattendue de ces mesures : les attaques se multiplient depuis 2015 en Allemagne, surtout dans les régions frontalières, où les banques n’ont pas été aussi promptes à réagir et à s’adapter. Europol a dénombré 200 attaques dans le Land Rhénanie-du-Nord-Westphalie entre octobre 2015 et avril 2018. Leur rythme s’accélère, sur des régions de plus en plus vastes, qui vont jusqu’à la Bavière.
Pas moins de 494 distributeurs ont été détruits et dévalisés en 2022 en Allemagne, et 50 au cours du seul mois de janvier 2023. Une part de 80 % de ces délits est imputée à des criminels néerlandais – de jeunes hommes dans la vingtaine, ayant parfois des origines turque ou marocaine, comme l’indiquent les communiqués d’Europol, qui refuse de livrer plus de détails « pour éviter que les criminels connaissent les informations dont nous disposons », précise une porte-parole.
Un gang basé en Belgique a été démantelé, après avoir réussi à voler plus de 1,6 million d’euros. Un autre groupe de neuf personnes a été arrêté en septembre 2021 aux Pays-Bas, après 18 mois d’enquête des polices allemande et néerlandaise qui ont permis de faire le lien entre les suspects et les explosions de quinze machines en Allemagne, qui ont livré 2,15 millions d’euros.
Certaines machines sont littéralement pulvérisées, en même temps que tout l’argent qu’elles contiennent. La situation est si sérieuse qu’Europol enquête depuis 2019 en association avec la police belge, néerlandaise et allemande, et s’inquiète de la menace de ce type de criminalité à l’échelle de l’Europe.
Pour l’instant, les explosifs utilisés sont « faits maison », mais la police redoute que les criminels ne mettent la main sur du Semtex utilisé à des fins militaires, ce qui rendrait la situation très dangereuse. Elle l’est déjà, d’ailleurs, pour les voleurs eux-mêmes, comme l’ont révélé les policiers lors du coup de filet opéré en septembre 2021.
Le gang filmait des « tutos » sur la meilleure manière de faire exploser un distributeur. Il a perdu un de ses membres à Utrecht, en septembre 2020, dans un centre d’entraînement illégal qui n’hésitait pas à commander des distributeurs tout neufs en Allemagne – ce qui a alerté la police dans la localité d’Osnabrück – pour s’exercer à les faire sauter. Un jeune de 29 ans est mort en manipulant des explosifs lors du tournage d’une vidéo, tandis que l’un de ses complices, 24 ans, a été grièvement blessé.
Une autre opération d’Europol, dénommée « Pfeil/Pentagon », a permis d’arrêter six autres suspects entre mars et mai 2022 dans les villes de Haarlem et Vianen aux Pays-Bas. L’enquête a été menée par le bureau du procureur général de Francfort, après des vols ayant permis de subtiliser 958 000 euros entre octobre et novembre 2021 en Allemagne. Le mode opératoire des criminels est bien rôdé : arriver sur les lieux à bord d’une voiture volée aux premières heures du matin, faire exploser un distributeur, s’emparer de l’argent et repartir illico.
La « délocalisation » des attaques en Allemagne n’empêche pas les gangs de rester actifs aux Pays-Bas. En février dernier, les habitants d’un village de la Drenthe ont été réveillés à 4 h 30 par le bruit d’une explosion, qui a détruit leur seul et unique guichet automatique. Les témoins ont vu quatre hommes s’enfuir en voiture… Sans qu’on sache quels liens ils entretiennent avec quel groupe de crime organisé, ni à quoi sert tout cet argent.