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Calixthe Beyala: « Noirs ou Blancs, les extrémistes partagent la même vision raciste »

Par panorama papers
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Avec Jeune Afrique

Août 2020. Arme au poing, des hommes en uniforme encerclent Calixthe Beyala alors qu’elle visite son chantier de construction, sur les hauteurs du Mont-Fébé, à Yaoundé. Ils sont envoyés par Bonaventure Mvondo Assam, ancien député et homme d’affaires camerounais. Leur objectif : empêcher l’écrivaine de poursuivre les travaux qu’elle a entrepris sur un terrain au cœur d’un litige foncier. Au début de 2020, Beyala avait acheté un titre foncier portant sur cette parcelle de 950 m2 pour y construire la Maison des écrivains. Problème : Bonaventure Mvondo Assam avait, lui, acquis une parcelle de 7 000 m2 incluant le dit-terrain.

Alerté, le colonel Emile Bamkoui, directeur de la Sécurité militaire (Semil), dépêche des gendarmes pour protéger Calixthe Beyala. L’écrivaine dit aujourd’hui s’en être sortie « avec des blessures ». Depuis, elle a multiplié les démarches administratives auprès de hauts responsables, parmi lesquels Henri Eyebe Ayissi, le ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf). Elle a également saisi la justice camerounaise, puis le procureur de la République du tribunal judiciaire de Paris, accusant Bonaventure Mvondo Assam de « corruption, dégradation de bien et menaces ».

« J’ai écrit à Paul Biya »

Quatre ans plus tard, le dossier n’a pas bougé d’un iota. Ni en France ni au Cameroun. « J’ai écrit à Paul Biya, il ne m’a pas répondu. Je suis déterminée à récupérer mon terrain pour y construire la Maison des écrivains, un lieu où les auteurs pourront travailler sereinement », s’insurge Calixthe Beyala. Ce litige, assure-t-elle, lui a ouvert les yeux sur « l’ampleur des injustices que les Camerounais subissent quotidiennement ». « Si on peut me faire ça, à moi, imaginez ce que l’on peut faire au Camerounais lambda ! »

Deux cas récents ont attisé la colère de la romancière contre ce système politico-judiciaire qu’elle voue aux gémonies chaque jour dans ses nombreux messages sur les réseaux sociaux. D’abord, Steeve Akam, alias Ramon Cotta, un militant qui critiquait les autorités camerounaises depuis le Gabon, a été arrêté dans ce pays, enchaîné, puis extradé vers le Cameroun.

Ensuite, Junior Ngombe, un coiffeur de 23 ans, qui, sur les réseaux sociaux, dénonçait, comme beaucoup, le « verrouillage de l’espace public » symbolisé par l’arrestation de Ramon Cotta. Le 24 juillet 2024, il a, à son tour, été arrêté à Douala, puis transféré dans une cellule du Secrétariat d’État à la défense (SED), à Yaoundé.

Ce sont là « deux bavures de trop », tempête Beyala. Si Junior Ngombe n’est pas libéré, « je risque de prendre la parole pendant ces Jeux [olympiques], et ce sera une mauvaise chose pour le Cameroun. C’est honteux », mettait-elle en garde lors d’un rapide échange en off avec Jeune Afrique. Mais, avant de « passer à l’action », elle précisait vouloir d’abord tenter de plaider la cause du jeune militant auprès des services de la présidence de la République. Le lendemain, 31 juillet, Junior Ngombe était remis en liberté provisoire.

Le résultat des pressions des acteurs de la société civile et des internautes ? Ou de la magnanimité des autorités, comme le clament certains proches du pouvoir ? Si Calixthe Belaya n’a pas la réponse, elle n’en juge pas moins que le climat est particulièrement délétère. Elle évoque également l’arrêté très controversé qu’a pris, le 16 juillet, Emmanuel Mariel Djikdent, préfet du Mfoundi, qui menace d’interdire de séjour dans son département quiconque se rendrait coupable de « troubles à l’ordre public ».

« Quand on met tout cela bout à bout, on frissonne d’horreur », glisse-t-elle dans un souffle inquiet. Faut-il y voir les signes de la lutte des clans qui se joue dans les cercles du pouvoir ?

« Aucun de ces clans ne veut défendre l’intérêt du peuple, déplore-t-elle. Je ne pense même pas qu’il y ait une guerre des clans. C’est plutôt une guerre d’intérêts, au sein de la classe politique qui détient le pouvoir. L’élite bourgeoise s’est liguée contre le bas peuple. Si l’on devait parler de clans, il n’y en aurait en fait que deux : d’un côté, celui des misérables, et, de l’autre, celui des pillards, prêts à préserver leurs intérêts à tout prix. »

L’autrice en veut pour preuve la kyrielle de scandales qui se succèdent à un rythme soutenu : « Cangate », « Covidgate », « Glencoregate », « Savannahgate »…

« Aucun des responsables n’a été inquiété, malgré les enquêtes annoncées en grande pompe. Certains ont même été décorés. Cela montre qu’ils se neutralisent entre eux, et que, dans le même temps, ils se coalisent contre un peuple qu’ils narguent »,

accuse-t-elle.

Le portrait qu’elle dresse de son pays fait froid dans le dos. Elle accuse le « capitalisme sauvage, instauré par le régime », d’avoir « semé le chaos et détruit l’âme des Camerounais ». « Les privatisations abusives ont dévasté les entreprises publiques et parapubliques. Et, sans argent, on ne survit pas. Chacun se débrouille, construit n’importe quoi, n’importe où. Les puissants arrachent aux pauvres leurs terres, les hôpitaux sont devenus des mouroirs, les routes des cimetières, les écoles sont dévastées », énumère-t-elle avec véhémence.

« Autrefois, Paul Biya se vantait d’un Cameroun où régnait la paix. Mais, aujourd’hui, le pays est durement éprouvé par la guerre dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où les résolutions du Grand dialogue national ne sont pas appliquées. Et, pendant ce temps, Boko Haram, bien que partiellement vaincu par la bravoure de notre vaillante armée, continue de sévir [dans le Nord et l’Extrême-Nord]. »

Sarkozy, Kadhafi et elle

« Ce n’est pas une fatalité », rebondit-elle aussitôt, comme pour se convaincre elle-même. Elle évoque, pêle-mêle, « une action coordonnée des forces de gauche », juge que l’opposition est condamnée à s’unir si elle veut espérer un jour proposer une « alternative crédible ».

« Pour cela, il faut surmonter les égoïsmes individuels et la tribalisation de l’espace public et politique, estime cette chevalière de la Légion d’honneur française. Mais même ceux qui savent qu’ils vont perdre continuent de se présenter. Ils refusent d’envisager que quelqu’un issu d’une autre région que la leur puisse un jour devenir président. C’est le drame camerounais. »

Un « mal » qu’elle affirme observer, aussi, dans de nombreux autres pays du continent. Pendant des années, Calixthe Beyala a collaboré avec plusieurs dirigeants africains, dont Mouammar Kadhafi. Elle conserve, aujourd’hui encore, un attachement particulier pour le défunt « Guide », qui affichait sa volonté de voir naître des États-Unis d’Afrique.

En 2011, quand Nicolas Sarkozy, alors président, pousse à une intervention militaire en Libye contre Kadhafi, elle est en première ligne pour défendre son héros.

« Je me suis battue pour dénoncer la France. J’ai critiqué Sarkozy, organisé le Mouvement des Africains-Français pour le faire partir. »

Très vite, se souvient-elle, ses prises de position lui valent de se voir coller l’étiquette de chantre de l’anti-France.

« Nous n’avons jamais dit que les Français étaient mauvais, méchants. Nous disions que la France ne pouvait pas intervenir en Afrique, y tuer des gens et exploiter ses ressources en toute impunité. Ce que nous dénoncions, c’était la politique étrangère de la France en Afrique. »

Aujourd’hui encore, elle voue une inimitié tenace à Nicolas Sarkozy, qui sera jugé en 2025 dans l’affaire du financement libyen. Lorsqu’elle a appris qu’il comptait se rendre au Cameroun prochainement – un déplacement qui suscite un certain engouement dans le pays –, l’écrivaine a serré les dents.

« Que peut apporter Sarkozy, sinon le malheur ? Il défend des entreprises françaises, c’est son droit. Mais partout où il passe, la mort n’est pas loin »,

assène l’autrice des Honneurs perdus, qui lui a valu le Grand prix du roman de l’Académie française en 1996.

« Moi, je le connais. Nous avons mangé à la même table, participé à des conférences ensemble. Si j’avais voulu, j’aurais pu être la première femme ministre de Sarkozy. J’ai refusé, tout simplement parce que j’avais perçu en lui quelque chose qui, en tant que militante, me dérangeait profondément par rapport à notre peuple. »

Panafricanisme ou afrocentrisme ?

Panafricaniste revendiquée, Calixthe Beyala déplore aujourd’hui que le concept soit « dénaturé par ceux qui prônent un panafricanisme de la haine et de la confrontation ». À ceux-là, elle rappelle que « pana » signifie, à l’origine, « revenir du monde entier ». Le panafricanisme « vise l’indépendance totale du continent africain » et « encourage la solidarité entre les Africains et les personnes d’ascendance africaine, où qu’elles soient, indépendamment de leurs origines ethniques, de leur appartenance religieuse ou leur apparence physique. » Elle ne manque pas aussi de rappeler, dans un sourire, que « le panafricanisme est né à Londres, et non en Afrique », et qu’il a été « initié par des afrodescendants et par des Africains qui ont transcendé les questions raciales ».

« J’ai l’impression qu’on confond panafricanisme et afrocentrisme, ce qui n’est pas la même chose, insiste-t-elle. Et si on lie le panafricanisme à la race, alors que deviennent nos enfants américains, guyanais, français… ? C’est une vision raciste. »

Elle n’hésite d’ailleurs pas à établir un lien direct entre ces afrocentristes et les populistes, nationalistes et autres tenants de l’extrême droite qui, presque partout dans le monde, ont le vent en poupe.

« Les extrémistes noirs et les extrémistes blancs partagent une même vision : celle d’une séparation radicale, où chacun reste dans son camp. Marine Le Pen ne dirait pas non à ce type de panafricanisme. Je ne me reconnais pas dans ce mouvement fondé sur la haine. »

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