Avec Boniface Pascal Mbeng Enama
Monsieur le Ministre,
Je souhaite m’inscrire en dehors de tout esprit de polémique sur le sujet, parce que, comme Ministre, vous avez le mérite de vous battre pour faire ce que vous dites d’abord, ensuite vous faites l’effort maximal pour atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés et enfin vous faites tout ce que vous pouvez pour tenir les populations au courant du déroulement des activités, cela s’appelle en termes techniques, le respect du « principe de redevabilité ». C’est donc normal qu’en homme d’action que vous êtes, vous soyez exposés à l’imperfection. Pour donner un sens à votre démarche de redevabilité, le professionnel que je suis, camerounais de surcroit, se devait de vous faire parvenir un feedback.
Je garde en moi le souvenir vivace de cette soirée du 6 février 2017, à 20h 45 minutes, quand le juge d’instruction au Tribunal de Grande Instance du Mfoundi à Yaoundé, s’est levé pour me dire que : « il ne m’est pas encore arrivé dans ma carrière de mettre un docteur sous mandat de dépôt, et je crois que cela ne m’arrivera pas souvent, mais les circonstances m’obligent à le faire. Ne vous en faites pas, pour vivre il faut entreprendre et quand on entreprend on fait face aux obstacles de toute sorte. Je vous notifie votre mise sous mandat de dépôt et je vous promets de faire le maximum pour mettre cette situation au clair dans les plus brefs délais ».
Cette phrase seule m’a suffi pour affronter la situation avec le cœur serein. Je fais miens les propos de ce juge d’instruction, et je nourris l’espoir qu’ils produisent chez vous le même effet que sur moi. En effet, il faut le reconnaitre c’est ce jour-là que la couverture santé universelle au Cameroun est définitivement sortie des rails que le Président de la République Son Excellence Paul Biya avait souhaité, en 2011 en faisant du Ministère des Affaires sociales, le responsable de la mise en œuvre de la politique du Gouvernement en matière de prise en charge des personnes socialement vulnérables.
Monsieur le Ministre,
La Couverture santé universelle est un concept et pour cela, sa mise en œuvre est tributaire du contexte, Il n’existe aucune forme standard de la Couverture Santé Universelle, mes dernières activités à travers les pays en tant que Coordinateur des Programmes humanitaires me l’ont confirmé. Elle est surtout fonction du système de financement de la santé et des politiques gouvernementales de prise en charge des personnes socialement vulnérables en vigueur dans le pays. Son unique objectif est l’amélioration de l’accès aux soins des populations vulnérables, d’où le qualificatif « d’universel ». Il a été introduit dans la terminologie sociale par l’Organisation Internationale du Travail, pour traduire la prise en compte des personnes laissées en rade par le système de couverture sociale classique, le contributif en l’occurrence.
Votre rapport d’activités m’a donné l’impression que les objectifs que vous vous êtes fixés dans le cadre de la Couverture Santé Universelle au Cameroun ne sont pas des objectifs de santé. Il existe dans la pratique deux variables qui renseignent sur l’état de santé d’une population, la morbidité et l’incidence. De façon subsidiaire la mortalité parce qu’elle n’est pas seulement le fait des problèmes de santé. L’état actuel de l’évolution de la pratique de la Santé Publique montre que l’accès aux soins reste la voie royale pour agir sur ces variables.
L’accès aux soins au sens technique du terme se décompose en deux branches, l’accessibilité et la disponibilité. L’accessibilité est liée à l’individu, elle peut être financière, elle peut être géographique, elle peut être intellectuelle, elle peut être culturelle. La disponibilité quant à elle, est rattachée au système des soins que l’on décompose en quatre sous-système : la promotion, la prévention, le curatif et la rééducation. Sur ces huit paramètres qui permettent d’agir sur l’accès aux soins et par conséquent sur l’état de santé des populations, vous vous rendez compte aisément que la Couverture Santé universelle dans sa version mise en œuvre au Cameroun, si je me fie à votre intervention sur les médias, ne s’appuie que sur l’accessibilité financière. Inutile de vous inviter au calcul de la probabilité de succès, elle est de 1/8ème très faible en santé publique.
Monsieur le Ministre,
Je vous le dis sans ambages, la faute ne vous revient pas du tout. Votre collègue du Ministère des Affaires Sociales aurait déjà sollicité une collaboration avec vous pour donner à la Couverture santé universelle du Cameroun la polyvalence qui lui permettrait d’accroitre sa probabilité d’atteindre les résultats escomptés. Le Président de la République a posé les bases de cette démarche depuis 2008. Les experts camerounais ont été impliqués dans les travaux des Nations Unies qui ont validé le nouveau dispositif de garantie d’accès aux soins au Cameroun, les socles de protection sociale. La dernière s’est d’ailleurs tenue au Cameroun en 2011, D’abord confiée au Ministère du Travail et de la Sécurité Sociale, la mission de la mise en place des socles de protection sociale sera confiée au Ministère des Affaires Sociales au cours d’un séminaire international tenu à Douala en 2015, sous l’égide de l’Organisation Internationale du Travail.
À l’époque, Chef du programme Gouvernance et Appui Institutionnel dans le Secteur des Affaires Sociales au Cameroun, j’avais montré l’importance de ce qui se passait au Ministre des Affaires Sociales. Je préconisais même qu’au lieu de deux programmes techniques que le Ministère en ait un et qu’il soit, le programme de mise en place des socles de protection sociale au Cameroun. A défaut du mieux, j’avais tout de même réussi à faire inscrire le dispositif « mise en place des socles de protection sociales » dans la loi de finances en 2016 et essayé de le mettre en place en mobilisant des privés à la place de l’Etat, par un mécanisme prévu par le dispositif et ladite loi. Je vous fais grâce du récit de la suite qui m’a conduit devant ce juge d’instruction. Le récit de cette expérience malheureuse est relaté dans un ouvrage titré « Le financement des politiques sociales : le bourbier camerounais » que j’ai publié en 2023 aux Editions Jets d’Encre à Paris.
Monsieur le Ministre,
A en juger par votre engagement à répondre aux besoins d’une population en quête d’une protection sanitaire depuis la pandémie du covid 19, je ne doute point de votre désir de léguer au Cameroun une Couverture Santé Universelle efficace. Surtout, je vous sais engagé à matérialiser le programme politique du Président de la République Son Excellence Paul Biya. En complétant ainsi l’information que vous aviez, je n’ai aucun doute que vous vous rapprocherez de votre homologue du Ministère des Affaires Sociales pour qu’ensemble vous rapprochiez le modèle de Couverture Santé Universelle du Cameroun de celui souhaité par le Président de la République. Le dispositif des socles de protection sociale couplé avec celui que vous avez mis en place jusqu’à ce jour peut significativement accroitre l’accès des populations aux soins de santé.
Dans l’espoir que ma contribution vous sera d’une utilité dans l’engagement très louable que vous avez à résoudre les problèmes de santé des camerounais,
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mon profond respect