Avec Benjamin Zebaze
Je ne sais pas comment après avoir vu ces images de l’artiste Longue Longue torturé de manière aussi bestiale, on peut dormir d’un sommeil de “juste”: je n’y arrive pas.
PERSONNE NE DOIT RESTER INSENSIBLE FACE A CE QU’A SUBI UN DE NOS ARTISTES PRÉFÉRÉ
Aujourd’hui, je pense aussi aux victimes connues et inconues de cette barbarie que j’ai dénoncé pendant toute ma carrière de patron de presse et que beaucoup prenaient pour des affabulations.
1- SÉVERIN TCHOUNKEU
En regardant ces images de torture, je n’ai pas pu m’empêcher de couler une larme en pensant à mon ami Tchounkeu, Pdg de Équinoxe Tv, enlevé dans son bureau: frappé avec une matraque au visage au point de briser ses lunettes médicales
A la gendarmerie, il se fait rouler dans des urines: battu toute une journée au point de déplacer le fer qui donne un peu de force à sa jambe malade.
Je me souviens que nous avons pleuré lors de sa libération et que d’urgence, j’ai dû l’accompagner pour soins en France.
En regardant Longue Longue souffrir, j’aime davantage mon ami Tchounkeu qui, malgré cela, n’a pas baissé les bras et continue, malgré l’adversité, un combat que je n’ai pas eu la force de mener jusqu’au bout.
2- JEAN JACQUES EKINDI
Patron de presse, j’apprends que l’homme politique a été arrêté et que nous sommes tous recherchés : Pius Njawe, téméraire, me demande de l’accompagner à la gendarmerie du port où il se trouve.
Nous trouvons là bas un Jean Jacques Ekindi hagard. Il avait été torturé; avec une machette, il a été tellement frappé aux pieds que ces derniers ressemblaient à deux ballons de foot.
3- SAMUEL EBOUA, CHARLES TCHOUNGANG, ESSAKA…
Pour avoir participé à un meeting politique, le dernier Secrétaire Général de la Présidence de la République sous Ahidjo Samuel Eboua, l’ancien bâtonnier des avocats Charles Tchoungang et des hommes politiques sont arrêtés et torturés de manière particulièrement inhumaine.
Je me revoie en pleurs à la clinique devant ces aînés meurtris dans leur chair, le postérieur en l’air car ils ne pouvaient plus se poser dessus.
J’ai déjà raconté cette histoire à plusieurs reprises en insistant sur ce que Samuel Eboua m’avait dit, avec sa voix caractéristique: “Monsieur Chebache, ils ont failli nous toues”.
UNE DE MES PARENTES VIOLÉE
Je ne décolère pas depuis hier en pensant au sort réservé à une de mes parentes.
En plein quartier Akwa, elle est enlevée et conduite dans une rue qui mène au beach.
On lui reproche ses critiques envers le pouvoir et surtout envers le ministre Atanga Nji.
Prise de panique, elle propose ses ordinateurs, ses téléphones; de l’argent et tous ses bijoux.
Ces agresseurs rigolent : elle est violée et violentee en plein air par des gens qui, sûr de leur pouvoir, ne paniquent pas.
“Grands seigneurs “, ils lui laissent ses téléphones, ses ordinateurs, son argent…et menacent : ” la prochaine fois, c’est la mort”.
MES COLLABORATEURS TORTURÉS
– Nicolas Tejoumessie ( Décédé)
Enlevé à la sortie du journal; conduit en pleine nuit au bord du fleuve Dibamba: battu sévèrement avec par la suite, ses habits confisqués par ses tortionnaires.
– Pauline Poinsier Manynga (Décédée)
C’est la toute première femme à intégrer le monde difficile de la presse privée camerounaise.
L’opposition tient un meeting à haut risque à Douala: j’interdis à tous mes journalistes de s’y rendre. Pauline insiste avec un argument qui tient : jamais ils n’oseront s’attaquer à une femme.
La pauvre est interpellée lors du meeting et à la gendarmerie de Bonanjo, est torturée sans ménagement.
– Théodore Tsapi
Alors caricaturiste au journal Challenge, il voit des personnages en civil entrer dans la salle d’archives: ils lui demandent où je me trouve. Il répond que j’ai travaillé toute la nuit et que je ne serai là que l’après-midi.
Son malheur va venir du fait qu’il était en train de caricaturer Paul Biya et le ministre Kontchou. Ils deviennent fous: confisquent tout le matériel et enleve mon collaborateur.
Dans le “sans payer”, il est surpris d’y retrouver un Séverin Tchounkeu dans un sale état.
– Youmbi Jean Marie ( Décédé)
C’était plus qu’un frère pour moi: il avait abandonné toutes ses activités pour m’aider à gérer mes affaires.
Un soir, il sort avec la voiture de service pour aller récupérer l’argent des journaux dans divers kiosques: il est enlevé par des hommes en civil et est battu une partie de la nuit.
Relâché vers minuit, ses tortionnaires se montrent “‘généreux” en lui offrant une des matraques qui venait de lui lacerer la peau.
Je pourrai citer des centaines des cas comme celui ci, insister sur cette nuit où un camion de militaires saute sur mon imprimerie; mon voisin, ami, grand frère et beau frère le patron d,’entreprise Richard Nouni Pounde qui habite à côté, est surpris par le vacarme dans sa cour.
Il ose ouvrir la fenêtre et voit des hommes armés partout qui lui crient: “fermez cette fenêtre” !
Leur mission: empêcher que les journaux sortent de cette imprimerie qui imprimait tous les journaux d’opposition de l’Afrique Centrale et du Zaïre.
DÉCIDÉMENT, BEAUCOUP DE NOS COMPATRIOTES AURAIENT DU RESTER DANS LA FORÊT.
Nous ne devons plus accepter cela: courage à Longue Longue.