Par Serge Aimé Bikoi
Trois raisons président à l’élaboration de cet ouvrage. La première est liée au fait que C.R. Koung est de formation littéraire et son statut d’enseignant a pu affiner, au terme de ses 25 ans de carrière, cette faculté d’écrire aisément si bien qu’il se demande pourquoi n’avoir pas embrassé la carrière littéraire bien avant. La deuxième raison est que l’auteur a mené un combat syndical ayant connu toutes sortes de tribulations, de mésaventures et de contingences. En effet, C.R. Koung a été, plusieurs fois, emprisonné dans les commissariats de police, molesté par des éléments des forces de l’ordre, intimidé et menacé par la hiérarchie à cause des revendications syndicales posées maintes fois. Mais, ce combat syndical a été parsemé par de grandes victoires. Des milliers d’enseignants connaissent des cas d’amélioration de leur statut socioprofessionnel. Des enseignants sont, par exemple, partis d’un statut de contractuel à celui de fonctionnaire. D’autres, a contrario, ont quitté le statut de maître des parents ou de sans emploi pour être juchés à celui de contractuel. Au regard de ces tribulations et victoires, il était opportun qu’un enseignant de la trempe de C.R. Koung en fasse écho dans un ouvrage. Question de léguer à la postérité un document important susceptible d’édifier la progéniture scolaire et universitaire et l’ensemble des maillons de la communauté éducative. Il s’agit, dans la même veine, de retracer les chemins qui ont été balisés par les prédécesseurs (précurseurs et fondateurs) de la sphère éducative.
La troisième raison est liée à l’exigence de la présentation de la vision du système éducatif camerounais par l’auteur. Système éducatif qui est, ainsi que le démontre l’auteur, ancré dans la vision coloniale consistant à former les cadres noirs destinés à remplacer les cadres blancs dans la bureaucratie. Or aujourd’hui, cette vision est obsolète tant l’on continue de socialiser et de former les diplômés creux qui n’arrivent guère à s’intégrer dans la division du travail ou, du moins, dans le marché de l’emploi. Il y a donc, aujourd’hui, un problème de fond marqué par la crise de l’école. Toute chose traduisant la sempiternelle question de l’inadéquation entre formation et emploi. La troisième raison présidant à l’élaboration du présent message pose la question rituelle : à quoi sert l’école au finish? En revisitant, à la fois, les paradigmes fonctionnaliste, systémiste et constructiviste de l’école et en structurant la fonction intégratrice du moule scolaire, la fonction de mobilité et d’ascension sociale de ce creuset de socialisation, l’auteur parvient, au bout du compte, à développer une nouvelle vision de l’école, celle de l’école qui puisse s’adapter aux référentiels socioculturels du Cameroun. Dans un contexte actuel où chaque région a son université d’État suivant les récentes créations des arcanes universitaires, comment peut-on endogénéiser les cursus et curricula de formation de manière qu’il y ait une congruence entre la nouvelle vision du système éducatif et les réalités socioculturelles locales? Quel type d’école pour les Pygmées Baka par exemple ? Quel type d’école pour les populations du Centre, Sud, Est, Ouest, Nord-Ouest, Sud-Ouest, Nord, Extrême-Nord, Adamaoua et Littoral ? Quel type d’école pour l’essor du Cameroun à l’horizon 2040 ou 2050? Questionnement, dont les réponses sont attendues.
Qui sont donc les cibles du message véhiculé dans l’ouvrage “Bouts de craie”?
Dans l’immense majorité, ce sont les enseignants qui constituent le public-cible. Les chercheurs en sciences de l’éducation, les parents et, a fortiori, les décideurs doivent chercher à s’inspirer de ce livre que l’auteur propose pour la bonne marche de l’école républicaine et, par corollaire, pour la redéfinition, mieux la reconstruction du système éducatif camerounais. Le dernier décret présidentiel sur la réforme des écoles de formation des instituteurs a, sans doute, puisé dans le présent ouvrage, notamment dans la durée de formation des postulants dans ces diverses écoles de formation. Les autorités gouvernementales, surtout les ministres en charge des questions socio-éducatives (ministères de l’Education de base, des Enseignements secondaires, de l’Enseignement supérieur, de l’emploi et de la Formation professionnelle) gagneraient à lire l’ouvrage “Bouts de craie” et à comprendre comment les formateurs des progénitures scolaire et universitaire consentent à refaire le système éducatif camerounais qui est, aujourd’hui, c’est un rappel, en décrépitude totale vu le caractère suranné des cursus et curricula de formation et l’échec des trajectoires des diplômés de l’enseignement supérieur ces trois dernières années.
Les courants d’expression liés aux mouvements d’humeur des seigneurs de la craie ces derniers mois, à travers les collectifs Ots(On a trop supporté), Ôta(On a trop attendu), Tct(Trop c’est trop), etc) sont la matérialisation des frustrations, des formes de disqualification, de discrimination et de minoration du statut des enseignants, qui revendiquent les meilleures conditions de vie et de travail. Dans deux, trois, voire cinq ans, il est urgent et idoine que le gouvernement camerounais puisse résoudre l’ensemble des problématiques structurelle et conjoncturelle du corps éducatif, l’enjeu étant d’éviter, à l’avenir, les permanences relevant de l’ordre des mouvements de colère du corps enseignant. Ainsi est-il impératif de quitter le stade des permanences pour aboutir à celui des ruptures liées à la structuration et à la modélisation des nouveaux habitus scolaires et à la redéfinition d’un nouvel ethos scholastique capable de faire émerger les diplômés aptes à s’adapter à la division moderne du travail et à s’accommoder des nouvelles contraintes de la professionnalisation des savoirs savants. Il s’agit donc d’une autobiographie d’un enseignant, dont le caractère est révolutionnaire tant il vise l’implémentation d’un nouvel idéal, d’un nouveau courant de pensée et, par conséquent, d’un nouveau paradigme dans le champ de la Sociologie de l’éducation. Reformater les savoirs savants, élaborer de nouveaux schèmes de pensée, de nouveaux curricula, éradiquer la vision de l’école coloniale frappée d’obsolescence destinée à ne forger les diplômés fonctionnaires carriéristes et s’adapter aux exigences de la technoscience, de la fulgurance des Technologies de l’information et de la communication (Tic) participent, entre autres, des invariants sur lesquels il est nécessaire de se focaliser. Question de réinventer la nouvelle modalité de l’école contemporaine carrément dissociable, voire dissociée de l’école coloniale passéiste, archaïque et anachronique. Vivement que les décideurs en comprennent le bien-fondé de manière à refaire le système éducatif! C’est un impératif catégorique.
Très belle plume !