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Cameroun: État totalitaire

Ce que révèlent les élections Sénatoriales du 12 mars 2023

Par panorama papers
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Par Célestin Bedzigui, président national du Parti de l’Alliance libérale (Pal).

L’ élection le 12 Mars 2023 d’ un Sénat monocolore, 70 Sénateurs sur 70 sièges à pourvoir captés par le seul parti RDPC, apporte ce qui pourrait être une réponse à notre questionnement liminaire et confirme ce dont il y a vingt ans, dans une tribune publiée dans Le Messager sous le titre « Dérive totalitaire », je relevais déjà les indices. Je disais alors qu’ à travers une normalisation de la vie et de la scène politique, le régime menait le pays vers un totalitarisme qui, derrière une maldémocratie, faisait de la démocratie une simple question de procédures au détriment de son appropriation par le peuple en tant que culture.

Aujourd’hui, en appliquant sur le vécu et l’être de la société camerounaise la grille d’ analyse et de lecture élaborée par la grande théoricienne du totalitarisme, Hannah Arendt, la conclusion est sans appel : la pratique de la gouvernance de l’ espace politique des trente dernières années au Cameroun a accouché d’ un État totalitaire selon les caractéristiques qui lui sont attribuées.
Quelle est la thèse de Hannah Arendt ?
Le mot totalitarisme exprime l’idée politique que la dictature dans certains cas ne s’exerce pas seulement dans le domaine régi par le pouvoir exécutif, mais aussi dans les sphères régies par le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif .
Pour Arendt, le totalitarisme est avant tout une dynamique de dénaturation de la réalité sociale, de dépersonnalisation des individus, de perte du sens et des valeurs, d’ embrigadement collectif aveugle.
Le totalitarisme est un phénomène de « masses»
Hannah Arendt définit les « masses » comme des groupes déstructurés, amorphes, et en cela prêtes à toutes les capitulations et manipulations par les tenants du pouvoir . C’est la prééminence des préoccupations économiques, matérielles et alimentaires qui rendent possible la transformation du peuple en masses en détruisant les solidarités traditionnelles et l’attachement à des valeurs nobles. Appartiennent aux « masses » les gens qui ne peuvent plus s’intégrer dans une organisation fondée sur la poursuite d’un intérêt collectif relatif au bien être commun: le terme de masses, écrit Hannah Arendt, s’applique seulement à des gens qui, soit du fait de leur seul nombre, soit par indifférence, soit pour ces deux raisons, ne peuvent s’intégrer dans aucune organisation fondée sur la poursuite d’un intérêt ou un idéal collectif tel qu’ un engagement politique dissident par rapport à l’ ordre gouvernant.

En effet, les masses sont confuses mentalement, d’où leur grande inclination à accepter l’idéologie de la faction qui à le contrôle des leviers de l’ État et des ressources de la société, inclination à se soumettre à l’ embrigadement civique. Le maintien de cet état d’ esprit de désintéressement passe par le développement de stratégies d’affaiblissement de tout autre groupe autonome ou parti politique qui pourrait fournir une structuration mentale de substitution. Ce constat s’ observe au Cameroun à travers les entraves et les obstacles auxquels sont confrontés les partis politiques ou les figures dit d’ opposition.

Ainsi, la période d’essor du totalitarisme est caractérisée dans l’ esprit commun par le nihilisme, le goût du chaos et de la ruine en tant que telle, du repli identitaire comme lieu de jouissance de son identité . Au Cameroun, c’est le tribalisme qui est valorisé pour son appel aux pulsions primaires et primales, ce qui plaît profondément au peuple et est une forme d’ évasion dans un univers mental d’ où est répudié le sentiment de citoyenneté. L’ élite administrative et bourgeoise est alors lâchée sur le terrain par le pouvoir pour nouer une alliance avec la populace ou l’ embrigader, par l’ intimidation, la corruption et quelques fois même la menace.
Le modèle totalitaire
D’ après la grille d’ Hannah Arendt, le totalitarisme se caractérise d’ une manière clairement discernable:
• un parti unique contrôlant l’appareil d’État et dirigé par un chef charismatique qui exerce un contrôle serré sur les trois pouvoirs de la République, le cas du Rdpc ;
• une idéologie d’État promettant un avenir radieux, comme la promesse de l’ émergence en 2035 ;
• un appareil policier recourant à la terreur ou aux brutalités, comme l’ illustre l’ assassinat récent du journaliste Martinez Zogo ;
• une direction centrale de l’économie ;
• une domination des moyens de communication de masse ;
• une justice aux ordres soutenant la violence d’ État et entraitenant la culture de la répression ;
• une volonté permanente de séduction du Chef et une obéissante totale à sa personne.
Il est important de noter ici que la différence entre un régime totalitaire et un régime autoritaire est que dans ce dernier on ne trouve aucune trace de la volonté du leader d’obliger les citoyens à adhérer à son idéologie. Telle était le cas pendant ses premières années du régime actuel qui de ce fait pouvait être qualifié d’ autoritaire.
Les choses ont ensuite évolué, avec l’offensive observée ces dernières années visant à ériger tout propos du Chef du Rdpc en fatiha d’ une idéologie conquérante, en même temps à faire de ses apparitions publiques une célébration digne d’ un culte babylonien du veau d’or devant lequel tout genou sur terre et au ciel doit se plier. Ainsi s’ est constitué un parti-état qui associé au culte de la personnalité du Chef consacre définitivement l’ instauration d’ un État totalitaire au Cameroun..
L’ impératif d’ une rectification de la trajectoire
Dans un contexte de marasme économique prononcé, la tentation d’un Etat fort, à l’image de celui que l’ancien régime semble avoir gagné l’esprit du régime actuel. En réalité, le système totalitaire pour autant où il ne résout pas les problèmes cruciaux des populations, la santé primaire, l’ eau, la salubrité, les conditions de déplacement, la sécurité, fait plutôt prendre conscience aux populations de ce que l’Etat est défaillant, sa superstructure forte en apparence révélant plutôt un État faible et fragile .
Pour renforcer cet Etat faible et faire face aux évènements imprévus, telles que de nouvelles attaques sécessionnistes d’ampleur, des émeutes incontrôlables ou la vacance provisoire ou définitive de la présidence de la République, le pays se doit de consolider ses institutions en respectant et en mettant en œuvre sa Constitution. En effet, la dérive totalitaire actuelle a peu de chances d’aboutir à l’établissement d’un régime fort comparable à celui de Ahidjo: les divisions politiques et socioéconomiques sont nombreuses et la liberté de ton s’est installée dans les médias au cours des dernières décennies. Les tentatives visant à restaurer un climat de peur dans la population rencontreront de fortes résistances pouvant même susciter des mouvements de révolte populaire. La gouvernance n’en sera pas plus efficace et les conflits étouffés finiraient par ressurgir de manière plus violente.

En définitive, en se laissant griser par l’ idée d’ établir un pouvoir absolu et monolithique, l’ État totalitaire actuel a contribué à la formation d’ un État fragile dans lequel une élite minoritaire survit dans une nacelle détachée du peuple très largement majoritaire.
Pendant ce temps, des éléments clés de la Constitution de 1996 tardent à être mis en œuvre lorsqu’ ils ne sont pas rapportés ou objet d’ une application vidée de leur contenu.
Les instances constitutionnelles indépendantes incarnant les principes d’intégrité, d’impartialité et de neutralité, considérés dans le sillage de la Tripartite comme un antidote aux maux de l’administration publique oppressive sont inopérantes, et les instances administratives indépendantes en exercice manquent d’autonomie.
Le processus de décentralisation s’enlise. Il devait pourtant se traduire notamment par un transfert effectif de compétences, en ressources humaines et financière. Son adoption suscite plutôt les craintes de nombreux responsables politiques et hauts fonctionnaires qui considèrent qu’il affaiblira le pouvoir central et les dépouillerait de leurs privilèges.

Alors que l’écart se creuse entre les principes constitutionnels et la réalité du jeu politique actuel, il est vital d’envisager un débat sur la révision de la Constitution qui réduirait la concentration du pouvoir des mains de la Présidence de la République afin d’éviter d’ouvrir cette boîte de Pandore au moment d’une alternance dont la proximité est désormais inévitable.
La Cameroun s’enfonce dans une période d’incertitude politique. Et comme cela a été le cas pour d’ autres systèmes totalitaires, l’ effondrement de l’ État pourrait être brutal. La concentration du pouvoir entre les mains d’ un seul individu reposant sur une élite qu’ il a pendant quarante ans constitué donne une illusion de solidité. Que nenni. Il s’ agit d’ un piège qui doit être désamorcé pour que l’ illusion entretenue par certains d’une possible transmission en gré à gré du pouvoir ne vienne «centraficaniser »le Cameroun.

L’ opposition doit quant à elle s’ atteler à s’ unir pour réclamer les réformes de la Constitution pour que soient renforcées les conditions d’une alternance politique pacifique. Il demeure ainsi prioritaire :
 d’organiser les prochaines élections après un consensus sur le bon fonctionnement de l’instance en charge de leur supervision ;
 de renforcer l’ indépendance du pouvoir judiciaire et notamment celui du Conseil Constitutionnel ;
 d’accroitre l’ indépendance politique, l’autonomie financière et administrative du Parlement.
Ainsi devra être mis fin à l’ État totalitaire au Cameroun si doivent être éloignés les périls dont il est porteur.

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