Par Léopold DASSI NDJIDJOU
Nous rendons fidèlement compte ci-après des propos de ceux qui ont bien voulu s’exprimer. On note par contre que beaucoup n’ont pas voulu s’exprimer en dehors de Joshua Osih du Social democratic front (Sdf) en déplacement, qui a dit toute son indisponibilité. Cela pourrait-il traduire notre gène collectif d’avouer et de nous exprimer sur le mal qui nous gangrène ? Epineuse interrogation qui trahit certainement tout le long chemin que nous avons encore à faire pour que notre unité nationale soit de marbre.
Ceux qui pensent que cette unité construite laborieusement par les politiques au fil des décades est en train de s’étioler suite à nos multiples errements se multiplient. Sangmélima, il faut l’avouer, n’est pas le seul théâtre qui met en scène notre soudaine envie de détestation de l’autre, ce citoyen qui vient d’un autre coin du pays, à qui nous avons légalement conféré le nom d’allogène en opposition à l’autochtone. La Constitution du 18 janvier 1996 ne le démentira pas. C’est dans le sillage de ce ventre mou de notre vivre ensemble que nous avons demandé « deux causes, deux solutions », pour mettre fin à ce qui s’est passé dans le chef-lieu du Dja et Lobo comme il en est allé à Tonga, Kekem, Kye-Ossi ou ailleurs. Vous êtes servis !
Réactions :
Shanda Tonme, président national du Mouvement pour le défense de la République
« Rééduquer sur la citoyenneté, sur le sentiment national, sur la patrie ».
« Non, il n’y a pas deux, trois ou quatre causes à propos de la nouvelle irruption de violences intercommunautaires qui déchire Sangmélima, le chef-lieu du Dja et Lobo, et jette une lumière cruelle, brutale et chargée d’interrogations sur notre culture de la citoyenneté. Non il n’y a pas un Etat dans l’Etat, il y a plutôt des sauvages dans un Etat, les mêmes qui avaient assassiné la gardienne de prison Ayafor. Ces événements à répétition, dans la même ville, n’ont donc rien d’extraordinaire ni d’exceptionnel. IL s’agit d’une absence de maturité déplorable de notre société où les réflexes grégaires, sectaires et volontiers villageois, prédominent encore sur le bons sens élémentaire. Le sentiment national impersonnel, impartial et général est relégué au second plan. Cette mécanique est portée et formatée comme dans un laboratoire satanique, par quelques élites et idéologues du génocide, lesquels revendiquent publiquement l’expertise dans la bêtise, et s’affichent en membres de clans villageois au-dessus des autres. Ne cherchez pas loin, ni dans la quête de justice, ni dans la foi en une société de paix. La jalousie prime, et le regard envieux sur le fruit du travail des uns, émerge comme une boule de feu dans les cœurs des autres. Chaque incident même mineur, ne sert alors que de prétexte à des criminels longtemps préparés et nourris des doctrines toxiques du genre « rentrez chez vous ». Vanité insensée pour des gens qui ne sauraient dire d’où viennent leurs ancêtres et encore moins qui est le premier habitant de la planète. Il faut commencer par déconstruire le mal dans l’esprit et le cerveau des attardés mentaux qui secrètent imperturbablement et trop impunément le discours de la haine. De même, sans une pratique effectivement équidistante, honnête et non discriminatoire en ce qui concerne la gestion de cité, de l’Etat et de la République, le mal persistera parce qu’il est d’abord systémique. Non, il n’y a pas deux ou plusieurs causes, il en existe une seule, et elle recoupe à la fois les égoïsmes, la mauvaise gouvernance, la tricherie et le manque d’éducation civique. Mais que faire donc ? Une seule réponse : rééduquer sur la citoyenneté, sur le sentiment national, sur la patrie. Nous avons besoin d’un véritable réarmement moral, et l’opération ne saurait être menée, sans un rappel à l’ordre sévère des partisans de l’apartheid. Les populations ne sont pas en cause, c’est le système qui les encadre et oriente leur destin qui est responsable. On ne naît pas avec la haine, la violence et l’intolérance, et on ne les achète pas dans une boutique quelconque, ce sont les systèmes de gouvernance qui les construisent et les implantent dans les cerveaux des imbéciles ».
Emmanuel Ateba, Secrétaire national à la communication du Mrc
« La pauvreté et l’instrumentalisation politique du tribalisme »
« Les principales causes des événements de Sangmélima sont: la pauvreté et l’instrumentalisation politique du tribalisme. L’absence d’une juste répartition des ressources nationales créée des conditions telles que les populations se regardent en chiens de faïences. Tout le monde pense que c’est l’autre qui est l’origine de sa misère. Cela s’observe d’abord dans nos familles pour atteindre des sphères communautaires. Le plus cynique dans tout ça est que la minorité qui s’est accaparée de toutes les richesses nationales a ressui l’exploit de faire des couches les plus défavorisées, leur bouclier. Les pauvres se battent entre eux pour défendre le pouvoir des uns et les richesses des autres sans se soucier de leur origine pendant que ces derniers sablent les champagnes entre eux. L’intérêt politique ici est qu’il ne faut jamais que les Camerounais prennent conscience de leur souffrance commune pour découvrir qui sont leurs bourreaux et se retourner contre eux. Tout ceci illustre l’échec de 40 ans d’un règne incapable de consolider une identité nationale chèrement acquise et de renforcer la cohésion sociale. Au contraire, il s’est investi à diviser les Camerounais pour assoir son pouvoir perpétuel. Qu’est-ce qui peut expliquer qu’on ait des lois contre le discours de haine tribale et qu’elles ne soient pas appliquées? À qui profite le crime? Le premier Président du Cameroun Ahmadou Ahidjo a mis les fondations de la construction d’une Nation consacrée par le transfert du pouvoir à une personne aux extrêmes de ses origines culturelles, tribales et religieuses. S’il est vrai que devons garder l’espoir de voir naître un jour une nation forte, unie, riche et prospère, nous devons nous rendre à l’évidence que cela ne pourra plus venir de Paul Biya ».
Cissé Bamanga, communicant du Front pour le salut national du Cameroun (Fsnc)
« Il faut être dur avec tous ceux qui propagent les discours de haine »
« En ce qui concerne les deux causes, je pourrai citer le manque d’équilibre au niveau des postes de responsabilités et des nominations. Ceux qui avaient mis en place la politique de « l’équilibre régionale » pensaient effectivement résoudre ce problème. Mais malheureusement tout ça n’est plus respecté aujourd’hui. Les derniers mouvements des personnes nommées au ministère de la Défense nous le démontrent. En deuxième lieu, il y a les injustices de toutes sortes à l’exemple du problème foncier qui vient créer toutes sortes de frustrations, suscitant des discours de haine. Comme solutions pour remédier au mal, il faut naturellement limiter les injustices. Il faut que les gouvernants pensent aux difficultés de tous les jours auxquels sont confrontés les Camerounais. Lors des nominations, s’assurer que toutes les composantes ethniques soient représentées. Enfin, il faut être dur avec tous ceux qui propagent les discours de haine, ceux qui ne respectent pas le mot d’ordre d’union, d’unité nationale ».
Hyomeni Paul Guy, Coordonnateur national Réseau camerounais des organisations des droits de l’homme (Recodh)
« Établir les responsabilités et sanctionner les auteurs conformément à la loi »
« Les évènements de Sangmélima de mai 2023 sont un cas parmi tant d’autres qui menacent l’unité nationale et la cohésion sociale. Il existe de nombreuses causes à ces tristes situations au rang desquelles l’impunité dont jouissent les auteurs de tels actes. L’on se souvient qu’en 2019, cette même localité avait connu une situation pareille sans qu’aucune enquête officielle ne soit menée à ce jour pour identifier les coupables et les traduire devant la justice pour répondre de leurs actes. Pourtant le Cameroun est partie à des instruments internationaux et régionaux pertinents et dispose aussi de lois de lutte contre cette gangrène. Ces instruments et lois ne sont pas appliqués toujours. Une autre cause est l’instrumentalisation par des acteurs politiques des couches sociales vulnérables. Certains acteurs politiques fautes d’apporter ou de proposer des solutions aux difficultés existentielles auxquelles font face quotidiennement des populations, promeuvent la haine comme opium du peuple. Pour résoudre de manière durable cette situation, il est important pour le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour l’amélioration des conditions de vie des populations. Dans le cas précis de Sangmélima et d’autres, il faut établir les responsabilités et sanctionner les auteurs conformément à la loi.
Par ailleurs, il est nécessaire de mettre en œuvre une campagne appropriée de sensibilisation sur le vivre ensemble et la lutte contre le discours de la haine. Le message radio porté rendu public le 25 mai 2023 par le gouvernement et portant sur la lutte contre les discours haineux au sein de la population vient fort à propos ».
Propos recueillis par L.D.N.