Par Eric Boniface Tchouakeu
Il convient de préciser que le premier Président de la République Ahmadou Ahidjo de 1960 à 1982, était un ressortissant du septentrion.
A l’approche de l’élection présidentielle théoriquement prévue entre septembre et octobre 2025, certains acteurs politiques et de la société civile appellent ouvertement à voter pour un candidat anglophone, c’est-à-dire pour une personne originaire de la région du Nord-Ouest ou celle du Sud-Ouest.
Si un tel scénario se réalisait, ce serait selon ces derniers, un pas important et même décisif dans la résolution définitive de la crise anglophone en cours depuis septembre 2016.
Cette crise découle en partie du sentiment de marginalisation dont s’estiment victimes, une proportion significative des ressortissants de l’ancien territoire placé sous mandat, puis sous tutelle de la Grande Bretagne, qui représentent environ 20% de la population totale du Cameroun.
Soixante-trois ans après la réunification intervenue le 01er octobre 1961 des anciens Cameroun oriental administré par la France et le Cameroun occidental sous administration britannique, jamais le pays n’a été dirigé par un anglophone.
Cependant, si comme s’agissant de la gestion de l’ordre des avocats, et même si les dirigeants sont choisis par voie d’élection, il existe une règle non écrite d’alternance aux deux principales fonctions de Bâtonnier et de Président de l’Assemblée Générale entre francophones et anglophones, il n’en est pas de même en ce qui concerne la Présidence du Cameroun.
Dans un pays voisin comme le Nigéria, les ressortissants du Nord du pays, généralement musulmans, alternent au sommet de l’Etat avec ceux originaires du Sud de confession chrétienne suivant une règle non écrite, depuis le retour de la démocratie en 1999 après des années de dictature.
Au Cameroun qui compte plus de deux cent (200) ethnies regroupées en quatre grandes aires culturelles, aucun accord ou aucune entente de cette nature pour la gestion du pouvoir suprême n’existe communautés. L’entière liberté est donc donnée aux électeurs qui opèrent leur choix en vertu de leur propre appréciation de la situation et des candidats.
Dans un tel contexte, appartenir à une communauté est loin d’être suffisant pour accéder à la magistrature suprême. Aucun candidat se présentant comme leader communautaire ne peut donc en théorie remporter une élection présidentielle sur cette base, car il lui faut convaincre les autres au-delà de ses origines.
Il revient de ce fait à tout candidat qui se considère comme issue d’une certaine minorité ethnique, ou linguistique ou religieuse et autres, de convaincre et fédérer les autres autour de sa personne.
Bien qu’issue d’une minorité raciale par exemple, Barack Obama a pu se faire élire à deux reprises à la Présidence des Etats-Unis d’Amérique, le pays le plus puissant du monde en 2008 et 2012.
Il ne faut cependant pas perdre de vue que ceux qui souhaitent voir l’un des leurs, ou un ressortissant d’une certaine aire culturelle accéder au pouvoir au Cameroun, doutent de la réalité du principe « une personne, une voix », c’est-à-dire de la sincérité ou de la transparence des élections.
C’est pourquoi, certains auteurs au regard de la complexité de la gestion du pays pluriethniques recommandent la rotation du pouvoir suprême entre les différentes régions.
Il est ainsi par exemple du philosophe Hubert Mono Ndjana, dans Idées sociales chez Paul Biya, ouvrage publié aux éditions Sopecam en 1986, ou encore du professeur de droit Joseph Owona in « Les systèmes politiques précoloniaux au Cameroun », livre sorti chez L’Harmattan en 2015.
« Une des solutions d’avenir de nos institutions sera d’inventer l’alternativité, une alternativité équitable dans un Cameroun réputé comme étant une Afrique en miniature. L’alternativité régionale s’avèrerait peut-être comme la règle la plus souhaitable, consistant en une rotation du pouvoir suprême entre toutes les régions du pays, Nord, Sud, Extrême-Nord, Ouest et Est, rompant avec le fameux ping-pong nord-sud » écrit notamment aux pages 95 et 96 de son ouvrage, l’ancien Ministre nommé plus tard membre du Conseil Constitutionnel, avant son décès. « L’éternelle règle de l’équilibre régional pourrait servir alors de correctif complémentaire et de correctif positif des inégalités d’origine culturelle, religieuse ou géographique », poursuit-il tout en citant l’exemple de la Suisse.
Aujourd’hui une telle approche pourrait constituer une solution au moins provisoire pour tempérer les replis identitaires exacerbés, et les velléités d’une certaine forme de succession crisogène à la tête de l’Etat, en attendant que la culture de la démocratie au sens noble du terme s’enracine dans les mentalités d’une écrasante majorité des citoyens.