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Cameroun > Accaparement des terres: Yaoundé et ses environs en tête du peloton

L'accaparement des terres dans les périphéries de Yaoundé Tentative de décryptage d'un phénomène à la lumière du paradigme de la conflictualisation entre les autochtones jouisseurs et les allogènes envahisseurs

Par panorama papers
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Par Serge Aimé Bikoi

Les enseignements, en matière de Sociologie de l’environnement, établissent l’argument central suivant lequel la terre est un enjeu de luttes dans toutes les régions. En effet, la terre, qui est source de richesses indénombrables dans des domaines aussi variés que l’agriculture, l’élevage, la pisciculture, l’industrie animale et végétale, etc, est une source de conflits permanents entre l’État, les populations locales, les organisations de la société civile et les institutions internationales. C’est pourquoi “quand l’État pénètre en brousse”, pour emprunter le titre d’un ouvrage de Jean-Marc Ela, Sociologue, ses représentants organisent, techniquement et stratégiquement, des mécanismes manifestes et latents de pillage et de brigandage des ressources issues de la manne foncière locale. A preuve en jetant, par exemple, un regard furtif sur les aires culturelles de la région de l’Est-Cameroun, le cliché emblématique visible est celui de l’exploitation systématique et littérale des forêts, où le bois est coupé sauvagement au mépris non seulement des effets néfastes environnementaux causés depuis des années, mais aussi et a fortiori au mépris de la captation de ce qui est cher aux catégories sociales locales: la terre.

Ce déroulé argumentatif généraliste a, singulièrement, pour objet de statuer sur la place, mieux sur l’importance de la terre pour les populations urbaines et rurales. Partant, en effet, du postulat initial selon lequel la terre est un enjeu de luttes entre les différentes catégories d’acteurs locaux, le phénomène de l’accaparement des terres dans les phériphéries de Yaoundé-Mfou, Obala, Mbankomo et Ngoumou- est un cas référentiel en ce sens. Ici, il y a une dynamique de conflictualisation des rapports sociaux entre les autochtones et les allogènes, dont l’épicentre est la terre. Des élites originaires d’autres viviers culturels internes se sont décidées, tous azimuts, ces dernières années, à acheter, à vils prix, des terres détenues par les autochtones démunis.

———Comment comprendre la matérialisation du marchandage des terres dans les périphéries de la capitale métropolitaine?

L’agent causal majeur de la vente des terres aux allogènes est la crise de la mentalité des autochtones,lesquelles sont, de surcroît, floués par les élites politiques et les autorités administratives, engluées dans le processus de transaction entre les deux maillons essentiels. En fait, dans les schèmes de pensée de représentations des populations, il y a fondamentalement deux types de mentalités observables: les jouisseurs et les envahisseurs. Les jouisseurs sont des personnes qui se préoccupent de l’assouvissement des biens financiers et matériels. Ce sont des individus enclins à focaliser l’attention sur les choses du monde, sur les réalités gastronomiques, sur les exigences alimentaires, bref sur les questions éminemment pécuniaires. Dans cette visée de l’appropriation des ressources du lucre, les populations accordent une onction, pour reprendre Achille Mbembé, Historien et Sociopolitiste, à la manducation, laquelle est un acte de satisfaction des besoins alimentaires au dépens du substantiel vital durable, lequel devrait se résumer à l’option pour des exigences liées à la réalisation des projets socio-économiques efficients et efficaces. Les réactions des populations de Mfou, Ngoumou, Mbankomo et d’Obala sont, relativement à la commercialisation de leurs terres, l’expression des acteurs soucieux de la quête immédiate des ressources financières consécutives à la vente d’un bien foncier. Ce qui les intéresse spontanément, c’est la captation du suc, du lucre, du pécule issu du processus de la vente des terres. Or, ces catégories populaires oublient, en réalité, que les capitaux économiques sont, certes, une nécessité conjoncturelle, mais ils s’évaporent si et seulement si ces biens ne sont pas rentabilisés et capitalisés pour des investissements durables en termes de concrétisation d’actions de développement pérennes dans leur sphère sociale d’appartenance.

Après avoir joui, de façon systématique, des biens financiers issus de ces transaction rentière et foncière, ces populations se retrouvent, quelques mois après, les poches vides et se plaignent d’avoir été galvaudées et flouées par les acheteurs. Pourtant, les transactions sont toujours nouées par les parties prenantes: autochtones et allogènes. Les populations autochtones de ces localités périphériques, soutenues considérablement par des élites politiques et des autorités administratives essentiellement prébendières, théâtralisent, pour ainsi dire, des comportements de jouisseurs de biens financiers issus des circuits et arcanes du marchandage des terres.

A la différence, les allogènes, qui sont plus portés à investir pour une durée indéterminée, sont, dans l’imaginaire collectif, appelés, à tort ou à raison, les envahisseurs. En effet, ce qualificatif naît de l’implantation de ces groupes culturels dans des aires qui leur sont étrangères. Toute chose suscitant le courroux des autochtones misérables, voire misérabilisés. En substance, les jouisseurs autochtones ayant la mentalité prédominante, rétrograde et réfractaire au développement de la consommation à outrance des revenus issus de la cessation à vils prix de leurs terres, sont des agents oisifs, paresseux parce que étant, au demeurant, improductifs au quotidien. En revanche, les allogènes envahisseurs, ayant la mentalité prééminente, constructive et positive de la production incessante des biens rentables et capitalisables sur la masse de terres obtenues à coups d’espèces sonnantes et trébuchantes, sont des acteurs de développement hargneux, rompus à la tâche et visionnaires parce que étant productifs. Ils y investissent, en l’occurrence, de grandes surfaces cultivables leur rapportant, in fine, des capitaux économiques denses et fructueux nécessaires à la satisfaction des besoins immédiats-nutrition, santé, logement, locomotion, scolarisation, etc.- et lointains-projets de développement divers en termes infrastructurels-

Esquisse d’élaboration des répercussions de l’accaparement des terres dans les aires périphériques de Yaoundé

En général, la première modalité observable en terme de conséquence est liée à la faillite de l’élite politique de la région du Centre. En effet, dans le registre des transactions entre autochtones et allogènes au sujet du marchandage des terres, l’on note l’échec lamentable et incommensurable des députés, des sénateurs, des maires, élus du peuple, dont le rôle est de préserver les intérêts des populations de Mfou, Mbankomo, Obala et de Ngoumou, aujourd’hui paupérisées. Ces représentants politiques devraient être, au plan socio-politique, des “gate keepers”, c’est-à-dire des personnes-ressources compétentes ou des interlocuteurs privilégiés chargés de défendre l’intérêt collectif des communautés locales. Mais paradoxalement, ils apparaît manifestement que ces élites politiques sont les premiers prébendiers, les premiers prédateurs de la nasse foncière tant certaines sont, très souvent, au cœur des négociations, des tractations et des transactions entre allogènes acheteurs et autochtones vendeurs. Dans cette trajectoire opératoire de la captation progressive et quasi irrémédiable des terres de ces contrées péri-urbaines, il y a, en dehors des élus du peuple, des autorités administratives-Préfet et Sous-préfet-, dont l’enjeu est de satisfaire à des préoccupations bassement matérialistes, mercantilistes et capitalistes au détriment des intérêts populaires. En réalité, le procédé de la vente des terres est, conséquemment, un marché de dupes entre autochtones et allogènes, dont les bénéficiaires conservateurs majeurs sont des allogènes nantis, des autorités administratives, des élus du peuple qui forment, tous les trois, le triangle de l’enrichissement illicite au gré des dividendes tirées des surfaces cultivables cédées, hélas, à vils prix. Les dindons de la farce sont les populations locales des périphéries concernées. Dans d’autres localités, des Chinois ont, densément et considérablement, acheté des terres cédées, de façon maffieuse, par des catégories politique et administrative enclines aux logiques de brigandage de ce qui est, de surcroît, cher aux autochtones: la terre, source de richesses inquantifiables.

La seconde modalité expérimentable en terme de corollaire est l’explosion subséquente d’une bombe à retardement au plan local. En effet, par suite de l’accumulation des formes de frustrations, de minoration et de disqualification dues à l’accaparement de leurs terres, les populations de Mfou, Ngoumou, Obala et de Mbankomo sont susceptibles de créer et de raviver des tensions et des dissensions, dont le point culminant est l’affrontement interethnique. L’on risque, au moindre des cas, d’ancrer, dans le champ sociétal, des conflits entre autochtones et allogènes, et au pire des cas, de basculer dans un environnement belliciste entre ces protagonistes.

Serge Aimé Bikoi, Journaliste et Sociologue du développement.

Toute chose qui entrainera, à coup sûr, des pertes en vies humaines. Sans être fataliste, pessimiste ou fatalo-pessimiste, le renforcement des cas de mécontentement populaire dans ces aires culturelles peut, ce n’est guère un vœu, déboucher sur une guerre interethnique entre les allogènes et les autochtones. A tout moment, le pire peut arriver tant la terre est, reste et demeure un objet de convoitise, un creuset de polarisation conflictogène et un enjeu de luttes crisogènes.

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