Par Arlette Akoumou Nga
Le Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri, siégeant en matière commerciale, a décidé de rendre sa décision ce 23 juillet 2024 sur la requête de Bestinver. Cette holding, liée à l’homme d’affaires Baba Danpullo (photo), avait saisi ce tribunal le 3 octobre 2022 pour demander que les fonds saisis de manière conservatoire dans les comptes de Mtn Cameroon (Mtnc) et Chococam lui soient reversés. Rien qu’à Mtn, les saisies concernent près de 144 milliards de Fcfa, dont près de 120 milliards de Fcfa du compte de dépôt Mobile Money, pourtant réputé insaisissable. Pour la filiale camerounaise du géant sud-africain des télécommunications, cette décision du TGI du Wouri est « assez surprenante », car elle intervient « sans aucun débat au fond ».
En effet, l’affaire a été mise en délibéré pour la première fois le 6 juin, avec un verdict initialement prévu pour le 4 juillet. Depuis, les avocats de MTNC et de Chococam essaient d’obtenir l’annulation du délibéré et un débat au fond. Pour les conseils de MTNC, le tribunal ne peut objectivement se prononcer sur la requête de Bestinver sans que l’entreprise apporte des éléments probants attestant qu’elle dispose vis-à-vis de MTN Cameroon d’une créance certaine, liquide et exigible, comme le veut la loi. De même, soutiennent-ils, le délibéré ne peut intervenir sans que MTNC, qui conteste les prétentions de la holding liée à Danpullo, ait présenté ses arguments.
Pour comprendre cette position, il faut savoir que le litige entre Bestinver et son banquier sud-africain, First National Bank (FNB), filiale de FirstRand Bank (FRB), est à l’origine de cette affaire. Suite à plusieurs défauts de paiement, la banque a obtenu la saisie et la vente de plusieurs biens immobiliers hypothéqués par la holding du milliardaire camerounais. Les avocats de Danpullo considèrent cela comme une spoliation. Dans le but de recouvrer ces actifs, ils ont sollicité et obtenu du Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo des saisies conservatoires des comptes bancaires des entreprises MTN Cameroon et Chococam, sans disposer de titres de créance. Ces sociétés ont été ciblées parce que leurs maisons mères sud-africaines et FRB ont toutes Public Investment Corporate (PIC) comme actionnaire. Cet artifice juridique est dénoncé par MTNC, qui affirme ne pas être concerné, de près ou de loin, par le litige entre Bestinver et son banquier en Afrique du Sud.
Inquiétudes du personnel de MTN
Lors de l’audience du 4 juillet, les débats ont effectivement été réouverts, mais ils n’ont porté que sur la pertinence de la mesure de rabattement du délibéré. Lors de l’audience du 18 juillet, le tribunal a de nouveau mis l’affaire en délibéré sans débat au fond. Ce qui renforce la méfiance de MTNC à l’égard de cette juridiction, que l’opérateur de télécommunications soupçonne de partialité. Après l’audience du 6 juin 2024, la filiale camerounaise du géant sud-africain des télécommunications a même introduit un recours devant la Cour suprême pour solliciter le sursis à exécution de la décision de la Cour d’appel du Littoral, qui avait rejeté la demande de dessaisissement du TGI du Wouri. Cependant, la haute juridiction n’a pas encore rendu son verdict.
Cette situation suscite « de vives inquiétudes » chez les employés de MTN Cameroon, apprend-on dans un courrier adressé le 15 juillet dernier au ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Grégoire Owona, par le Syndicat national autonome des travailleurs des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Syntic). « Le comportement du tribunal de grande instance du Wouri lors de ses audiences du 6 juin 2024 et 4 juillet 2024 fonde nos inquiétudes actuelles. Nous sommes préoccupés par le fait qu’à ce jour, MTN n’a pas eu l’occasion de débattre du bien-fondé du litige. Nous sommes préoccupés par le que fait que cela dure depuis maintenant près de deux ans. », écrit le Syntic.
Le syndicat, présent au sein des sociétés et équipementiers de télécommunications Camtel, Ericsson, IHS, MTN et Orange, craint que le tribunal prenne une décision « aux implications considérablement négatives pour l’entreprise ». « Il serait dommage que les milliers d’emplois que nous représentons et l’avenir de nos familles soient affectés par les manœuvres de quelques personnes qui tentent d’utiliser la justice pour satisfaire leurs propres intérêts égoïstes », ajoute-t-il. On ignore pour l’instant la suite que le ministre Grégoire Owona va donner à ce courrier, arrivé dans ses services le 18 juillet 2024.