Accueil Le Billet Cameroun: Le Sed, cette prison « née de la peur » du régime Biya

Cameroun: Le Sed, cette prison « née de la peur » du régime Biya

Au Cameroun, le secrétariat d’État à la Défense fait office de service d’enquête et – surtout – de lieu de privation de liberté pour les détenus les plus sensibles. Plongée dans un lieu où police et politique ne font qu’un, au service de l’État… et de son chef.

Par panorama papers
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Avec Jeune Afrique

Une nouvelle fois, un attroupement s’est formé sous le soleil de l’après-midi de Yaoundé. En ce 3 mars, les journalistes ont repris leur poste d’observation favori, à quelques encablures des rives du lac municipal de Yaoundé, en plein centre de la capitale.
Quelques têtes connues se présentent à la guérite du secrétariat d’État à la Défense, montrent patte blanche, puis s’engouffrent à l’intérieur du camp militaire. Ces avocats ont désormais l’habitude des lieux. Ils reconnaissent les gardes en faction et les saluent même, parfois distraitement.

Zone de détention

Les véhicules de la gendarmerie, ces pick-up de couleur verte, se préparent à partir. Une nouvelle fois, Jean-Pierre Amougou Belinga, Justin Danwe, Léopold Maxime Eko Eko et leurs codétenus dans l’affaire Martinez Zogo s’apprêtent à être extraits de leurs cellules. Celles-ci sont situées à l’extrême-est de l’enceinte, à côté du quartier général du Service central de recherche judiciaire (Scrj). Leur emplacement ne doit rien au hasard : elles se trouvent à l’exact opposé de l’entrée principale du Sed, située, elle, au bout d’un terrain sans construction et près du camp Yepap.

Pour rencontrer leurs clients au parloir, les avocats doivent traverser la totalité du camp. Laissant à leur droite le bâtiment à étages abritant le bureau du secrétaire d’État, Galax Yves Landry Etoga, ils longent les locaux de la gendarmerie pour atteindre le Scrj et la zone de détention. Il y a encore quelques années, l’accueil se faisait par le sud-est, au niveau du lac municipal et du carrefour sur lequel se situent aussi, de l’autre côté de la route, les locaux du groupement de gendarmerie du Mfoundi. Mais l’accès, trop proche des cellules, a finalement été condamné pour raisons de sécurité.

Ce 3 mars, Jean-Pierre Amougou Belinga et ses codétenus attendent donc de prendre la route sous bonne garde. Le trajet ne sera pas long. Déférés devant le tribunal militaire de Yaoundé, sur la route d’Elig Essono, ils sont attendus par le commissaire du gouvernement Cerlin Belinga. À deux reprises, ils ont échappé à une inculpation et à un transfert à la prison de Kondengui. Mais cette fois, le magistrat en décide autrement : ils sont inculpés. Ils ne réintègreront pas le Sed, où leur séjour forcé n’aura duré qu’environ un mois.

« Son principal objectif, c’est l’isolement »

D’autres « Very Important Prisoners », comme Jeune Afrique les a surnommés il y a quelques années, connaissent beaucoup mieux les cellules du Sed. Le plus célèbre d’entre eux, Marafa Hamidou Yaya y croupit depuis plus de dix ans. L’ancien secrétaire général de la présidence et ex-tout puissant ministre de l’Administration territoriale, condamné en 2012 pour complicité intellectuelle et détournement de deniers publics, s’est reconstruit un quotidien derrière les murs de sa prison. Il occupe aujourd’hui une cellule aménagée dans un bâtiment en forme de U qui abritait naguère des bureaux.

L’ancien patron du Grand Nord, dont l’ambition a fini par effrayer le président Paul Biya, a réussi à aménager quelque peu sa cellule. Il en a fait refaire le circuit électrique et dispose d’un peu de mobilier pour son confort. Comme certains de ses codétenus, dont l’ancien directeur général du Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale, Emmanuel Gérard Ondo Ndong, et l’ex-ministre Polycarpe Abah Abah, il se fait livrer ses repas par ses proches, échappant au quotidien du réfectoire pénitentiaire. Il a aussi accès à la petite cour de promenade, où se retrouvent les autres Vip en quête d’un peu d’exercice ou d’un « bain de soleil », comme le décrit un habitué.

La journée, Marafa Hamidou Yaya et les autres sont libres de leurs déplacements, dans la limite de leur quartier de détention et de ce qu’ils appellent entre eux la « terrasse ». Les cellules, ouvertes vers huit heures du matin, ne se referment qu’en fin d’après-midi, à l’heure où le soleil se couche et où les prisonniers se replient, contraints et forcés, sur eux-mêmes. Certains lisent, beaucoup. D’autres regardent la télévision, quand le câble ne saute pas. Une manière de se prémunir de la solitude. « Le Sed n’est pas un lieu de torture. Il n’est pas conçu pour faire souffrir physiquement, explique un ancien pensionnaire. Son principal objectif, c’est l’isolement. »

Des secrets à protéger

« On vous fait comprendre que vous ne faites plus partie de la vie normale », précise notre source. Emmanuel Gérard Ondo Ndong a ainsi appris un jour, brutalement, que la totalité de ses biens immobiliers avaient été vendus. Une information dévoilée par ses geôliers.

« Le Sed, c’est une torture psychologique. Vous y vivez au secret, au sein d’un groupe très restreint, coupé du monde ».

explique un connaisseur des lieux.

« À Kondengui, même si vous êtes Vip, vous côtoyez des prisonniers de droit commun et il y a plus de visiteurs de l’extérieur, qui entrent avec quelques milliers de francs cfa. Au Sed, les visites sont très réglementées et plus strictes. Les conditions matérielles sont meilleures, mais l’isolement est plus dur ».

ajoute un ancien détenu.

La communauté, dont la plupart des membres se côtoient depuis une décennie, a ses règles que les gardes – des militaires, une entorse au droit international – sont chargés de faire respecter, qu’ils appartiennent à la gendarmerie ou au Scrj. Une chose est sûre : le secret n’y a pas sa place. Les chambres des détenus sont sonorisées et écoutées. Chaque propos est consigné, répertorié, transmis aux grandes oreilles de Galax Yves Landry Etoga, de la Direction générale de la sûreté nationale, pilotée par Martin Mbarga Nguélé, de la Direction générale de la recherche extérieure (Dgre) ou de la Sécurité militaire d’Émile Bamkoui.

« Le Sed est la prison de ceux qui détiennent des informations sur l’État ou sur Paul Biya », résume un visiteur régulier. Rien n’est censé sortir de ses murs ou presque. En une décennie, Marafa Hamidou Yaya est parvenu à plusieurs reprises à faire publier, y compris dans Jeune Afrique, des lettres au chef de l’État, ou à alerter sur son état de santé. Mais, chaque fois, ces failles de sécurité ont agacé au plus haut point Paul Biya, qui a donné l’ordre de serrer la vis. « Le Sed est le lieu où l’on met au secret les prisonniers les plus dangereux, à savoir ceux que le chef de l’État considère comme des menaces pour sa propre survie », explique un ex-collaborateur du président.

Le « fourgon » d’Amadou Ali

Retour en octobre 1997. À l’époque, Marafa Hamidou Yaya n’a pas encore l’envergure qu’on lui connaîtra. Il n’est alors « que » conseiller spécial de Paul Biya. En revanche, depuis le palais d’Etoudi, il est aux premières loges pour assister à la chute d’un ambitieux de Yaoundé, Titus Edzoa. Ce dernier, ancien secrétaire général de la présidence, a démissionné quelques mois plus tôt de son poste de ministre de la Santé pour officialiser sa candidature à la succession du chef de l’État. Impardonnable péché d’orgueil : il est arrêté en avril puis condamné six mois plus tard, au cours d’un procès nocturne sans avocat, à quinze ans de prison pour détournement de fonds publics.

« Edzoa est aussitôt devenu un problème. Paul Biya s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas emprisonner un ancien secrétaire général dans une prison normale », confie un ancien d’Etoudi. Un homme propose au chef de l’État une porte de sortie : Amadou Ali. Le notable de Kolofata est alors l’un des plus proches collaborateurs de Paul Biya en matière de sécurité et a la main sur la gendarmerie comme délégué, puis secrétaire d’État depuis 1983. En 1996, il cumule même cette fonction avec celle de secrétaire général de la présidence puis de ministre délégué à la Défense, un an plus tard. « Biya avait un problème. Amadou Ali lui a apporté une solution », poursuit notre source.

Ali fait donc aménager le Sed qui n’est alors qu’un simple camp militaire. Deux espaces de 7 mètres carrés sont convertis en cellules, au sous-sol du secrétariat d’État, non loin des stocks d’armes des gendarmes. Une pour Titus Edzoa, l’autre pour Michel Thierry Atangana, un de ses proches pressenti pour être son directeur de campagne. Ce dernier s’en souvient. « On appelait cet endroit le fourgon. Il n’y avait pas d’air, pas de lumière et tout était fait pour nous couper du monde. C’était un enfer. Je crois que l’intention était de faire mourir. » Titus Edzoa – condamné une nouvelle fois à vingt ans de prison en 2012 – et Michel Thierry Atangana ne seront libérés qu’en 2014.

« La peur n’a pas disparu »

« Au fil des années, des aménagements ont été apportés, sous la pression des Nations unies et de certains diplomates », explique un visiteur régulier. Le sous-sol où se situaient les premières cellules n’est plus utilisé, si ce n’est comme latrines. Le fameux bâtiment en U où est aujourd’hui incarcéré Marafa Hamidou Yaya l’a remplacé en surface et en 2012, le Sed – lieu de privation de liberté officieux depuis 1997 – est devenu officiellement une « prison secondaire » du Cameroun sur décision du ministre de la Justice, Laurent Esso.
Sa fonction première, en revanche, reste inchangée : protéger les secrets du régime et de son éternel numéro un, Paul Biya. Toute information le concernant est d’ailleurs placée sous le sceau du sacrosaint secret défense, raison pour laquelle nos interlocuteurs ont préféré, avec raison, rester anonymes. Certains nous ont pris pour « des fous » puis, prudents, ont cessé de nous répondre. D’autres, moins catégoriques, ont simplement souri et raconté au compte-goutte leur expérience des lieux. L’affaire Martinez Zogo, qui a exacerbé les tensions à Yaoundé, n’a évidemment rien arrangé.

« Aujourd’hui, les détenus considérés comme les plus dangereux politiquement sont toujours incarcérés au Sed », conclut l’ancien collaborateur d’Etoudi. Des aménagements pourraient même avoir lieu afin d’agrandir les quartiers de détention et accueillir de futurs détenus. « Actuellement, le nombre de places est limité. C’est pour cela qu’on a envoyé Amougou Belinga et Eko Eko à la prison principale de Kondengui, où ils sont détenus avec les leaders séparatistes ambazoniens, confie un proche de la présidence. Le pouvoir a besoin de ces espaces Vip, et donc du Sed. Cette prison est née de la peur du régime. Et la peur n’a pas disparu. »

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