Par Léopold Dassi Ndjidjou
Le titre de la Conférence de presse était en lui-même assez révélateur de l’étendue des accusations qui allaient être portées sur les agissements jugés répréhensibles aux yeux de la loi électorale par Maurice Kamto, le leader du Mrc. « Conférence de presse sur les manipulations frauduleuses des inscriptions sur les listes électorales orchestrées par la direction générale des élections d’Elecam et ses partenaires techniques allemands (…) », est à cet égard on ne peut plus clair.
« Il faut croire que le Dg d’Elecam et son équipe de fraudeurs impénitents, composée entre autres des partenaires techniques allemands d’Elecam (Giesecke & Devrient et Veridos), nourrissent un projet funeste pour le Cameroun », annonce Maurice Kamto d’entrée de jeu. Pour illustrer cette affirmation, il fait savoir que depuis au moins l’ouverture de la campagne des inscriptions sur les listes électorales au 2 janvier 2024, la direction générale d’Élecam n’a rien épargné pour briser l’engouement et la mobilisation exceptionnelle des Camerounais. Au sein de la diaspora comme ici au pays, il précise que cette direction s’est obstinée à violer le Code électoral pour empêcher au plus grand nombre de citoyens camerounais de s’inscrire sur les listes électorales. « Tout se passe comme si l’engouement de nos compatriotes contrariait leurs plans, notamment l’objectif de bloquer le corps électoral autour de 7,5 millions. Par rapport aux Camerounais de la diaspora, il s’est arrogé les pouvoirs du législateur, rien moins que ça, pour conditionner les inscriptions à des documents, parfois irréalistes, en tout cas non prescrits par la loi », ajoute-t-il pour mieux accabler Erick Essousse et les siens. Dans le même sens et toujours au sein de la diaspora, il révèle qu’alors aux termes de la loi, la période annuelle des inscriptions sur les listes électorales va du 2 janvier au 31 août, cette direction a ramené cette période parfois à quelques semaines, voire quelques jours seulement.
« Nous détenons de nombreuses preuves de cette situation arbitraire et inacceptable », affirme le professeur de droit plus que jamais offensif. À ces faits, souligne-t-il, s’ajoutent la publication d’un nombre total surréaliste des inscrits sur les listes électorales pour l’année 2024. Par exemple, sans ouverture des listes électorales en diaspora depuis le scrutin présidentiel du 7 octobre 2018 et donc sans aucune possibilité de recourir à la « potion magique de fraude qu’est le toilettage », le nombre des inscrits a miraculeusement fondu sur la liste rendue publique par un communiqué le 10 janvier 2024.
« Ça, c’est de l’art. Mais un art grossier de fraude électorale. C’est ici qu’intervient la responsabilité criminelle des entreprises allemandes Giesecke & Devrient et Veridos, partenaires « techniques » d’Elecam », assène le leader du Mrc. Selon lui, ce sont ces partenaires qui ont conçu le logiciel d’inscription sur les listes électorales, ce système paramétré pour donner au final le nombre total d’inscrits par pays en ce qui concerne la diaspora, par région, département, commune et bureaux de vote, décidé à l’avance, et sans rapport avec les vraies inscriptions. « Il est mortifère pour notre démocratie », enfonce-t-il. Quant à ce qui s’est passé ici au Cameroun, il indique que Elecam a ouvert les inscriptions dès le 2 janvier 2024, « tous ont été témoins de toutes les manœuvres grossières du Dg d’Elecam pour décourager et même empêcher les Camerounais d’aller s’inscrire massivement sur les listes électorales », ajoute-t-il avant de poursuivre que par un communiqué contraire à la mission même de l’organisme qu’il dirige, le Dg a sommé ses collaborateurs de clôturer les inscriptions en semaine à 15 heures et surtout de ne pas faire d’inscription les samedis et dimanches, soi-disant, pour respecter le droit du travail. Bien plus, Maurice Kamto indique qu’en plus de restreindre arbitrairement les horaires des inscriptions, « le Dg d’Elecam a organisé le sabordage de cette opération en refusant de mettre à la disposition du nombreux public des kits d’inscription suffisants pour absorber l’exceptionnelle mobilisation des Camerounais ».
Il conclut qu’on est là face à une volonté assumée de fausser les résultats finaux du scrutin présidentiel à venir. Alors que la loi fait d’Elecam un organisme indépendant, il révèle que curieusement, le Dg l’a placé sous la tutelle du pouvoir dont il agit sous la dictée. « N’est-il pas militant du Rdpc dont il est resté un militant publiquement assumé », se demande-t-il pour terminer.
La violation de la loi, déni de justice et manoeuvres
Que dire de la violation de l’article 80 du Code électoral en 2023 ? « Vous avez constaté comment, récemment, dans un procès intenté par Monsieur Abdouramane Baba Ahmadou contre M. Érick Essousse, Dg d’Elecam, pour violation de l’article 80 du Code électoral, par une gymnastique juridique, le président du Tribunal de grande instance du Mfoundi a refusé, en violation de l’article 18 alinéa 2 de la loi N° 2006-015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire, de se prononcer sur une infraction qui relève manifestement de sa compétence », cite Maurice Kamto pour expliciter l’étendu du mal. Bien plus, il dit que malgré tous les obstacles dressés par le Dg d’Elecam avec le concours de ses partenaires « techniques » allemands, au 31 août 2024, Elecam s’est résignée à admettre que 8.111.960 Camerounais étaient désormais inscrits sur les listes électorales. Par la suite, à travers l’opération de toilettage qu’il qualifie de « potion magique », Elecam a taillé sévèrement dans le nombre final d’électeurs inscrits.
Par ailleurs, dans le cadre de la publication des listes électorales provisoires, alors que l’article 78(2) du Code électoral dispose clairement que « (…) le responsable du démembrement départemental d’Elections Cameroon transmet les listes électorales provisoires correspondantes aux démembrements communaux concernés pour affichage « au plus tard le 20 octobre », le 16 octobre 2024, Elecam a plutôt dit à « partir du 20 octobre 2024 », violant ainsi le délai légal de l’affichage des listes électorales provisoires. En outre, des semaines après le 20 octobre 2024, plusieurs communes n’avaient toujours pas vu leurs listes électorales provisoires affichées.
Dans la diaspora, jusqu’au 6 novembre des listes électorales provisoires n’étaient toujours pas affichées. Plus grave, en violation de la loi, et sans concertation aucune avec les acteurs du processus électoral, certaines représentations diplomatiques du Cameroun ont fixé des dates à leur convenance pour la fin des réclamations après affichage des listes électorales provisoires, les limitant parfois à une seule journée, voire sur quelques heures seulement. C’est le cas par exemple à Bruxelles. A côté de ceci, alors qu’aux termes de l’article 78(2) qui dispose que « (…) le responsable du démembrement départemental d’Elections Cameroon transmet les listes électorales provisoires correspondantes aux démembrements communaux concernés pour affichage au plus tard le 20 octobre », on a constaté que c’est la Dg d’Elecam qui a transmis aux démembrements communaux, sous le couvert des démembrements régionaux, des listes électorales provisoires, non pas dans un fichier informatique mais déjà imprimées sur papier pour affichage.
Les démembrements départementaux qui, au regard de la loi, sont au cœur de la production des listes électorales provisoires ont donc été réduits au rôle de facteurs entre les démembrements régionaux et les démembrements communaux. « Je donne tous ces détails afin que le Dg d’Elecam sache que nous sommes au courant des actes précis qui attestent de ses fraudes.
S’il veut contester ces faits graves, qu’il apporte aux Camerounais la preuve que ce sont bien les responsables des démembrements départementaux « (…) après la saisie, les vérifications techniques et l’établissement du fichier électoral provisoire du département (…) », qui ont effectivement transmis aux démembrements communaux les listes électorales provisoires pour affichage” au plus tard le 20 octobre ” », met-il au défi le Dg d’Elecam. Il réitère par ailleurs que le Dg avait profité du prétendu « toilettage » pour écarter illégalement du fichier électoral pour défaut d’empreintes, 120.000 citoyens pourtant détenteurs du fameux récépissé d’inscription, preuve légale par excellence. « Comment peut-il se permettre de priver ainsi un si grand nombre de Camerounais de leurs droits civils et politiques fondamentaux ? Car, ce qu’on appelle système électoral biométrique au Cameroun est une énorme escroquerie d’Elecam et ses soi-disant partenaires “techniques” allemands Giesecke & Devrient et Veridos, qui a coûté près de 8 milliards de franc à notre pays », étale-t-il avant de poursuivre que le vote n’étant pas biométrique on se demande à quoi pourrait bien servir les empreintes digitales dans un vote manuel fondé sur l’identification du votant dont Elecam détient une copie de la carte nationale d’identité ainsi que sa photo, et qui, le jour du vote, se fait identifier par ladite carte nationale d’identité et le récépissé d’inscription délivré par Elecam. Il a par ailleurs relevé que depuis l’adoption du Code électoral en 2012 et « l’adoption de la fausse biométrie dans notre pays, c’est la première fois qu’on écarte des citoyens régulièrement inscrits sur les listes électorales pour défaut d’empreintes digitales. Et puis à qui la faute ? N’est-ce pas Elecam qui délivre les récépissés d’inscription et, se faisant, donne les assurances au citoyen qu’il est effectivement inscrit », s’interroge-t-il à ce sujet. Il s’agit là d’une affaire à suivre qui tient en haleine l’opinion publique.