Par Joseph OLINGA N.
Les dix points qui caractérisent l’impact de la loi des finances sur les entreprises.
Dans la perspective de l’élaboration de la loi de finances 2023, le DGI a mené le 14 septembre 2022 dernier à Douala, des concertations avec le patronat du Gicam. Il s’agissait, nous avait-on dit, de recueillir les attentes et les propositions du Gicam en vue de l’amélioration du système fiscal. Sous ce prisme, que nous révèle le projet de loi n°2030/PJ/AN portant loi de finances de la république pour l’exercice 2023 quasi adopté par la Commission des Finances et du Budget de l’Assemblée Nationale ? Une fois encore, l’examen par la mise en regard des deux documents ayant circulé, nous indique que 44 articles ou dispositions du CGI dans le Livre premier sur les différents types d’impôts et taxes ont été revus ; 19 articles du Livre deuxième ou Procédures Fiscales ; et enfin, l’article C52ter dans le troisième livre portant sur la fiscalité locale. Que retenir des changements affectant soit l’assiette, soit le taux de prélèvement des différents impôts et taxes du Livre Premier ? Dix (10) points ou articulations ont été partagés avec nos sources et analystes. En voici l’économie.
1-Dans le calcul du bénéfice imposable (cf. article 7 du CGI) des entreprises brassicoles, les «pertes» induites par les « avaries et casses exposées » sont désormais déductibles forfaitairement à 1% contre 0,5% jusqu’ici.
2- Depuis l’exercice 2020, le taux de l’impôt sur les sociétés des contribuables réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 3 milliards était de 28%. Il est projeté être ramené à 25% dès 2022.
3- L’alinéa 3 de l’article 18 portant sur l’assiette de l’impôt sur les sociétés et relatif aux obligations des personnes imposables notamment les entreprises, jadis supprimé jusqu’en 2022, est rétabli en ces termes : «la déclaration visée à l’alinéa premier (déclaration des résultats)du présent article est obligatoirement accompagné du Document d’Information sur le Personnel Employé (Dipe)qui doit être présenté suivant le modèle fourni par l’administration».
4- S’agissant du paiement de l’impôt par les entreprises des «secteurs à marge administrée», les dispositions du point b) de l’alinéa (1) à l’article 21 du CGI jusqu’ici accordées aux entreprises de production des «minoteries», sont étendues aux entreprises de production des «industries pharmaceutiques» et des «engrais». Il s’agit du paiement mensuel au plus tard le 15 du mois suivant l’activité, d’un acompte représentant 2% du chiffre d’affaire mensuel réalisé, et ce, après abattement de 50%. De même, les entreprises de distribution du secteur des « engrais » sont désormais incluses dans la sphère des dispositions du point c) de cet article 21 du CGI, avec l’obligation du paiement d’un acompte de 14% sur le chiffre d’affaire mensuel réalisé. Pour ce qui est de la « perception du précompte », sont exclus : les achats effectués par les organismes à but non lucratif, ainsi que les achats en détail auprès des importateurs/distributeurs.
5- Relativement à l’impôt sur le revenu des personnes physiques (revenu sur les capitaux mobiliers ou revenus des détenteurs d’actions dans le capital des entreprises), l’article 70 du CGI en son alinéa (1) est renforcé pour étendre l’assiette aux personnes morales ; et le taux de prélèvement sur le revenu (dividende et prime distribués) imposable passe de 15 à 30% pour les actionnaires domiciliés ou établis dans un territoire ou état reconnu comme paradis fiscal.
6- le classement des contribuables selon les différents régimes fiscaux enregistre à l’article 93 quater du CGI, le maintien au « régime réel » d’imposition, les entreprises individuelles et les personnes morales réalisant un chiffre d’affaire annuel hors taxes égal ou supérieur à 50 millions F cfa ; et intègre dorénavant, sans considération de leur chiffre d’affaires : les nouveaux contribuables des secteurs pétrolier, minier, gazier, du crédit, de la micro-finance, de l’assurance et de la téléphonie mobile d’une part, les entités bénéficiaires d’un agrément à l’un des régimes codifiés dans la loi n°2013/004 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privé d’autre part, ainsi que les titulaires des charges notariales en dernière part.
7- Au chapitre des «mesures incitatives», la future loi de finances 2023 distingue les mesures d’accompagnement fiscal des Pme, de celles relatives à la promotion de la politique de l’import-substitution, l’un des marqueurs de la Snd30. Aussi pouvons-nous relever qu’un partenariat fiscal intégré est proposé aux groupements de contribuables dans le but certainement d’élargir les possibilités de réduction du champ de l’économie informelle. Les dispositions de l’article 119bis, article nouveau dans la version 2023 du CGI, viennent compléter celles de l’article 119, relatives à la promotion des centres de gestions agréés des contribuables aguichés par l’abattement de 50% du bénéfice fiscal et du précompte sur les achats des distributeurs. Un rapport détaillé sur les résultats obtenus par l’administration fiscale sur l’application de l’article 119 du CGI aurait permis à la Représentation Nationale de mieux s’assurer de l’intérêt, en termes de rendement fiscal, des dispositions du nouvel article 119bis , dont l’alinéa (5) indique que les « modalités de mise en œuvre du partenariat fiscal intégré sont précisées par un texte particulier».
8- Pour ce qui est de la promotion de la politique de l’import-substitution, les dispositions fiscales y relatives font référence, d’une part, à la promotion du secteur agricole (cf. article 122) pour la production agricole, pastorale et halieutique, et d’autre part, à la transformation locale des matériaux de construction (cf. articlec123), des boissons locales (cf. article 124), et enfin, des «autres produits» (cf. article 124A) issus de la transformation d’une matière première locale dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, des produits du cuir et de l’ébénisterie.
Il convient de noter que la promotion du secteur privé agricole reste un serpent de mer au regard de l’absence d’une réforme agraire, d’un véritable plan d’aménagement du territoire assorti des démembrements communaux, et surtout, des données de base d’un recensement général de l’agriculture et de l’élevage. En effet, et jusqu’ici, les allocations budgétaires aux ministères sectoriels (Minader et Minepia) sont uniquement fondées sur des estimations fictives de la production agricole et halieutique. Le niveau des importations et la flambée des prix sur les denrées locales (cultures vivrières) attestent de « l’insuffisance alimentaire » ou « insuffisance de la production agricole » qui caractérise notre économie et limite fortement sa mutation vers l’industrialisation. Il va s’en dire, sur ces éléments constants, que la transformation locale en produits d’alimentation ou des boissons de nos produits (vivres et fruits) restera un vœu pieux tant que la production en amont ne sera pas maîtrisée.
S’agissant de la transformation des matériaux de construction, l’incitation fiscale est promise ou dédiée à une entreprise publique, « sous assistance respiratoire » d’année en année par des « subventions ». Son ex DG a d’ailleurs préféré se réfugier à la tête d’une université d’Etat après avoir mis en « confinement » la Mipromalo. Malheureusement, pour le public, les dispositions de l’article 123 du CGI, reprises dans les versions ayant circulé, sont identiques en ces termes : «article 123 : les établissements publics de promotion des matériaux locaux de construction bénéficient des avantages fiscaux ci-après : Le reste sans changement ». Dans cette rédaction, il ne nous est clairement apparu aucune disposition fiscale nouvelle. Or, dans sa version du 1er janvier 2022, le CGI y indique trois avantages fiscaux portant sur : l’exonération de la TVA sur l’achat des équipements de fabrication et sur les produits fabriqués ; un taux réduit de 20% pour l’impôt sur les sociétés ; et, l’application d’un abattement de 50% sur la base de l’acompte mensuel de l’impôt sur les sociétés. Qu’a dit le Minfi aux parlementaires sur cette « omission » ? La version finale de la loi adoptée et promulguée nous situera.
En ce qui concerne la transformation locale des «autres produits», les entreprises des secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, des produits du cuir et de l’ébénisterie sont incitées à se constituer et à utiliser la matière première locale, moyennant, pendant les cinq premières années, l’application d’un abattement de 50% au titre de l’acompte mensuel, l’impôt sur le revenu et le minimum de perception.
9- Relativement et spécifiquement à la Tva, le champ des exonérations (cf. article 128 du CGI) est, dans la liste des biens de première nécessité, étendu « aux produits du cru vendus directement par les agriculteurs, éleveurs et pêcheurs » d’une part, aux « achats de denrées alimentaires de première nécessité effectués auprès des agriculteurs, éleveurs et pêcheurs par les entités publiques en charge de la régulation et de la gestion des stocks de sécurité » d’autre part. Dans un système de commercialisation non normé des produits vivriers, fondé de surcroît sur la mesure par le « tas » et pas sur le kilogramme, et exécuté en dehors des supermarchés et hors de toute facturation, l’observateur averti s’interroge encore sur l’applicabilité d’une telle disposition fiscale. Quels seraient, dans le cadre de la loi de finances 2023 en cours d’examen, les engagements du Mincommerce à faire évoluer les pratiques informelles des acteurs de cette filière ? Y a-t-il eu concertation gouvernementale à ce sujet ? L’incohérence de l’action gouvernementale bien établie nous confine au pessimisme. Et dans ce même registre de la TVA, le taux de liquidation à l’article 142, est fixé à « 5 F Cfa par unité d’emballage non retournable, plafonné à 5% de la valeur du produit, pour tous les autres produits ».
10- Dans les «impôts et taxes divers» du Titre IV dans le CGI, relevons ici, et premièrement, la taxe de 0,2% appliquée sur les transferts d’argent (cf. article 228 quinquies) et désormais limité « au montant de la commission perçue par l’entreprise prestataire » dans les transferts postaux. Deuxièmement, et pour ce qui est de la fiscalité spécifique sur les «produits pétroliers», l’institution à l’article 229 nouveau du CGI, une taxe spéciale sur la vente du « gaz naturel à usage industriel », soit 70 francs Cfa par mètre cube.
Avec un débat d’orientation budgétaire mené pendant la session de juin en l’absence des données réalisées au titre de l’exécution de la loi de finances 2021 et des six premiers mois de l’exercice 2022, et la signature en août 2022 de la circulaire du Président de la République définissant et encadrant la politique budgétaire, la concertation de septembre dernier entre l’administration fiscale et les entreprises du Gicam n’était-elle hors contexte ? Pour les créateurs de richesses au Cameroun, le système fiscal national demeure «confiscatoire et dissuasif». Pour y remédier, Célestin Tawamba, le Patron des Patrons avait formulé les recommandations ci-après :
« (i) le changement de paradigme fiscal, avec un rapide retour à l’imposition des entreprises basé, non pas sur le chiffre d’affaires, mais sur le bénéfice réalisé, car selon lui, le principe de l’Impôt sur les Sociétés (IS) mensuel a dénaturé le principe économique qui régit l’imposition sur le revenu ;
(ii) l’implication du Patronat, en amont de la préparation de la Circulaire de cadrage budgétaire du Président de la République ;
(iii) la prise en compte dans la Loi des Finances 2023 du contexte économique fait d’entreprises grandes, moyennes et petites, qui souffrent et manquent d’oxygène du fait de crises successives ces dernières années, au point de naviguer entre la baisse de l’activité pour certains, l’arrêt complet pour d’autres et du basculement dans l’informel pour d’autres encore ;
(iv)l’instauration d’un véritable climat de confiance dans le dialogue entre l’administration fiscale et le Patronat et, d’une manière générale, entre l’Etat et le Secteur privé. Un dialogue et une concertation empreints de sincérité et de compréhension mutuelle. » Y sont-ils arrivés avec les dispositions fiscales ci-dessus exposées, ainsi que celles sur les « autres impôts et taxes » (prochain article) consacrant l’augmentation des coûts notamment, et entre autres, le prix du timbre fiscal ? Dans l’attente de l’évaluation des résultats de la session budgétaire 2022 du parlement, les griefs des entrepreneurs camerounais restent d’actualité. Il s’agit, selon les chefs d’entreprises du Gicam, et entre autres : l’obligation du paiement d’un impôt sur les sociétés équivalent à 40, 50, 60% voire plus du bénéfice brut ; le paiement dudit impôt sur les sociétés par les entreprises subissant des pertes dans leurs résultats annuels ; l’accès au contentieux fiscal qui requiert la mobilisation de fonds importants, facteur de blocage pour les opérateurs qui n’en disposent pas et d’importantes immobilisations de trésorerie pour les autres ; l’Amr, véritable obstacle à la continuité des activités de production ; le cercle vicieux des contrôles fiscaux et notifications des redressements exorbitants, dépassant parfois leur chiffre d’affaires, etc.