Par Léopold Dassi NDJIDJOU
Pourquoi une loi sur les startups est-elle nécessaire ? Telle est l’interrogation qui a nourri les échanges au cours des assises de plus de deux heures et trente minutes. Le panel de discussion, pour expliciter l’interrogation, a apporté des éclairages tour à tour sur l’environnement, le paysage des startups ; le contenu qu’aurait cette loi pour encadrer le secteur et autres défis. Les experts conviés sont : Marienne Makoudem Tene, chargée de recherches au ministère de la Recherche scientifique et de l’innovation (Minresi) ; Jean André Issibe, ingénieur en informatique et réseau au ministère des Postes et télécommunications (Minpostel) et Armélia Lesley Kaze Kenyo, directrice du marketing et de la communication à la startup « SalezUp ».
Après leurs exposés, il y a eu des échanges avec les managers des startups. En toile de fond, toutes les parties prenantes misent sur une loi qui va clarifier le milieu car même la définition de la startup est encore une nébuleuse. Un startupeur ivoirien a indiqué que dans son pays, un groupe de 20 startups dans le secteur du numérique a porté le plaidoyer et le lobbying pour le vote de la loi sur les startups. Il faut préciser que déjà le 12 juin dernier, le Dr Tankeu M. Yolande, analyste des politiques économiques à la Fondation Denis et Lenora Foretia, parlant du plaidoyer pour une startup Act indiquait à la fin la session que non seulement elle fut un espace de networking pour les startups mais également un pilier sur lequel on pouvait s’appuyer pour les échanges futures notamment dans l’adoption de la startup act, une loi sur les startups. Elle avait par ailleurs émis le vœu d’une émulsion au sein du gouvernement pour que la loi sur les startups soit votée et adoptée au parlement.
Au cours des échanges de ce jour, si officiellement au Minpostel on recense 2000 startups enregistrées, seulement 27% sont en règle auprès de la Direction générale des impôts. Beaucoup estiment que ces chiffres sont minorés et qu’en réalité on peut les multiplier par trois, quatre ou cinq. C’est dire que beaucoup de startups vivent dans l’informel. Pourtant le pays est classé 116ème mondial et 2ème en Afrique centrale. Le vote d’une loi serait la bienvenue pour mettre de l’ordre, et donner une visibilité mondiale sur le réel potentiel du Cameroun.
En ce qui concerne l’environnement ou l’écosystème des startups, les difficultés sont légion. On ne parle plus de la connexion internet, de la disponibilité de l’énergie électrique, de la ressource humaine de qualité, du financement, du manque de l’esprit entrepreneurial qui devrait animer le promoteur de chaque startup. L’essentiel n’est pas de créer une startup mais de se demander comment elle va tenir sur le long terme. Les acteurs, à l’écoute des sectoriels, ont sur le champ demandé à ces derniers de faire ce qui est en leur pouvoir pour qu’une loi soit déposée au plus tôt sur la table des députés. Les départements tels que le Minspostel, le ministère des Petites et moyennes entreprises, de l’économie sociale et de l’artisanat (Minpmeesa) et le ministère des Finances entre autres travaillent en synergie en amont pour l’adoption de cette loi urgente pour laquelle le think Tank Nkafu Policy Institute travaille pour la prise en compte des attentes réelles des startups.
Une loi urgente
La loi est très urgente. Le dispositif réglementaire actuel n’épouse pas véritablement cette catégorie d’acteurs qui pourtant s’affirment être des maillons importants dans pratiquement toutes les chaînes de valeurs, dans toutes les filières à fort potentiel de croissance. Donc, la loi qui sera votée maintiendra les équilibres entre les droits et les prérogatives. Elle va également assurer le maintien, le respect, la préservation des intérêts mutuels. La loi dans son esprit, vient à établir des règles à observer par toutes les parties prenantes. La loi est plus que urgente aujourd’hui dans ce domaine pour faire la lumière sur les différents secteurs de la startup aussi. Il y a au Cameroun un dispositif qui est là, mais elle est insuffisante car elle ne prend pas en compte cette catégorie d’acteurs majeurs dans l’économie. Une telle loi permettrait au gouvernement de mieux jouer son rôle, à la société civile, au secteur privé d’être là, et organiser ce secteur pour en tirer le meilleur parti. Il y a déjà la loi de 2010 sur les Pme qui a été modifiée en 2015 mais aujourd’hui, au regard de l’évolution technologique, il y a eu des évolutions qui font que ces acteurs qui prennent le poil de la bête dans l’économie mondiale, ne peuvent plus être mis de côté. Nécessairement, les stratégies gouvernementales doivent aller jusqu’à ce niveau-là, capter cette catégorie d’acteurs qui agit en amont des structures légalement constituées que sont les Pme. Il y a donc lieu de formuler des politiques conséquentes pour leur encadrement.
Réactions :
Armélia Lesley Kaze Kenyo, directrice du marketing et de la communication à la startup « SalezUp »
« Nous attendons une réglementation assez claire »
« Ce que nous attendons est une réglementation assez claire, pas ambigüe du tout. Avec un accompagnement précis de l’Etat camerounais, l’accès au financement, un accompagnement véritable pour ce qui est des startups. Ce n’est pas facile d’être startupeur au Cameroun. Au début, il faut avoir le financement, ce qui n’est pas toujours facile. Avec l’assistance et les moyens que l’Etat nous met à disposition, cela permet de se frayer son petit bonhomme de chemin »
Guy Oscar Nwai Tsangmen directeur général de Rot² Stone, One vision, one design
« On se dit à certains moments que le système n’est pas favorable à notre éclosion »
« Je tiens tout d’abord à remercier la fondation Denis et Lenora Foretia. C’est toujours intéressant de prendre part à ce genre d’atelier pour parler des problèmes sociaux, économiques dans le cadre de la startup. En tant que chef d’entreprise, ça a été très intéressant de savoir au cours de ces échanges où je me situe et où je dois être pour bénéficier de certaines choses. Ça a été très intéressant d’écouter les différents ministères. A notre niveau, nous sommes confrontés à trop de difficultés, à trop de peines. On est même parfois tenté d’abandonner. On se dit à certains moments que le système n’est pas favorable à notre éclosion. Mais quand on écoute ces différents responsables, cela nous booste et on se dit que les choses vont certainement s’améliorer demain. Nous faisons dans le Btp et nous sommes en passe de fabriquer un produit innovant pour le revêtement des maisons. Le but est de limiter l’usage des peintures et des carreaux qui ont une faible période de vie par un produit qui durera plus longtemps. Nous valorisons les matériaux locaux pour le revêtement mural ».
Jean André Issibe, ingénieur en informatique et réseau au ministère des Postes et télécommunications (Minpostel)
« C’est une catégorie d’acteurs majeurs qu’il va falloir pouvoir encadrer »
« Le Cameroun connaît une croissance prometteuse en fonction du nombre des startups qui présente un fort potentiel, en termes d’innovations et de créations d’emplois. Nous sommes dans cet environnement là où, quels que soient les secteurs et les filières, vous allez trouver les startups camerounaises intervenues à des maillons des chaînes de valeur qui apportent effectivement des solutions innovantes à nos problèmes endogènes. Donc, c’est une catégorie d’acteurs majeurs qu’il va falloir pouvoir encadrer, accompagner, et lui permettre de jouer pleinement son rôle parce que nous pensons qu’elles interviennent efficacement dans la croissance de notre économie. Pour illustrer cela, seulement au ministère des Postes et télécommunications, l’administration chargée du numérique, le fichier actuel affiche une présence d’environ 2000 startups, vous comprenez qu’il y a tout une dynamique. Si l’on s’en tient à l’étude qui avait été faite en 2016, conduite par le Direction générale des impôts, on note que le fichier des startups enregistrait à ce moment-là environ 27,50%. Environ 73% de startups se retrouvent en train d’agir dans un cadre qu’on dirait plus ou moins informel, parce que non constituées en entreprises. Et cela pose un réel souci. »
Marienne Makoudem Tene, chargée de recherches au ministère de la Recherche scientifique et de l’innovation (Minresi)
« Proposer un texte de loi ou voter une loi qui doit adresser de manière efficace le secteur »
« La question des startups au Cameroun, tout le monde convient qu’il est nécessaire de définir une loi pour les encadrer et tirer profit de ce grand secteur. La difficulté se trouve aujourd’hui au niveau de la maîtrise de toute la problématique et de tous les défis que les startups rencontrent. Aussi, on connaît le temps que ça prend pour arriver à un projet de loi, et aussi la multiplicité des acteurs. Les différents points de vue doivent être pris en compte, les différentes dimensions des besoins des startupeurs ainsi que des acteurs doivent être prises en compte. Cela peut expliquer, un peu pourquoi il y a ce retard, mais aussi un problème de compréhension de la problématique des startups. Si on ne comprend pas bien la problématique, on peut proposer un texte de loi ou voter une loi qui ne doit pas adresser de manière efficace le secteur et faire profiter de la manne. Lorsque les parties prenantes comprennent que c’est un secteur intéressant, ils vont se rendre aussi compte du fait qu’il est nécessaire de faire avancer rapidement la loi. Surtout qu’il y a la mutation qui est dans le secteur, plus on va perdre le temps, plus on va être pris de court par l’évolution du marché national et continental qui est en train de s’ouvrir à nous. On a intérêt à pouvoir accélérer au niveau des différents ministères et au niveau des différents acteurs qui ont un mot important à dire afin que la loi soit sur la table des députés et qu’elle puisse être adoptée ».
Propos recueillis par L.D.N.