Par Serge Aimé Bikoi
Le juge du Tribunal criminel spécial (Tcs) a finalement rendu le verdict dans l’affaire liée aux supposés détournements de deniers publics pour laquelle ils avaient été mis en jugement. Il y a un an, un autre ancien patron de l’Université de Douala, Dieudonné Oyono, avait, lui aussi, été acquitté pour faits non-établis après quatre ans de tourbillon judiciaire. Il en est de même du cas de Edouard Etonde Ekotto, ancien délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Douala, qui, lui aussi, avait passé huit ans de prison pour rien tant il avait été acquitté pour faits non-établis. Le fait lié à l’acquittement de certaines personnalités publiques camerounaises incline à questionner la systématisation de la méthodologie de l’opération épervier 17 ans après son operationalisation.
Lorsque la fameuse opération épervier est née en 2006, la fonction qui lui avait été assignée est celle liée à la lutte contre la grande corruption et les détournements de fonds publics. En effet, à la base, l’opération épervier souscrit à la double Philosophie biyaïste du renouveau axée sur rigueur et moralisation tant l’objectif primordial est celui de travailler à l’assainissement des mœurs et des finances publiques. Vu sous ce prisme, bien de gros bonnets de la république avaient été happés par les serres de l’oiseau rapace. Emmanuel Gérard Ondo Ndong, Gilles Roger Belinga, Alphonse Siyam Siwe, Zacchaeus Fornjindam, Roger Ntongo Onguene, Paul Ngamo Hamani, Jean-Baptiste Nguini Effa sont, entre autres, des exemples des barons ayant été arrêtés, inculpés, puis condamnés à des lourdes peines d’emprisonnement ferme.
Quelques années plus tard, une autre grille de lecture a été corrélée à l’opération épervier. C’est celle d’une opération d’épuration politique. En fait, les postulants de cette thèse appréhendent l’opération épervier comme une action de règlement de comptes visant à éliminer les pontes de l’État qui ont maille à partir soit avec certains ministres de la république, soit avec l’actuel chef de l’État du Cameroun. En arpentant les couloirs judiciaires ces dernières années, l’on a découvert que certains détenus sont des prisonniers d’un ministre d’État alors que d’autres sont des prisonniers du chantre du régime de Yaoundé. L’affaire de l’avion présidentiel, qui avait défrayé la chronique il y a plus d’une décennie, avait mis au goût du jour la fameuse nébuleuse du G11. Il s’agit d’une génération de personnalités publiques accusées d’avoir commandité l’achat d’un “mauvais avion” et auxquelles l’on avait attribué des intentions malsaines d’attenter au pouvoir du chef de l’État. En un mot, cette génération 2011 était, à tort ou à raison, accusée de manœuvrer, sous cape, pour renverser le régime de Yaoundé. Bien d’anciens membres du gouvernement aujourd’hui condamnés et écroués à la prison centrale de Yaoundé avaient été cités. Certains avaient même parlé du gouvernement du G11. Inoni Ephraim, ancien premier ministre ; Jean-Marie Atangana Mebara et Marafa Hamidou Yaya, tous les deux anciens Secrétaires généraux de la présidence de la république ; Polycarpe Abah Abah, ancien ministre des Finances ; Urbain Olanguena Awono, ancien ministre de la Santé publique ; Yves Michel Fotso, ancien administrateur-directeur général de la Camair sont, entre autres, des figures citées à l’époque comme membres du G11. Info ou intox ? Allez donc savoir! De toutes les manières, c’est à cause de la traque de ces anciens hauts commis de l’État que la grille de lecture de la perception de l’opération épervier comme une opération à tête chercheuse avait été émise. Question de battre en brèche l’idée initiale de la lutte contre la prévarication des deniers publics.
Au-delà de la confrontation de ces deux courants d’intelligibilité diamétralement opposés, il est à noter l’absence de lisibilité, de visibilité et de traçabilité de l’opération épervier. L’on n’a, par exemple, aucun chronogramme d’arrestations depuis l’enclenchement de cette opération. Surtout que tout est dicté par le sommet de l’État. Le fait que le chef de l’État donne, au préalable, son aval pour faire interpeller tel ou tel matérialise les interférences entre l’exécutif et le judiciaire et marque, pour ainsi dire, la difficile séparation des pouvoirs et, singulièrement, celle entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Ceci est d’autant plus avéré lorsque l’on voit, par exemple, les hautes instructions du président de la république pour demander au ministre d’État, ministre de la Justice, garde des sceaux, d’accorder une onction à la procédure de remboursement du corps du délit de certains anciens membres du gouvernement. Le cas illustratif de l’ancien ministre de l’Eau et de l’Energie(Minee), Basile Atangana Kouna, reste encore frais dans nos mémoires. Lui qui, après avoir remboursé le corps du délit évalué à 1milliard 262 millions de Fcfa, a été libéré le 29 juillet 2022. Il en est de même de l’ancienne ministre de l’Education de base(Minedub), Haman Adama, qui, après avoir remboursé le corps du délit évalué à 262 millions de Fcfa, avait été remise en liberté le 20 février 2013.
Autant l’opération épervier est une opération à tête chercheuse, autant l’évacuation sanitaire des prisonniers de luxe est à tête chercheuse. Comment comprendre que Inoni Ephraim et Yves Michel Fotso aient pu bénéficier, de toute urgence, d’une évacuation sanitaire le premier en France et le second au Maroc alors que Henri Engoulou, ancien secrétaire d’État au ministère des Finances (Minfi), et Gervais Mendo Ze, ancien Directeur général de la Crtv(Cameroon radio and television), étaient restés cloués en prison et avaient rendu l’âme dans des formations hospitalières du pays.
Quelle est donc la critériologie déterminée pour qu’un prisonnier donné, ancien haut commis de l’État, ait droit à une évacuation sanitaire ? Mystère ! D’autres grosses légumes, qui croupissent dans les différents milieux carceraux, sont, eux aussi, meurtris, amaigris et risquent d’être happés par l’engrenage de la mort. Iya Mohamed, ancien Directeur général de la Société de développement du coton(Sodecoton), Amadou Vamoulke, ancien Directeur général de la Crtv, Jean-Baptiste Nguini Effa, ancien Directeur général de la Société camerounaise de dépôts pétroliers (Scdp), Charles Metouck, ancien Directeur général de la Société nationale de raffinage (Sonara), Gilles Roger Belinga, ancien Directeur général de la Société immobilière du Cameroun (Sic), Jean-Marie Atangana Mebara, ancien Sgpr, etc sont, aujourd’hui, dans un état de morbidité chronique avancé au point où, las d’attendre une évacuation sanitaire, ils risquent, finalement, de passer l’arme à gauche. Triste destin pour les prisonniers de luxe!