Par Serge Aimé BIKOI
En 42 ans d’exercice du pouvoir, le Président de la République a, chaque fois, su formuler les petits mots qui, substantiellement, s’inscrivent dans la mouvance de la sémantique du propos présidentiel.
Très souvent, c’est face à l’adversité que Paul Biya use de cette “violence symbolique” pour brocarder, tancer et stigmatiser les opposants politiques. L’entame du processus de démocratisation de la vie politique est l’ère où le Chef de l’État fait ressortir les premières expressions singulières au moment où les combattants de la liberté soufflent les braises ardentes dans une atmosphère foncièrement délétère.
* De l’idée de la récusation de la conférence nationale souveraine au Cameroun
1990 Le pouvoir du Prince du Renouveau chancèle. La chute du mur de Berlin, le discours de François Mitterrand à la Baule, la société civile et la rue camerounaise ont contraint le Chef de l’État à l’ouverture démocratique. Des partis politiques naissent dans la douleur tout autant que des organisations de la société civile. L’échiquier politique et social se meut à l’aune de la veine vindicative des leaders et acteurs sociopolitiques. Face à la colère urbaine, les appareils répressifs de l’État tentent, contre vents et marées, de dissuader les manifestants visiblement exaspérés et obstinés à opérationnaliser la mutation de l’ancien contexte monopartiste.
Après l’obtention, bon gré mal gré, du multipartisme et des lois sur la liberté, l’opposition et la société civile montent, à nouveau, au créneau. Histoire d’exiger l’organisation de la conférence nationale souveraine. Nous sommes alors en 1991. Ni John Fru Ndi, Adamu Ndam Njoya, Djeukam Tchameni, Me Yondo Black Madengue, Anicet Ekane, Mboua Massock, Henriette Ekwe sont, entre autres, mus par la fièvre des conférences nationales ayant affecté d’autres pays africains, en l’occurrence le Bénin, l’ex Zaïre. La valse des mouvements de désobéissance civile est lancée. Les régions du Littoral, du Nord-Ouest et du Nord sont paralysées. Quelques fervents militants du parti au pouvoir lâchent du lest et quittent la barque. Jean-Jacques Ekindi, le désormais chasseur du lion, démissionne du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) le 24 mai 1991. Du coup, des opposants pensent mettre P. Biya dos au mur. Le 27 juin 1991, alors qu’on ne l’avait pas aperçu en public depuis longtemps, le chef de l’exécutif, face aux députés massés à l’hémicycle de Ngoa Ekellé, prend tous ses adversaires à contre-pied. Pendant que d’aucuns attendent une conférence nationale souveraine, le Président de la République annonce des élections législatives anticipées et se montre intransigeant:”Je l’ai dit et je le maintiens:la conférence nationale est sans objet”. En lieu et place de ce forum tant souhaité par les acteurs sociopolitiques, Biya offre la “tripartite”.
* La transcription du rapport de place entre l’école et la politique
L’année 1991 est, singulièrement, corsée pour le successeur constitutionnel d’Amadou Ahidjo. Les villes mortes font vaciller des villes camerounaises. Le pouvoir suprême crée les commandements opérationnels pour parer à toute étincelle insécuritaire. Des morts sont enregistrés à l’appel sans que le prince ne lâche prise. Samuel Eboua, alors Président national de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp), radicalise le ton, en décrétant le blocus de l’aéroport de Douala et en amplifiant celui du port. Toute chose visant à entraver le déroulement de la rentrée scolaire 1991-1992. Certes, la menace est éloquente et sérieuse. Mais le fils de Mvomeka ne reste guère indifférent. “Le combat politique, riposte-t-il, ne doit se faire ni sur les bancs des écoles, ni sur le dos des écoles. Ne faisons pas d’amalgame! Laissons toutes les chances à nos jeunes! L’école n’est pas une arène politique. L’école aux écoliers la politique aux politiciens”. Alliant l’acte à la parole, Biya fait mobiliser une marée de sbires. Question de dissiper les mouvements contestataires des opposants. Le 23 septembre 1991, jour de la rentrée scolaire, la manifestation de S. Eboua est interdite et est sévèrement réprimée. A. Ekane, S.Eboua, C. Tchougang, J.J.Ekindi subissent, tous azimuts, les foudres de la soldatesque massée sur le macadam. Sur ces entrefaites, l’on parle alors de “fessée nationale souveraine”.
* “Tant que Yaoundé respire…” corrélé à “Me voici donc à Douala!”
Les années tumultueuses et sulfureuses de braise suscitent le jet des petits mots et de petites phrases de l’homme-lion. A la guerre comme à la guerre, le Doyen des chefs d’État de l’Afrique centrale insuffle cette connotation expressive à son langage politique. Histoire de combattre ses adversaires politiques. Téméraire, le maître suprême s’obstine à montrer au peuple camerounais qu’il est le seul commandant de bord dans l’avion. Pendant les villes mortes, alors que cinq villes sont paralysées, Biya tente, curieusement et malencontreusement, de minimiser cette teinte mortifère. “Tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit”. Parallèlement, le chef des armées camerounaises tient à montrer que malgré tout, il tient les rênes de la capitale métropolitaine. Dans le dessein de stopper les élans et les relents de la grogne sévissant au Cameroun, le Chef de l’État entreprend une tournée nationale. Les opposants politiques jurent que Biya n’osera jamais mettre les pieds à Douala, le poumon des anti-biyaistes. C’est d’ailleurs dans cette ville frondeuse que des opposants politiques feront dactylographier les cartons rouges, où était floqué le message ci-après:”Biya must go” (Biya doit partir). Lorsque le Roi d’Etoudi arrive plus tard dans la capitale économique aux rues militarisées, il déclare l’air hautain: “Me voici donc à Douala!”. Toute chose qui suscite, à l’époque, l’hilarité des téléspectateurs massés devant leur poste téléviseur dans des ménages.
* Paul Biya: le chantre politique de la théorie de la labellisation
Le champ politique est, par essence, un champ de lutte. Chaque leader politique use des mots, phrases et formules pour tourner en dérision ses adversaires. Fidèle à sa logique stigmatisante, le Président national du Rdpc n’hésite pas, chaque fois qu’une occasion opportune se présente, à couvrir de stéréotypes défavorables les opposants camerounais.”Qui sont-ils ces apprentis sorciers qui veulent déstabiliser le Cameroun?” “Qui sont-ils ces politiciens sans scrupule qui veulent accéder au pouvoir par des raccourcis anti-démocratiques?” “On ne gouverne pas le Cameroun par un coup de baguette magique” sont, entre autres, des phrases imbibées d’un style labellisant tant le Chef de l’État use des images couvertes d’opprobre pour rouer de coups ses adversaires. Mais à la lumière des qualificatifs péjoratifs, tels que “politiciens sans scrupule”, “apprentis sorciers”, “hommes sans foi ni loi”, “oiseaux de mauvaise augure”, etc, quiconque, fort imprégné du jeu de la scénographie du champ politique assorti d’enjeu du maintien et du contrôle du pouvoir par le prince, sait, c’est une lapalissade, qu’il s’adresse aux leaders politiques de la gauche.
* Paul Biya allume la mèche de l’éternisation au pouvoir
En 2004, alors que le Président de la République avait passé plusieurs semaines à l’étranger sans que le peuple n’ait une information crédible et fiable à propos de son séjour, un site internet dont le promoteur est Ndzana Sémé avait jeté un coup de pavé dans la mare. Alors inconnu à l’époque, ce dernier avait annoncé la “mort” de P. Biya. Partant de son site, cette folle rumeur avait, tous azimuts, investi, voire envahi l’arène sociale. Les uns soutenant la thèse de la “mort” du prince alors que d’autres contestant et récusant ce type de rumeur, pour le moins inimaginable. Ainsi, plusieurs jours se sont écoulés sans que l’opinion nationale et internationale ne soit spécifiquement renseignée sur cette rumeur. La scène politique avait donc été alimentée par cette mauvaise fausse nouvelle au point où certains thuriféraires du sérail ne sussent plus à quel sain se vouer. Quelle image! C’est grâce à l’ancien Secrétaire général de la Présidence de la République, Jean-Marie Atangana Mébara, et à l’ancien ministre de la Communication, Jacques Fame Ndongo, que cette rumeur avait été dissipée de l’agora. Toute chose qui fut couronnée par la médiatisation et la spectacularisation de la ré-apparition de P. Biya sur la scène publique. Interrogé, à cet effet, à la descente de l’avion à l’aéroport de Nsimalen sur la diffusion et la propagation de sa fausse mort, Biya dira avec une teinte d’humour et de sarcasme:”Ceux qui ont souhaité et parlé de ma mort doivent savoir que je leur donne rendez-vous dans vingt ans”. Extraordinairement, le prince est devenu un démiurge au point de donner au peuple surfant sur son “décès” rendez-vous dans deux décennies. Parvenu en 2015, soit 11 ans après, il lui en reste 9.
Cerise sur le gâteau. Lorsque l’homme-courage formule, le 3 juillet 2015, lors de la conférence de presse liée à la visite d’État de François Hollande au Cameroun, la phrase suivante:”Ne dure pas au pouvoir qui veut, mais qui peut”, Biya ravive et consolide, au vu et au su de tous, son double désir de pérennisation et d’éternisation au pouvoir. Toute chose l’incitant, de façon latente, à narguer le Président français, visiblement importunée de par sa gestuelle et ses mimiques. De toutes les façons, Paul Biya mourra-t-il au pouvoir ou rentrera-t-il au village ? Just wait and see! Qui vivra longtemps verra!