Enquête Par René Mbarga
Pur produit de la France métropolitaine. Ancien étudiant de l’université de Paris Sorbonne ; l’ex séminariste était entre autres passé par le lycée Louis-le-grand et l’institut des Sciences Politiques avant d’intégrer l’administration d’Ahmadou Ahidjo par le biais d’une recommandation de Louis- Paul Aujoulat. Successeur constitutionnel enfin calife à la place du calife grâce aux réseaux Foccart ; le Chef de l’exécutif camerounais a vu passer cinq locataires au palais de l’Elysée. De François Mitterrand à Emmanuel Macron ; leurs relations parfois ambiguës, n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille.
François Mitterrand (21 mai 1981 – 17 mai 1995) : Le premier élève
Arrivé à l’Elysée, quelques mois avant l’homme du 6 novembre 1982 à Etoudi ; de nombreuses histoires parfois cousues de fil de blanc avaient couru. La plus répandue énonçait que : avocat du leader historique de l’union des populations du Cameroun Ernest Ouandié, venu au Cameroun pour le défendre dans le cadre d’un procès politique, Ahmadou Ahidjo avait donné des instructions fermes, afin que l’aéronef ayant à son bord, François Mitterrand ne foule pas le sol camerounais. Une fois de pouvoir, c’est lui qui aurait fait des mains et des pieds ; en usant de stratagèmes tels que la vraie fausse maladie incurable du président Ahidjo révélée par un médecin français ; pour renverser le père de l’indépendance.
Toujours est-il qu’à peine installé, le tout premier président socialiste de la cinquième république gratifia Paul Biya d’un mémorable voyage officiel ; les 20 et 21 juin 1983 à Yaoundé et Douala. Au-delà des non-dits et de la complexité qui semblent caractériser les relations entre certains dirigeants de la métropole et ceux de leur ancien pré carré ; depuis les indépendances, Paul Biya et son homologue français s’entendaient plutôt bien. « Je suis le meilleur élève du président Mitterrand », avait d’ailleurs lui-même avoué volontiers le concerné.
Toutefois, le déclic se produisit lors de la 16ème conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France tenue à la Baule-Escoublac le 20 juin 1990 ; après la fin de la guerre froide. Signe des temps ; François Mitterrand annonçait un changement de cap et de paradigme dans les rapports franco-africains : « La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté ».
Cette phrase subliminale du natif de Jarnac, qui ne fut pas au goût de nombreux présidents sur le continent, dont Paul Biya du Cameroun ; ouvrît la voie à la démocratisation des régimes naguère monolithiques ; et à la tenue des premières élections pluralistes. A l’issue des présidentielles d’octobre 1992, le candidat de l’union pour le changement, l’anglophone Ni John Fru Ndi est officieusement déclaré vainqueur ; suivi de Bello Bouba Maïgari. Paul Biya le président sortant arrive en troisième position.
Malgré tout, l’hexagone s’opposa vigoureusement au passage du pouvoir à l’ancien libraire de Bamenda. Dans une interview parue il y a quelques années ; Omar Bongo reconnu d’ailleurs explicitement qu’il avait été commis par Paris ; pour s’opposer aux américains ; qui voulait automatiquement installer « cet anglophone » à la tête de l’Etat du Cameroun. Même s’il sut tirer les conséquences de ces épisodes malheureux, le candidat naturel du parti de la flamme ardente garda plus que jamais ses distances vis-à-vis de Mitterrand jusqu’à sa mort le 8 janvier 1996 (à 79 ans). Comble des combles ; le 11 janvier 1996, Paul Biya est bel et bien absent au rang des 61 chefs d’Etat du monde entier qui ont pris part à la cérémonie religieuse organisée en l’honneur de l’illustre disparu, à la cathédrale Notre dame de Paris.
Jacques Chirac (17 mai 1995- 16 mai 2007) : Je t’aime moi non plus…
Malgré les multiples invitations faites par Paul Biya à son homologue français d’effectuer une visite au Cameroun ; l’ancien maire de Paris attendit plus de cinq ans. Alors qu’il avait jeté son dévolu sur Edouard Balladur pour succéder à François Mitterrand, Chirac le lui fit payer très chèrement ; en l’ignorant royalement. Et quand il arriva enfin à Yaoundé, le 18 janvier 2001 pour prendre part au sommet France- Afrique ; comme pour railler la longévité de son homologue camerounais ; le faux jeton corrézien tomba le masque, au cours de la conférence de presse de circonstance : « La démocratie ne doit pas se substituer à la monopolisation du pouvoir » fin de citation. Même s’il se garda de s’ingérer ouvertement dans les affaires intérieures du pays à l’instar de ses successeurs Sarkozy et Hollande ; Jacques Chirac ne manqua pas, avait rapporté Antoine Glaser – le fondateur de la lettre du continent- d’émettre de sérieuses réserves ; par rapport à la gestion du Cameroun par son homologue Biya.
Parvenu aux oreilles du concerné, celui-ci n’en fit jamais cas… sachant au fond de lui-même, que Jacques Chirac ne l’aimait pas.
Dans ses mémoires en deux tomes intitulés « Chaque pas doit être un but » et « Le temps présidentiel » ; Paul Biya, tout comme le zaïrois Mobutu font partie des oubliés. Pas un seul paragraphe n’est consacré à l’homme fort du pouvoir de Yaoundé ; contrairement à Laurent Gbagbo qu’il qualifie de fauteur de troubles ; d’Abdelaziz Bouteflika habile et pragmatique ; Nelson Mandela qu’il symbolise par les mots justice tolérance ; et le roi Mohammed VI par le qualificatif « mon ami ». Décédé le 19 septembre 2019 à l’âge de 86 ans des suites d’une insuffisance rénale, Paul Biya se contenta d’un message pour la forme.
Au cours des obsèques organisés aux invalides le 30 septembre 2019 ; en l’honneur du disparu, aucune délégation officielle partie de Yaoundé n’est présente.
Nicolas Sarkozy (16 mai 2007 – 15 mai 2012) : Biya, mon mouton noir
Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa, dit Nicolas Sarkozy n’a jamais fait mystère de la haine viscérale teintée de mépris ; qu’il vouait à Paul Biya, son aîné de 22 ans. Plutôt que de lui adresser la parole, le successeur de Jacques Chirac préférait de loin feuilleter les programmes officiels. En arrivant à l’Elysée ; l’ex avocat d’affaires qui inaugura sa présidence sous le sceau de la rigueur ne jurait que par un mot : « la rupture ». Après Laurent Gbagbo et le colonel Muhammar Khadafi ; Paul Biya était indubitablement le suivant sur la liste. S’il avait été reconduit à la tête de l’Etat français pour un second quinquennat, il est évident que Biya ne serait plus au pouvoir, renseigne un observateur.
Réélu en 2011 ; l’ancien locataire de l’Elysée avait attendu plus d’un mois pour adresser un message de félicitations à son homologue camerounais…et ce fut plutôt une lettre de remontrances : « Monsieur le Président, Au lendemain de votre réélection à la Présidence de la République du Cameroun, j’ai le plaisir de vous adresser mes félicitations ainsi que tous mes vœux pour le succès de votre nouveau mandat. Je connais votre intension, annoncée pendant la campagne électorale, de parachever sans plus tarder la mise en place des institutions prévues par la constitution de 1996. Je m’en réjouis car celles-ci seront le gage d’un pays stable, confiant en lui-même et résolument tourné vers l’avenir.
Par ailleurs, alors que votre pays connaitra de nouveau des élections en 2012, je ne doute pas que vous saurez, d’ici là, mettre en œuvre les réforme et les moyens nécessaire au bon fonctionnement d’Elecam et, par voie de conséquence, au renforcement de la démocratie au Cameroun.
Enfin, je tiens à vous assurer de la disponibilité de la France à continuer d’accompagner le développement économique et social de votre pays et de son peuple.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’Expression de ma très haute considération. »
Plus grave, dans une enquête, le site français Médiapart révélait d’ailleurs il y a quelques années, que Paul Biya avait été épargné en 2011 ; parce qu’il avait signé un modus vivendi qui prévoyait son départ du pouvoir en 2013. Cerise sur le gâteau, bien qu’ayant effectué plusieurs déplacements sur le continent, Nicolas Sarkozy s’était gardé de fouler le sol du Cameroun.
François Hollande (15 mai 2012 – 14 mai 2017) : Ne dure pas au pouvoir qui veut…
Tenu longtemps à l’écart des antichambres du pouvoir français ; Paul Biya fut invité en grandes pompes à Paris en mai 2012. Malgré ce retour en grâces apparent, Hollande qui lui rendait la politesse, à Yaoundé en juin 2015 dans une brève visite de moins de 24 heures ; ne manqua pas de lui rappeler les termes de la transaction sécrète qu’il avait passée avec son prédécesseur Sarkozy : « Ma question s’adresse au Président du Cameroun. Vous êtes au pouvoir depuis 1982. Ce qui fait qu’aujourd’hui vous êtes un des Présidents les plus anciens de la planète. Vous avez été élu plusieurs fois. Vous avez fait plusieurs septennats et effectivement la constitution camerounaise ne limite pas le nombre de mandats. Il y aura un prochain mandat dans trois ans. Nous voudrions savoir dans quel état d’esprit vous êtes. Est-ce que vous comptez plutôt passer la main et considérer qu’une retraite serait peut-être bien méritée ? Dans quel état d’esprit vous êtes aujourd’hui ?
« Je commencerai par dire que ne dure pas au pouvoir qui veut, mais dure qui peut. Je ferai une deuxième observation. C’est que, je ne suis pas à la tête de l’Etat par la force. Je n’ai pas acquis le pouvoir de manière dictatoriale. J’ai toujours été élu par le peuple et en ce moment je suis en train de terminer un mandat qui m’a été donné par le peuple. D’ailleurs, il y avait d’autres candidats à cette élection. Je l’ai gagnée. C’est pour dire que les élections Présidentielles camerounaises de 2018 sont certaines, mais encore lointaines. Nous avons le temps de réfléchir et le moment venu, les Camerounais et les amis français et tout le monde sauront si je suis candidat ou si je prends ma retraite ».
Au cours de cette même conférence de presse ; Hollande enjoignit la libération de l’avocate Lydienne Yen Eyoum. Ce qui fut fait ; après le départ de son homologue français d’alors.
Emmanuel Macron (Depuis le 14 mai 2017…) : Le temps de l’adoubement
Contrairement à ses prédécesseurs, Emmanuel Macron s’est jusqu’ici contenté de préparer sereinement l’après Biya… la nomination du général Thierry Marchand comme ambassadeur de la France au Cameroun ; à la demande d’Etoudi ; procède d’ailleurs d’une stratégie savamment huilée commente un observateur.
Après leur rencontre au palais de Yaoundé en juillet 2022 sous les feux des caméras de télévision et sous le regard approbateur du père ; plusieurs rencontres se seraient déroulées ces derniers mois, entre Franck Biya et le président français Emmanuel Macron à Paris. Et si une élection présidentielle se préparait donc en sourdine au Cameroun en 2023, comme l’a si bien relevé la romancière Calixte Beyala… ?