Par Serge Aimé Bikoi
Décembre 2022 est, décidément, le mois où la série noire s’abat sur les artistes-musiciens camerounais. En l’espace de deux semaines, le monde artistique a perdu trois théoriciens et praticiens de l’art musical. Ekambi Brillant, Djene Djento et Penda Dalle en sont des exemples. La génération des anciens, qui quitte la scène après avoir œuvré durant des décennies, laisse ses contemporains et ses cadets dans la désolation et le désarroi tant le statut social des artistes n’est toujours pas défini, adopté et institutionnalisé par l’État du Cameroun en dépit des formes de contestation exprimées par leurs pairs. Depuis la naissance de la Socinada jusqu’à la Sonacam en passant par la Cmc et la Socam, c’est le statu quo qui continue de régner dans la gouvernance des sociétés de gestion collective de droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur.
Le statut social de l’artiste, en termes définitionnels, doit, en principe, être régi par une loi votée au parlement camerounais, lequel devrait définir, de manière concrète, la qualité de l’artiste, fixer ses obligations professionnelles, ses droits, ses devoirs, ainsi que ses privilèges. De préférence, l’on parle du statut de l’artiste tout comme l’on évoque le statut des fonctionnaires et des agents de l’État relativement à l’ensemble des principes normatifs qui régulent la Fonction publique camerounaise. Autre exemple non des moindres, l’on parle du statut des journalistes, lequel a été conceptualisé et défini lors des Etats généraux de la communication en 2012.
Fondamentalement, le statut de l’artiste détermine les secteurs et catégories professionnelles, les procédures d’accès au statut et projette le théoricien et le praticien de l’art au sein de la société comme un travailleur salarié à reconnaître, à respecter et à rémunérer à sa juste valeur. Vu sous ce prisme, le déterminant principal qui spécifie le statut de l’artiste, c’est son œuvre, laquelle se vérifie à l’aune de ses productions et prestations intellectuelles diverses et diversifiées. Le deuxième déterminant structurant le statut de l’artiste est son cadre ou son secteur d’exercice de sa profession, lequel est réglementé par des normes, règles, valeurs qui régentent le fonctionnement du travail artistique. Le troisième déterminant, quant à lui, est la reconnaissance de ses pairs dans le champ artistico-culturel. Il est possible d’y introduire le quatrième déterminant, à savoir celui des consommateurs des produits artistiques. A ce giron, il y a des petits consommateurs, tels que les citoyens lambda qui sont de simples mélomanes, tout autant qu’il y a des grands consommateurs constitués, entre autres, des entreprises audiovisuelles, des sociétés de téléphonie mobile, des bars-dancings, des snack-bars, des cabarets, des boîtes de nuit, bref l’ensemble des espaces de promotion de la culture dans sa globalité.
Dans une société normalisée et gouvernée par une volonté politique des décideurs gouvernementaux, l’idéal de définition et de structuration du statut de l’artiste est possible. Mais dans la société camerounaise actuelle, où il y a une politisation de la gouvernance des sociétés de gestion collective de droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur, dans le contexte contemporain où les gestionnaires des sociétés de droits d’auteur et leurs membres sont, en permanence, flagellés, divisés et spoliés, tout est fait pour dévaloriser, avilir et annihiler les artistes de manière sempiternelle. Les droits, les contraintes, le salaire, le cadre d’exercice de leur profession et les œuvres des artistes ne sont guère reconnus et agrégés à un statut conforme adopté par le parlement et promulgué par le chef de l’État. Histoire de faire des théoriciens et praticiens des arts hétérogènes des travailleurs rémunérés de manière décente. Résultat des courses : des artistes broient du noir, vivent dans un misérabilisme ambiant, s’enlisent dans une paupérisation chancelante et meurent, malencontreusement et malheureusement, dans le dénuement abject. Pourtant, ce sont leurs sonorités qui bercent, au quotidien, la naissance, l’enfance, la jeunesse, les périodes adulte et des 3ème et 4ème âges des catégories de la population. Sans ce que ces savants artistes ne perçoivent, en retour, le revenu dû à la besogne réalisée. Pour ne prendre que le cas de la catégorie B “Art musical”, depuis l’érection de la Socinada(Société civile nationale des droits d’auteur) jusqu’à la mise en place de la Sonacam(Société nationale de l’art musical) en passant par la création de la Cmc (Cameroon music corporation) et la Socam(Société civile camerounaise de l’art musical), la gouvernance de ces entités de gestion collective de droit d’auteur est marquée du sceau d’un statu quo. Des querelles de chiffonniers par-ci et des guéguerres entre artistes par-là ; des jeux de prise de position des dealers et gate keepers par-ci et des enjeux de positionnement des meneurs et acteurs mercantilistes par-là ; des séries sporadiques et épisodiques de répartitions du revenu du droit d’auteur n’obéissant à aucun critère par-ci et des scènes de lamentations des milliers d’artistes par-là ; la corruption de certains fonctionnaires du ministère de tutelle qui coopèrent dans le jeu de la captation du pécule par-ci et l’embourgeoisement des réseaux de dilapidation des ressources pécuniaires des artistes par-là ; la connivence entretenue, depuis décennies, par les chefs de département ministériel des Arts et de la Culture successifs avec certains artistes maffieux par-ci et le mutisme cathodique du chef de l’État et de son appareil gouvernemental par-là.
Chaque fois qu’il règne une relative accalmie après une assemblée générale élective d’une société de gestion collective de droit d’auteur, certains anciens gestionnaires desdites sociétés et leurs affidés, chantres de l’instrumentalisation des dindons de la farce, entrent en scène, manipulent certains artistes et des Hommes de médias qui les suivent comme des moutons de Panurge et orchestrent la fausse symphonie des actions maffieuses. Question de piller, perpétuellement, l’argent du droit d’auteur et se le partage entre copains et copines et entre frères et fraters. Entre-temps, la grande majorité encline à la contestation et à la protestation ne dispose que des fora WhatsApp et des mass médias pour crier son ras-le-bol le ventre vide. Diminués et exténués par le poids de la maladie, certains meurent les larmes aux yeux. Assommés par la conjoncture économique difficultueuse et asphyxiante, d’autres rendent l’âme dans le dépit et la mélancolie.
Par le passé, c’était l’ancien Secrétaire général du conseil d’administration de la Socinada, par ailleurs promoteur d’une chaîne de radio dédiée aux artistes et distributeur des guitares à Mbengwi avec la complicité d’une ancienne ministre des Arts et de la Culture (Minac) qui était, à l’époque, le maître d’œuvre qui manipulait ses pairs et une bande d’Hommes de médias pour piller les espèces sonnantes et trébuchantes des artistes. Ayant commis et perpétué ce mal, ce malaise et ce malheur dans la régulation de la Socam à l’époque, lui-même sait ce qui lui arrive ces dernières années au Cameroun. Dieu voit tout. L’effet pervers de la pérennisation du mal dans le monde des artistes. Comme chaque dealer vient avec ses réseaux de pilleurs, acteurs, affidés et laquais pour consommer le piment dans la sauce des artistes, aujourd’hui, c’est l’ancien président du conseil d’administration de la Cmc qui continue de semer et de perpétuer le désordre instrumentalisant, lui aussi, des artistes membres de son clan et certains journalistes et animateurs à sa solde.
L’enjeu étant de ponctionner et de construire les stratégies de brigandage des revenus des artistes. Mais un jour, Dieu agira aussi pour le bonheur de l’ensemble des artistes. Mais avant d’y arriver, chers artistes camerounais, aidez-vous et le ciel vous aidera!