Accueil Opinion Cameroun | Présidentielle 2025: Qu’est-ce qui a subitement réveillé les Camerounais ?

Cameroun | Présidentielle 2025: Qu’est-ce qui a subitement réveillé les Camerounais ?

1992 est l’année de la plus grande mobilisation politique au Cameroun. 33 ans après, revoici les citoyens à nouveau tenus par la volonté de décider souverainement de qui sera à la tête de leur Nation, ou de qui tiendront le pouvoir dans les collectivités territoriales et au parlement. Quelques pistes.

Par panorama papers
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Par Léopold Dassi Ndjidjou

  1. Le déclic qui vient de l’échiquier politique sénégalais

Le Sénégal n’est pas un cas intéressant seulement parce que le président de la République et son Premier ministre sont jeunes et viennent d’une opposition farouche à un régime qui s’apprêtait à s’octroyer un troisième mandat. Ce qui est plus intéressant est la bravoure avec laquelle ces dirigeants et leurs partisans ont affronté les différentes péripéties que leur a infligées le régime de Macky Sall. C’est peu de le dire car en réalité, le pouvoir sortant n’a fait l’économie d’aucune manœuvre, d’artifice ou de roublardise pour empêcher le nouveau pouvoir à prendre la relève. Entre interdiction du parti politique, des accusations fallacieuses et même requalifiées au rabais par le juge qui ne s’est pas pour autant empêché de les jeter en prison, le soutien populaire pour contrer les projets personnels de Macky et des siens de s’éterniser au pouvoir, a pesé au bout du compte dans la balance. C’est le peuple sénégalais contre Macky Sall qui a jeté son dévolu sur son président de la République, sans aucune ombre, dès le premier tour de l’élection. C’est de toute évidence cet aspect des choses qui peut expliquer le réveil massif des Camerounais pour la chose politique, car dans un pays francophone africain, il découvre comment un peuple aux mains nues a réussi à déloger du palais un chef de l’Etat déterminé à y demeurer contre vents et marées. Ce regain d’engagement politique peut expliquer à la lumière du théâtre sénégalais, le rôle joué par les institutions de la Républiques à l’exemple de la Cour constitutionnelle, qui a infligé au président sortant un désaveu complet dans ses emportements à s’éterniser au pouvoir. Cela peut donner de la suite dans les idées et faire des émules. C’est pourquoi au sein de l’opinion, une masse critique se met progressivement en place et s’assimile au peuple et se positionne aussi contre ceux qui trahissent ses ambitions. La sortie de deux leaders d’opinion cette semaine martelant que l’inscription sur les listes électorales dans une dictature est une vacuité a soulevé une levée de bois vert qui tarde à tomber. Toute la combinaison de ce qui précède a certainement impacté positivement l’esprit du citoyen camerounais, réputé couard, défaitiste, résigné et désintéressé plus que jamais des affaires politiques.

Depuis 1997 où on a vu le leader du Sdf qui avait porté le leadership en 1992, commencer à perdre son verbe tranchant dans le sillage d’un tourbillon de connivences annoncées avec le régime, les Camerounais, peu à peu se sont détournés des affaires politiques, chacun se débrouillant à cultiver son jardin. L’arrivée de Bassirou Diomaye Faye aux affaires depuis le 2 avril 2024 retentit encore au Cameroun dans les rangs de ceux qui soupirent après une alternance comme une sorte de printemps, une sorte de possibilité là où le défaitisme dictait sa loi. Dans cette foulée, on peut constater un engouement des citoyens à s’inscrire sur les listes électorales, indépendamment des partis politiques qui y travaillent ardemment, tout comme les hommes d’Église, la société civile, les artistes et autres. Il y a longtemps qu’on n’avait pas vu cela au Cameroun. A plus d’un an de l’échéance, les choses se balisent dans le sens d’une élection qui sera ardue, surtout avec les procès qui sont déjà diligentés contre Elecam, l’organe indépendant de l’organisation des élections. Certains acteurs du processus commencent à questionner sa neutralité, son impartialité. Avant, on n’avait jamais attrait Elecam devant les tribunaux pour des contestations préélectorales ; avant on ne pouvait imaginer un acteur politique interroger les chiffres d’enrôlement d’Elecam ; avant, il n’avait personne pour exiger d’Elecam de publier la liste au niveau national. Ceci montre que l’arrivée des jeunes gens au pouvoir au Sénégal fait des émules.

  1. Comme un air de 2018 avec ses antécédents

2025, aux yeux de beaucoup d’analystes politiques est une sorte de pan du contentieux postélectoral de 2018. Si le régime a géré cette phase agitée avec une sorte de fébrilité mais assurément efficace pour préserver ses acquis, on peut déplorer qu’en ces jours, certains des acteurs de cette période sont condamnés en dépit de la tenue du Grand dialogue national convoqué opportunément pour apaiser les cœurs des uns et des autres, pour mettre un bémol aux tensions qui agitent le pays. A l’extérieur du pays, on entend dans les rangs de la diaspora des cris qui jettent l’opprobre sur Elecam parce que cinq mois après l’ouverture des inscriptions sur les listes électorales, cette ouverture y est toujours attendue. C’est en principe à partir de ce 2 mai 2024 que les registres seront ouverts, dans certaines ambassades du pays. Les souvenirs douloureux du fait de la diaspora hantent ou peuvent encore hanter les esprits. Avec le saccage des ambassades et le chahut lors des visites du président de la République en Occident, cela peut suffir à doper le zèle de certains fonctionnaires de l’Etat dans la volonté de chercher des noises à ces compatriotes de l’étranger. Toujours dans cette mouvance, il y a aussi un climat très peu serein qui règne entre Paul Biya et son challenger à la dernière élection présidentielle. Qu’en sera-t-il en 2025 ? Rien de calme ne se dessine à l’horizon surtout au moment où l’Alliance pour le changement (Apc), annoncée porter la candidature de Maurice Kamto en 2025, d’ailleurs tout comme l’Atp, sont interdits d’exercice d’activités politiques sur le territoire national par le patron de l’Administration, Paul Atanga Nji. C’est tout comme 2025 sera influencée par un zeste non soldé de 2018. La grosse question est de savoir si les rues vont flamber comme au Sénégal ou pas. L’autre facette des incertitudes se trouve dans le camp du pouvoir. Alors que Paul Biya est réputé le candidat du Rdpc à l’élection présidentielle selon ses statuts, il y a déjà dans les rangs de son parti des sons dissonants qui font un grand désordre. On a récemment entendu la déclaration de l’intention de Titus Edzoa de prendre la relève pour organiser une transition de 3 ans au sommet de l’État. Une sorte de remise en cause du leadership de l’Homme lion. Des appels à la candidature de Paul Biya se multiplient un peu comme si ces appelants redoutaient une décision du président du Rdpc de se retirer des affaires et d’aller dans son village. Ce dernier ne l’avait jamais laissé entendre de quelque manière que ce soit, sa sortie devant Emmanuel Macron en visite au Cameroun laissant le biotope politique songeur autour de lui. C’est probablement cette possibilité annoncée, cette alternative qui donne de la graine à moudre à certains de ses proches qui mettent à nu leurs ambitions. Pourtant personne n’oublie les revers redoutables du vieux lion qui feint de dormir, mais surveille tout, prêt à abattre lourdement sa patte sur le crâne du premier téméraire qui viendrait piétiner ses plates-bandes. C’est une évidence qu’au fur et à mesure que l’on va se rapprocher de l’échéance, les agitations vont se multiplier, là c’est presque un acquis. Paul Biya et les siens auront plus besoin de se surveiller en interne que l’opposition qui ratisse pourtant large. Un vrai défi.

  1. La longévité record de Paul Biya aux affaires

La longévité aux affaires doublée d’une gouvernance peu satisfaisante aux yeux des Camerounais, peuvent peser sur les scrutins à venir. Les statistiques faisant état de 10 millions de Camerounais qui vivent avec moins de 1000 Fcfa par jour en disent long sur la qualité de vie des citoyens de Paul Biya. Après plus de 40 ans au pouvoir on devrait certainement se demander ce qu’on n’a pas encore donné à son peuple, même s’il est incivique et indiscipliné. Plus de la moitié de la population n’a connu qu’un seul président de la République : Paul Biya. Loin d’être un atout comme envisagé exclusivement dans les milieux d’affaires, cette réalité devient une bombe à retardement avec une population jeune, ouverte au monde, influencée par ce qui se passe ailleurs. Il n’y a plus rien à cacher aujourd’hui, car toutes les données sont sur la toile. Le citadin de Yaoundé ne se compare plus à ceux de Douala et de Bafoussam mais à ceux d’Abidjan et de Dakar. Le monde se réduit et la proximité crée des comparaisons inévitables. De ce point de vue, la longévité au pouvoir ne tourne pas en faveur du président de la République, mais joue foncièrement contre lui car à son corps défendant dans un monde globalisé, il est tenu de porter les échecs et les péchés des élus et de ses collaborateurs. La paix et l’unité, les deux mamelles qui ont longtemps nourri le capital politique du régime Biya sont aujourd’hui sérieusement mises à mal.

Les terroristes de Boko Haram qui tombent sur le Cameroun à cause des contingences de l’histoire et de la géographie, sont une vraie malchance pour le pays et le régime qui consacre ses faibles ressources dans la lutte contre les fous de dieu, les fils de Satan. La Centrafrique pollue la frontière avec des bandes rebelles, les deux régions anglophones du pays font face à un conflit ouvert avec les séparatistes. Ceci peut éreinter les ambitions de Paul Biya qui a toujours rêvé de léguer à la postérité un pays uni et prospère. Dans ce labyrinthe, on ne voit pas toujours qui autour de Paul Biya est mis sur orbite pour le remplacer. C’est là aussi l’autre faille qui nourrit l’ambition de la population à s’inscrire sur les listes électorales, convaincue que toutes les chances sont ouvertes, et qu’au finish, sa voix sera entendue contre tous les micmacs de la realpolitik. 2025 vient avec un nouveau cycle électoral mais surtout avec un peuple qui se réveille de jour en jour et construit pierre après pierre, sa souveraineté. On verra bien si l’école sénégalaise a bien inspiré les Camerounais. En attendant, il y a encore du chemin, et beaucoup change en politique comme la météo.

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