Enquête de Joseph OLINGA N.
Conflit armé qui oppose les forces armées camerounaises aux groupes séparatistes depuis l’année 2017, la crise sociale, politique et économique qui sévit dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest du Cameroun est rentrée dans sa septième année. Les adversités, au départ axées sur des revendications corporatistes des avocats et des enseignants ont radicalement basculées sur un conflit armé.
Côté anglophone, les revendicateurs trouvent insuffisantes les réponses données par le gouvernement à leur demande de voir le pays s’ouvrir à un fédéralisme de fait. Les ténors et les portes-paroles de la partie sécessionniste appellent également à l’arrêt des “violations des droits de l’homme perpétrées par l’armée régulière.”
Ramifications
Sept ans après le déclenchement de cette guerre aux relents asymétriques dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest, la crise dite anglophone a déporté ses effets collatéraux dans les huit autres régions du Cameroun. Même le Nigeria voisin connaît les remous de cette crise sur son sol. Dans l’État du Cross River et celui du Taraba, l’afflux des réfugiés et la chute des échanges commerciaux sont une réalité.
Parties en conflit.
Difficile à ce jour de dénombrer tous les protagonistes de cette guerre qui s’intensifie au fil des jours. Les données fournies par le gouvernement présentent une dizaine de groupes armés opérant dans les principales zones de conflit. Malgré les interpellations de quelques personnes, présentées comme des acteurs clé de la résistance anglophone, la guerre s’intensifie provoquant des conséquences perverses sur l’ensemble du pays. Pour les sources gouvernementales, les principaux groupes rebelles de la crise anglophone sont les Forces de défense de l’Ambazonie, les Forces de défense du Cameroun méridional, les Red dragons, les Ambaland forces, l’armée de restauration de l’Ambazonie, les Forces de restauration du Cameroun méridional, les Seven Karts et les Tigres de l’Ambazonie. Des groupes séparatistes qui font face aux forces armées régulières soutenues par des milices et des groupes d’auto-defense. Difficile aussi de quantifier de manière précise le nombre d’hommes engagés dans cette guerre qui n’en finit pas. Seule certitude, selon les statistiques collectées auprès des Organismes non-gouvernementaux, la crise qui sévit dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest mobilise six mille hommes des forces armées, de la gendarmerie et de la police camerounaise. Côté sécessionniste, pas moins de quatre mille hommes sont rangés sous les différentes bannières.
Tentatives de résolution.
Dès la deuxième après le déclenchement de la crise dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest, de nombreux essaies de médiation ont été initiés par des partenaires internationaux et bilatéraux du Cameroun. La médiation inaugurale portée par le gouvernement Suisse, en 2019, connaît un échec que des observateurs attribuent aux réticences d’une partie du gouvernement camerounais. C’est que, la même année, le chef de l’État camerounais annonce la tenue du Grand dialogue national (Gdn) auquel lui-même ne participe pas. Les assises, telles qu’elles sont présentées par le gouvernement, entendent réunir les principaux acteurs de cette crise qui avait fait de nombreux morts au moment où se tient le Grand dialogue national. L’initiative est soldé par un échec malgré les annonces qui sont faites lors de la clôture du Gdn. Après l’avortement de cette initiative, gouvernementale, le gouvernement canadien essaye, lui aussi, une conciliation entre les principaux belligérants de la crise. Une approche qui, elle aussi, sera sans suite du faits des oppositions et atermoiements exposés tant par le gouvernement que par une frange des militants sécessionnistes. Même des initiatives prises par certains acteurs de premier rang de la revendication ne trouvent pas un écho favorable chez certains acteurs gouvernementaux. Dans ce registre, les observateurs gardent à l’esprit l’appel à la fin des hostilités lancé par le chef de file des Forces de défense de l’Ambazonie, Daniel Capo.
Détresse humaine.
Depuis lors, la violence dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest s’est intensifiée. Les données collectées auprès des Organisations non gouvernementales et du gouvernement indiquent que depuis le déclenchement de la crise en 2017, plus de 10 mille personnes sont mortes du fait des combats dans ces deux régions. Le Haut commissariat des Nations-Unies (Hcr) dénombre plus de 530 mille issues du Noso et déplacées à travers le Cameroun. L’organisation onusienne indique aussi que 180 mille camerounais originaires des régions en crise ont trouvé refuge au Nigeria depuis le déclenchement des hostilités en 2017.
Dans le même temps, le Fonds des Nations-Unies pour l’enfance (Unicef) soutient que plus de 1,5 millions de personnes se trouvent coincées dans les échanges de feux, les kidnappings et les différentes formes de violence qui se développent dans les régions anglophones du Cameroun.
Écoles fermées.
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Bcah) de l’Unicef, dans un rapport rendu public en mi-février 2024 souligne que “du fait des combats et des atrocités qui sévissent dans les régions anglophone du Cameroun, plus de 200 mille enfants sont en situation de déscolarisation.” Une réalité liée au fait que les données disponibles indiquent l’amplification de la guerre au Nord-ouest et au Sud-ouest du Cameroun a occasionné des fermetures de près de 300 mille écoles.
Économie en chute.
Principal employeur au Cameroun, après l’État, la Cameroon development corporation (Cdc) fait les frais de la guerre qui sévit en zone anglophone depuis l’année 2017. L’entreprise qui contrôle, en temps de paix, le gros de l’agriculture dans les régions anglophones a perdu 70/100 de son potentiel et ses capacités de production. Les statistiques fournies par l’organisation non gouvernementale Human Is Right souligne que la CDC qui comptait 20 680 employés au moment où la crise se déclenche dans les régions anglophones n’en compte plus que trois mille à peine à ce jour. Illustration de l’impact économique que subissent les entreprises de ces zones qui sont réputées dans la production du cacao, de l’huile de palme et du thé.
Leader national de l’exportation du cacao, l’entreprise Telcar soutient que la production des fèves connaît une chute de 80 pour cent dans les deux régions en crise. Des statistiques fournies par le gouvernement camerounais précisent que la zone anglophone fournissait à elle seule 20 pour cent de la production nationale de cacao.
Les administrations fiscales et douanières du Cameroun indiquent que l’économie des deux régions fait perdre à l’Etat environ 410 millions d’Euros (environs 297 milliards de Francs CFA) par an. Dans le même temps, les pertes liées aux recettes fiscales ont chuté de 800 mille à mille Dollars par an, entre 2017 et 2021.
Dans le secteur de la téléphonie, les opérateurs déclarent avoir perdu plus de 170 millions d’Euros de recettes attendues ainsi que des investissements consentis dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest depuis le début des conflits.
Économie sous-régionale en berne.
Régions du Cameroun frontalières au Nigeria, le Sud-Ouest et le Nord-ouest impactent considérablement dans les échanges économiques entre les deux pays. Dans un rapport rendu public au cours de l’année 2020, le Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam) estime que le flux des échanges commerciaux entre le Cameroun et le Nigeria a chuté de plus de 50 pour cent entre 2017 et 2020. Une chute que l’on peut imaginer continue faute de statistiques.
Dialogue inclusif.
A l’unisson, les partenaires économiques, financiers et politiques du Cameroun appellent le gouvernement camerounais à ouvrir un dialogue inclusif avec toutes les parties prenantes de la crise qui fait des ravages dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest. En visite au Cameroun en juillet 2022, le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron a préconisé la mise en place d’un système décentralisé effectif au Cameroun. Face aux médias, Emmanuel Macron a soutenu que “La régionalisation demeure la réponse à la crise qui affecte le Cameroun dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest et que c’est par ce processus politique de dialogue de réforme, qu’une solution durable pourra être trouvée.” Une démarche également prônée par des acteurs sociaux et politiques camerounais depuis sept ans.