Jean-Baptiste Placca (Rfi)
Par un communiqué, rendu public ce 9 octobre, le ministre camerounais de l’Administration territoriale interdit tout débat sur l’état de santé du chef de l’État dans les médias privés. Comme pour clore les réactions à la chaîne de ses collègues, qui ont rivalisé d’indignation, à la suite des rumeurs sur l’absence prolongée du président Paul Biya. À quoi faut-il donc s’attendre, à présent ?
L’on peut s’attendre à tout, comme… à rien, puisque les Camerounais ont cessé, depuis longtemps, de compter les psychodrames autour de cette seule question. Quant aux médias privés, déjà fragilisés, les représailles judiciaires brandies auront sur eux l’effet dissuasif escompté. Même s’ils ont pu s’étonner du manque manifeste de coordination, sinon de cohésion entre les ministres montés au créneau, pour condamner les rumeurs. Et certains ne manqueront pas de se demander le zèle de tel ministre n’est pas juste un moyen, pour celui-ci, un moyen comme un autre de réhabiliter aux yeux du président Biya. Après tout, cette distraction résulte du fait que quelqu’un a oublié de bien faire son travail, qui aurait rassuré les Camerounais et désamorcé toute tentative de manipulation de ce qui n’est qu’une information à communiquer aux citoyens. Est-ce la bonne manière que de sommer ceux-ci de se taire ou de s’abstenir de poser des questions, lorsqu’ils sont sans nouvelles de leur président ? Un ministre a rappelé, à l’occasion, qu’il y a des mécanismes qui permettent de poursuivre ceux qui annoncent le décès d’un chef de l’État sans s’assurer de ce qui se passe. Mais comment, justement, procède-t-on, ici, pour s’assurer de ce qui se passe ?
À 91 ans, Paul Biya n’a-t-il pas, après tout, le droit d’aller se soigner ou se reposer, y compris à l’étranger ?
Aucun de ses concitoyens ne lui conteste ce droit. Et pourquoi devrait-on contester aux Camerounais le droit de prendre des nouvelles de leur président, y compris de sa santé, ne serait-ce que pour le porter dans leurs prières ? Une information simple et claire aurait suffi, pour prévenir les rumeurs, que le ministre de l’Administration territoriale prête à des personnes sans scrupule, colporteurs de nouvelles mensongères et d’élucubrations visant à semer la confusion et le doute dans les esprits, à installer le pays dans l’incertitude. Il reste à s’assurer que l’injonction à se taire ne sème tout autant la désolation.
Au regard du nombre de fois qu’une absences prolongée du chef de l’État camerounais à l’étranger – en l’occurrence, en Suisse – a donné lieu tant de fois à ce type de psychodrame, l’on se serait attendu à ce que l’entourage du président ait pensé un moyen, simple, d’anticiper les angoisses et les interrogations de leurs concitoyens, sans attendre, chaque fois, que les rumeurs s’affolent. Après tout, s’il survenait – qu’à Dieu ne plaise ! – un malheur, cette population serait la première à subir les conséquences des sourdes rivalités et des antagonismes violents au sein même du pouvoir, où l’on ne spécule pas moins sur l’avenir du pays sans Paul Biya.
Ces derniers mois, nombre de ces dignitaires ont pourtant écumé le Cameroun, pour mobiliser l’opinion en faveur d’une nouvelle candidature du président Biya, en octobre 2025…
Effectivement. Et si les dieux du Dja-et-Lobo le lui accordent, il terminerait ce futur mandat à pratiquement l’âge de… 100 ans ! Ce n’est donc pas uniquement par voyeurisme que les Camerounais demandent à être éclairés sur l’état de santé de leur président, lorsqu’ils ne le voient pas des semaines durant.
Ahmadou Ahidjo, son prédécesseur dans ces fonctions, avait 58 ans, lorsqu’il a subitement démissionné, en novembre 1982, et passé les commandes à Paul Biya, parce que ses médecins lui auraient diagnostiqué un mal dont le traitement allait nécessiter des absences fréquentes. Ainsi, ce dirigeant craint, qui passait pour un leader autoritaire, sinon pour un dictateur, avait renoncé au pouvoir, pour ne pas avoir à diriger son peuple par intermittence. Ou en vacancier. Mais, lui, il avait Paul Biya…