Par Léopold DASSI NDJIDJOU
Oui, le pays traverse une passe difficile du fait de nos propres errements innommables, inqualifiables. Nous avons laissé faire, complaisamment amusés par les délires des fous dont nous avons fini par être submergés. Et là, la sagesse des fous n’amuse plus personne car la collectivité nationale est sous son emprise, envoûtée par des esprits maléfiques du repli identitaire, de la haine de l’autre, de la culture malsaine de fourbir au jour le jour les stratégies les plus nauséeuses en vue d’un règlement de comptes des plus démentiels.
Nous en sommes là aujourd’hui tous éplorés dans ce pays où l’unité nationale a toujours été le fuel de la politique depuis les indépendances, de constater avec effroi combien cette unité tant souhaitée, tant célébrée était en réalité si fragile. Notre unité nationale se révèle au bout d’une soixantaine d’années d’édification acharnée, comme un château de cartes en passe de s’écrouler au moindre mouvement. Sur quoi le pays a-t-il fondé le paradigme de son unité ? Sur les langues métropolitaines, entre cultures latines et saxonne, entre les religions, entre les communautés ethniques ? Boule de neige que ces intrants épars qui entrent dans l’édifice d’une seule et même maison, avec un seul architecte à Yaoundé.
A côté de cette réalité, ce qui complexifie davantage cette entreprise herculéenne abandonnée aux mains d’un seul homme, est que personne ne veut effectivement ou affectivement avouer sa part pathogène du malaise national. Ce n’est pas un propos de haine d’oser déclarer que nous affectionnons particulièrement indexer la paille dans les faits de l’autre, nous interdisant de reconnaître la poutre qui obstrue ou déforme la vision du bien dans l’autre ! Nous sommes comme le disait le premier d’entre nous, un peuple d’individualistes impénitents sur tous les bords, prêts à tout bout de champ de sacrifier l’intérêt général à l’autel de nos ambitions personnelles ! Nous sommes un peuple nombriliste, vraiment nous le sommes car l’ombilic de chaque ventre est l’horizon. J’ai la faiblesse de croire que tout ceci n’est pas constitutif d’une déclaration de haine qui ferait bondir de colère le sémillant Galax Etoga au Secrétariat d’Etat à la Défense chargé de la gendarmerie nationale qui vient de lancer une fatwa contre les discours haineux. On aurait souhaité, il va sans dire, qu’une réflexion plus approfondie soit menée en amont sur les causes du mal. En dehors de cet acte louable dans le principe qui fait suite à la sortie du ministre de l’Intérieur, le très menaçant Paul Atanga Nji, on en était à se poser une foultitude de questions.
Questionnements
Quel clinicien et avec quels outils saura éclairer l’opinion sur ce refus collectif morbide à défaut de se regarder dans la glace, de reconnaître en toute lucidité qu’il y a un mal insidieux qui loge dans les interstices cellulaires de notre vivre ensemble national ? Et quand le mal gangrène et fait surface comme à Sangmélima, à Kekem, à Kye-Ossi, dans le Logone et Chari ou ailleurs sur le territoire national, parce que le miroir nous revoie cette hideuse image de ce que nous sommes, on a vite fait de casser le miroir comme si la glace créait des images. C’est exactement l’attitude d’une femme qui ne veut pas de bébé et l’écran de l’échographie la ramène à la réelle et dure réalité. Que peuvent ses sinistres cris de protestation et de dénégation de cette réalité ? Faire disparaître comme par enchantement le fœtus de son sein ? Impossible de modifier sur le champ en quoi que ce soit l’implacable réalité en dépit de ses explications de multiples précautions prises pour éviter une éventuelle grossesse.
Au moins, on doit reconnaître à cette patience d’avoir accepté de passer par une échographie, de permettre qu’on piétine ses plates-bandes de confort incertain. Dans la mouvance de cette floraison d’images, le Cameroun en tant qu’entité, peut-il accepter à tout au moins, qu’on lui pratique une quelconque biopsie ? Difficile de le dire car le « casseur de miroir » développe des allergies et pousse des boutons dès qu’on lui parle de son mal profond. Très bien, le malade a trouvé lui-même la thérapie à son mal après avoir chassé et mis en garde tout médecin culotté qui aurait la folle empathie de se pencher sur son cas ? Comment expliquer que le Cameroun qui hier souffrait de nosophobie, d’hypocondrie en soit aujourd’hui si peu préoccupé de sa situation sanitaire ? En réalité, la question est posée à l’emporte-pièce car le pays semble avoir fait le choix de casser le thermomètre parce que le mercure ne cesse de monter. Et bien, celui qui va oser à l’avenir s’agiter, pour manifester son malaise va payer le prix fort.
On applique désormais sans réflexion, sans état d’âme l’enseignement du Christ qui recommande de se débarrasser de tout ce qui en chacun est une occasion de chute dans le sens bien compris d’hériter de son royaume d’éternité. Chacun de nous est-il prêt, par le seul fait qu’il appartienne à une communauté, de s’interdire de mettre bruyamment en relief les réclamations irrédentistes, bellicistes qui vont à l’encontre de la cohésion nationale ? Est-ce de la farce à vos yeux ? Nous serons donc des comparses ! C’est ainsi qu’il faut comprendre la farce des comparses !