Par Arlette Akoumou Nga
«Il m’a dit : “Je vais régler ton problème une bonne fois pour toutes. De toute façon, tu as déjà trois enfants, je vais te réopérer, je vais te nettoyer dans ton ventre. Je vais nettoyer dans ton ventre.” Puis, je n’ai jamais compris ce que c’était, il ne m’a pas dit “hystérectomie”, il n’a pas prononcé ce mot-là et je ne savais pas, c’était quoi. »
Ce témoignage anonyme d’une femme autochtone n’est qu’un extrait. De nombreux autres sont consignés dans le rapport publié le jeudi 24 novembre par l’École d’études autochtones, en partenariat avec de nombreuses autres institutions en lien avec les communautés autochtones.
Il révèle les violences physiques comme symboliques subies par des femmes des Premières Nations et Inuit, durant des actes obstétricaux ou gynécologiques réalisés sur le territoire québécois.
« C’est quelque chose à laquelle on s’attendait. On savait que ça existait », confie Marjolaine Siouï, directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, qui a participé au rapport. Pour elle, ce dernier vient mettre la province face aux réalités, alors que dans celle de la Saskatchewan, le phénomène était déjà connu.
« Il y avait un déni de la part du Québec. Quand on a sorti le grand rapport national en Saskatchewan, la province québécoise disait : “Ben, si ça existait, on l’aurait entendu” », regrette-t-elle. Pour cela, il fallait tendre l’oreille aux victimes : c’est ce qu’ont fait les autrices du rapport entre 2020 et 2022.
Des actes imposés
Suzy Basile est la directrice du Laboratoire de recherche sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones – Mikwatisiw à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, elle a dirigé le rapport.
« Il vient s’ajouter à une longue série, de trop longues séries, parfois, de preuves, de documents produits sur différents traumatismes subit par les peuples autochtones »
explique la professeure.
Sur 35 témoignages récoltés au Québec, 22 participantes déclarent avoir subi des stérilisations imposées à l’hôpital ou chez le médecin. Des cas d’avortements imposés, d’insultes verbales, d’agressions sexuelles sont également référencés.
Les participantes au rapport avaient entre 17 et 46 ans lors des actes, qui s’étalent de 1980 à 2019. L’une témoigne de ce qu’elle a vécu lors de son accouchement : « Tu n’es pas traitée comme une personne, un être humain. Tu as été traitée comme une sauvage, là, tu sais, une “sale indienne” qui va faire du dégât. Ah ! Ce sont les commentaires [que] j’entendais, tu sais. Ce n’était pas évident. »
Plusieurs femmes autochtones ont même appris des années après l’intervention qu’elles ne pouvaient plus enfanter. Le consentement éclairé de l’acte n’a donc pas été respecté. Le rapport dévoile des situations dans lesquelles des femmes harassées par leur accouchement, et/ou qui ne comprennent pas bien la langue, signent un papier validant l’opération de stérilisation.
Les enjeux d’un tel acte sont parfois biaisés. Ainsi, une participante témoigne d’une discussion avec son médecin : « Avant qu’il me fasse la ligature, il m’avait juré que si je voulais avoir d’autres enfants, c’est faisable de se faire déligaturer. Donc, c’est à ce moment-là que j’ai dit OK. » La ligature des trompes est pourtant une opération considérée comme quasi irréversible.
Respect et écoute
Ce qui marque aussi, dans ce document de 79 pages, c’est la pédagogie, et le respect envers les victimes qui en émane. Dès les premières lignes, les femmes ayant témoigné sont remerciées, encouragées. Les mots de vocabulaires sont expliqués, les propos sont dignes.
Pour Marjolaine Siouï, c’est la force d’avoir des personnes autochtones impliquées dans la recherche, notamment Suzy Basile, qui est une femme de la nation Atikamekw, de la communauté de Wemotaci au Québec.
« Ça fait une différence. Peut-être que ça vient de notre culture, le concept du bâton de la parole… Ça émane de nos rituels, de nos cérémonies, centrés sur l’écoute, sur ce qui nous est transmis »
explique Marjolaine Siouï.
Le sujet reste très complexe à évoquer avec les femmes, et pour les autrices, le nombre de cas ne se limite pas à 35 individus : au moins vingt autres femmes ont déclaré avoir subi des actes similaires, sans vouloir témoigner.
D’autres n’ont pas pu être entendues, ajoute Suzy Basile : « En plein contexte de pandémie, il y a des personnes qu’on n’a pas pu rencontrer, certaines communautés étaient fermées. » Le rapport évoque ainsi des témoignages indirects comme celui d’une femme dont les « cinq tantes qui ont consulté pour des problèmes liés à leurs menstruations (…) ont subi une ligature des trompes alors qu’elles étaient âgées de 14 à 18 ans ».
Défaillance du système
Finalement, peu importe le nombre. Pour Marjolaine, c’est un exemple de plus de la défaillance du système de santé à protéger les personnes autochtones, les femmes en première ligne.
« Si ça, ce n’est pas une preuve de racisme systémique, je ne sais pas ce qu’il faudra pour réveiller le Québec, pour arrêter d’être dans le déni. On doit être capable d’accepter ça. Les politiques actuelles, les procédures actuelles ne fonctionnent pas. Il faut changer ces choses-là, et ça nécessite des changements structurels, des changements de politique, de loi »
martèle la directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador.
Le racisme systémique envers les personnes autochtones n’est pour l’instant pas reconnu par la province. Contacté, le ministère de la Santé déclare vouloir prendre « d’abord connaissance du rapport ainsi que des recommandations qui lui sont adressées avant de se prononcer », mais ajoute que dans tous les cas, « la stérilisation forcée et sans consentement n’est jamais une pratique acceptable ».
Le Collège des médecins du Québec, lui, a d’ores et déjà réagi et entend mettre en place des mesures. Deux femmes citées dans ce rapport ont rejoint le recours en justice des femmes ayant témoigné en Saskatchewan, qui sera étudié en mai 2023. D’autres, comme une partie des femmes Atikamekw, vont s’organiser à leur tour. Mais certaines refusent de rouvrir les plaies en justice : pour elles, cela ne comblera jamais la perte de leur droit à donner la vie.