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Canada | L’agrandissement d’un oléoduc divise les peuples autochtones

Le doublement des capacités de l'oléoduc Trans Mountain, dans l'Ouest canadien, suscite depuis longtemps la polémique. Trop coûteux environnementalement et financièrement, il divise la population du Canada comme les peuples autochtones, qui y voient soit une opportunité économique, soit un désastre pour leur culture et leur territoire.

Par panorama papers
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Par Julie Peh, Avec Rfi

Avant d’arriver sur la rive du lac Jacko, à l’ouest de la chaîne des Rocheuses canadiennes, il faut montrer patte blanche à une première barrière où un ouvrier arrête le véhicule, puis poursuivre une piste jusqu’à une deuxième barrière. Cette fois-ci, pas d’arrêt, mais une ouvrière qui s’empresse de filmer la plaque d’immatriculation. Le chantier est habitué aux manifestations d’activistes environnementaux. Parmi eux, April Thomas, qui a quitté sa communauté Secwépemc, à une centaine de kilomètres d’ici, pour faire la visite.

Le long de la route qui mène au lac, une immense tranchée est creusée à même la colline, et une dizaine d’engins de chantier s’affairent à enterrer des immenses tuyaux qui transporteront le pétrole des sables bitumineux d’Alberta vers Vancouver. L’agrandissement du Trans Mountain, dont le projet appartient au gouvernement fédéral du Canada, permettra de faire passer le flux de pétrole de 300 000 à 890 000 barils par jour.

Endroit sacré

Emmitouflé dans un gros pull – le vent automnal lui tire des larmes de froid –, April descend de son pick-up. Le lac Jacko, paisible étendue d’eau, s’étire derrière elle ; de bas nuages gris viennent donner un caractère mystique aux collines environnantes. « À chaque fois que je suis ici, cela me fait bizarre », murmure la matriarche de la Première Nation Secwépemc du lac Canim. « Les gens de tout le pays venaient faire une cérémonie de jeûne pour demander des réponses ou des conseils de la part du créateur et des ancêtres », décrit-elle.

Pour les Secwépemc, dont les bandes sont établies sur un large secteur des Rocheuses dans les terres de Colombie-Britannique et dont le territoire couvrait une zone encore plus grande avant la colonisation, le lieu est historique. « Pour nous, c’est un sanctuaire, un peu comme une église. On devrait suivre nos lois sur notre territoire, qui feraient que nous ne détruirions jamais notre eau, notre terre. Ils ne pourraient jamais faire cela, parce que tout ce qu’ils font détruit tout ce que nous tenons pour sacré », critique la matriarche de la communauté Secwépemc.

« Ils », c’est l’entreprise étatique Trans Mountain qui gère cet oléoduc, opérationnel depuis 1953. En 2018, l’État a racheté l’infrastructure 4,5 milliards de dollars et poursuivi le projet d’extension. L’entreprise, qui n’a pas répondu à RFI, assure sur son site internet avoir consulté les peuples autochtones sur le sujet, comme l’impose la loi, à savoir les conseils de bandes, des structures dirigeantes dont la création a été imposée par la loi sur les Indiens.

« Comme la société canadienne, les peuples autochtones ne sont pas monolithiques. Les dirigeants, dont l’élection est imposée par la loi sur les Indiens dans les communautés, ne sont pas reconnus par tous, d’où les visions divergentes sur ce projet », résume Sébastien Brodeur-Girard, professeur à l’université du Québec en Abitibi-Temiscamingue et spécialiste de la question de la gouvernance chez les Premières Nations.

Une opportunité économique

En effet, tout le monde n’est pas opposé à l’extension de l’oléoduc, dont les travaux sont censés être achevés pour la fin d’année 2023. À Calgary, un groupe espère racheter l’infrastructure pour répartir les revenus dégagés aux 129 communautés autochtones qui se trouvent le long du tracé.

De son bureau, Stephen Mason observe la vue sur les tours du centre des affaires de la capitale économique de l’Alberta, province devenue richissime grâce au pétrole extrait des sables bitumineux. Des peintures de Premières Nations parsèment les murs de son office. « Les peuples autochtones ont vraiment leur mot à dire sur la façon dont ces projets sont menés, en tant que gardiens de la terre et évidemment protecteurs de la terre», explique le PDG du Projet Réconciliation, un consortium d’hommes d’affaires autochtones et non autochtones qui espère racheter le droit d’exploiter l’oléoduc Trans Mountain lors d’un appel d’offres de l’État.

Alors que le groupe développe en parallèle des projets d’énergies durables, n’est-ce pas paradoxal de vouloir racheter ce pipeline ?

« Le projet est achevé, il est là. Le but est d’en faire profiter les peuples autochtones. Plus tard, il servira à transporter de l’hydrogène, tout le monde se précipitera sur ce pipeline. Et si les Premières Nations ne se sont pas positionnées dessus, ce sera trop tard »,

justifie Stephen Mason.

Pour l’heure, rien ne prouve que l’oléoduc véhiculera de l’hydrogène vert, produit à partir de sources renouvelables. Le pari est que l’Alberta commence à investir dans l’hydrogène et que cette tendance s’accentuera à l’avenir.

Une décision juridique complexe

Au bord du lac Jacko, April ne décolère pas. Pour elle, l’oléoduc Trans Mountain ne sera jamais au profit des peuples autochtones.

« Dans le cadre de la réconciliation, ils sont censés nous donner plus d’emplois et d’avantages économiques. Je suis propriétaire d’une entreprise forestière et nous devons nous battre bec et ongles pour obtenir du travail »,

soupire-t-elle.

En mai 2023, April a été condamnée à 32 jours de prison, avec d’autres femmes autochtones, pour s’être introduite sur le chantier du Trans Mountain. La juge Shelley Fitzpatrick, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a conclu que les croyances, lois et traditions des peuples autochtones ne se démarquaient pas de ceux d’un citoyen du Canada. Elle a notamment indiqué qu’elle était « presque sûre » que ses propres ancêtres irlandais, qui cultivaient la pomme de terre, étaient, eux aussi, liés à la terre, mais qu’ils n’étaient pas au-dessus des lois.

« Aujourd’hui, le Canada reconnaît la loi provinciale et la loi fédérale, mais de plus en plus de juristes questionnent la non prise en compte des lois et des traditions des Premières Nations. Pourquoi ne prendrait-elle pas en compte les lois de territoires autochtones, qu’il n’a de toute façon pas abolies ? », interroge le chercheur Sébastien Brodeur-Girard.

Car l’enjeu est là : l’oléoduc Trans Mountain révèle au grand jour des questions laissées en suspens par le passé colonial canadien.

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