Par Serge Aimé Bikoi
Ce mercredi, 13 septembre 2024 marque la commémoration du 66ème anniversaire du décès du Mpodol Ruben Um Nyobe, ancien secrétaire général de l’Union des populations du Cameroun (Upc), figure historique et père de l’indépendance du Cameroun. En dépit de la promulgation, en 1991, d’une loi reconnaissant certains de nos héros nationaux, il n’en demeure pas moins aujourd’hui que ce texte de loi est resté au stade d’un effet d’annonce, voire d’une déclaration d’intention. Chronique sociale sur le mépris permanent affiché à l’endroit des martyrs.
La promulgation d’une loi, il y a trois décennies, reconnaissant certains de nos héros nationaux n’a jamais été traduite en actes concrets et sa mise en œuvre est demeurée sujet à caution. Sinon, comment comprendre que plus d’un demi-siècle après sa disparition le 13 septembre 1958, Ruben Um Nyobe d’une part, et, d’autre part, Félix Roland Moumie, Ernest Ouandie, Abel Kingue, Ossende Afana, Paul Soppo Prison, etc n’aient pas bénéficié d’une attention singulière de leurs concitoyens qui président aux destinées du Cameroun aujourd’hui ?
L’histoire de la décolonisation de l’Afrique contemporaine nous renseigne, de nos jours, que tous les leaders indépendantistes africains, après la guerre d’indépendance, ont fini par gouverner dans leur pays à l’exception de l’Union des populations du Cameroun (Upc), où l’administration coloniale a, contre toute attente, préféré coopter au pouvoir ceux qui estimaient que le Cameroun n’était pas mature pour accéder à l’indépendance. C’est probablement ce qui justifie le désintérêt, voire la phobie entretenus par les dirigeants actuels à l’endroit des héros nationaux, sans lesquels le Cameroun ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. C’est ce qui, par la même occasion, explique l’obscurantisme politique qui a enveloppé d’un voile éhonté les programmes d’enseignement de l’histoire du Cameroun à la progéniture scolaire et universitaire. Quand bien même l’histoire du Cameroun est inscrite dans les programmes scolaires et académiques, elle fait abstraction volontaire de mentionner les efforts consentis par les nationalistes camerounais pour sortir le pays du joug colonial. N’est-ce pas là la raison pour laquelle un Historien contemporain a observé fort à propos qu’ “à la différence du Kenya, où le mouvement “Mau Mau” fait partie de l’héritage colonial est glorifié comme tel, au Cameroun, ceux qui comattirent et donnèrent leur vie pour la Réunification et l’indépendance ne sont, aujourd’hui, mentionnés dans les discours populistes que pour être condamnés”.
La question qui taraude alors l’esprit des Camerounais et des générations postérieures au mouvement de libération du Cameroun est la suivante: quel crime odieux et irréparable ces nationalistes ont-ils commis pour mériter un destin implacable ayant animé leurs rejetons posthumes à effacer leurs noms de l’histoire du Cameroun ? Ruben Um Nyobe, Félix Roland Moumie, Ernest Ouandie, Ossende Afana, Abel Kingue, Ndeh Ntumazah, John Ngu Foncha, Endeley ont-ils mal fait, en revendiquant, avec opiniâtreté et témérité au prix de leur vie, la Réunification et l’indépendance du Cameroun ? Pourquoi cette haine viscérale nourrie contre ces pères fondateurs de la nation camerounaise au point de refuser, manifestement, de les immortaliser, en leur dédiant rues, boulevards, aéroports, universités, stades de football, palais des sports, monuments, stèles et autres places publiques sur le territoire national ?
Par contre, non loin de nous, d’autres pays, qui ont su mettre en exergue la ritournelle populaire selon laquelle “Aux grands hommes la patrie reconnaissante”, ont dédié, tour à tour, leurs universités, leurs rues, leurs stèles et autres places publiques à ceux qui méritent d’être distingués par la nation tout entière. Ainsi, des Camerounais qui ont eu l’occasion et l’opportunité de voyager dans certains pays africains ont découvert l’Université Cheikh Anta Diop au Sénégal, Abomey Calavi au Bénin, Makerere en Ouganda, Nnamdi Azikiwe au Nigéria, Omar Bongo au Gabon et Marien Ngouabi au Congo. Au Cameroun, avec la réforme universitaire de 1990, l’université camerounaise a fait naître sept universités d’État qui, curieusement, portent les noms des villes d’implantation avec un dédoublement en chiffres romains pour Yaoundé I et Yaoundé II. D’autres universités d’État sont nées ces dernières années. Jusque-là, aucun nom de baptême des pères de l’indépendance et de la Réunification. Peut-on conclure, eu égard à ce qui précède, qu’il a manqué des figures emblématiques dans notre pays ou alors d’événements dignes d’intérêt ayant marqué notre histoire pour être dédiés à nos héros nationaux ? Que nenni !