Par Sandra Embollo
“Je ne vais pas abandonner ce combat.” La promesse faite par Nikki Haley semble illusoire, tant la dernière adversaire de Donald Trump est distancée dans la course à l’investiture du Parti républicain pour la présidentielle américaine. La candidate a décroché sa première victoire, dimanche 3 mars, lors des primaires dans la capitale Washington. Un succès symbolique qui ne lui permet pas de faire oublier ses nombreuses défaites des dernières semaines. Fin février, l’ex-gouverneure a été largement battue en Caroline du Sud, Etat qu’elle a pourtant dirigé huit ans. Dans le Nevada, elle a même obtenu moins de voix que le vote pour “aucun candidat”, alors que Donald Trump ne figurait pas sur les bulletins.
Alors que quinze Etats votent lors du traditionnel “Super Tuesday”, mardi 5 mars, Nikki Haley “n’a pas de chances réalistes de renverser la tendance”, estime Françoise Coste, professeure d’études américaines à l’université Toulouse-Jean Jaurès. “Perdre dans son propre Etat est vraiment une humiliation dont il est difficile de se remettre”, argue l’experte. “Le plus inquiétant, c’est sa dynamique : elle ne fait aucun progrès significatif”, abonde l’historien Lauric Henneton. Pour le spécialiste des Etats-Unis, sa victoire à Washington, “une ville à 95% démocrate”, “est au mieux insignifiante”.
Résister jusqu’au “Super Tuesday”
“Arithmétiquement, elle est nettement devancée”, constate Lauric Henneton. A la veille de l’échéance la plus importante des primaires, Donald Trump comptait déjà 273 voix de délégués sur les 1 215 nécessaires pour être officiellement désigné candidat à la présidentielle lors de la convention du Parti républicain en juillet. Nikki Haley n’en a que43, selon le décompte de l’agence AP. Le “Super Tuesday” ne peut que creuser cet écart. Alors pourquoi la candidate n’abandonne-t-elle pas ?
Jusqu’ici, Nikki Haley a pu poursuivre sa campagne parce qu’elle en avait les moyens. En janvier, la candidate républicaine a ainsi levé 16,5 millions de dollars de dons, rapporte Cnbc. Mais les sources se tarissent. Après sa défaite en Caroline du Sud, “elle a perdu le soutien de ses principaux financiers, les célèbres frères Koch”, note Françoise Coste.
“Si ces donateurs ont jeté l’éponge, c’est qu’ils ont compris que [la campagne de Nikki Haley] était une cause perdue.”
Françoise Coste, professeure d’études américaines.
La rivale de Donald Trump est “sans doute” aussi poussée par son “ego”, avance la professeure d’études américaines. Nikki Haley “veut tenir jusqu’au ‘Super Tuesday’, qui est traditionnellement le moment où les challengers les plus crédibles se retirent de la course quand ils se rendent compte qu’ils ne peuvent plus l’emporter”, juge Françoise Coste. “Il s’agit aussi de remercier ses équipes sur le terrain, en leur permettant de mener la campagne des primaires jusqu’à son terme.”
Se placer comme “un plan B”
Vu le coût colossal d’une campagne présidentielle aux Etats-Unis, les calculs de Nikki Haley vont sûrement plus loin que le “Super Tuesday”. “Il ne faut pas négliger le désir de continuer à recevoir une importante couverture médiatique, ce qui est pour elle un moyen de construire son image nationale et de se positionner comme une figure de premier plan”, pointe Françoise Coste. Surtout si l’ancienne ambassadrice américaine auprès de l’Onu se voit comme “un plan B (…) en cas d’empêchement” de Donald Trump, estime Lauric Henneton.
L’ancien président des Etats-Unis doit en effet comparaître dans plusieurs procès d’ici novembre, notamment concernant sa responsabilité dans l’assaut du Capitole en 2021. Et il pourrait bien être condamné dans certains de ces dossiers. Aucun des plus de 90 chefs d’inculpation qui le visent actuellement ne peut s’accompagner d’une peine d’inéligibilité : selon la Constitution américaine, seule une condamnation pour “insurrection” empêche un candidat de se présenter la présidentielle. Mais les sondages montrent que le soutien des électeurs s’effriterait si Donald Trump était reconnu coupable dans un procès pénal, révèle la chaîne Nbc.
Il est donc possible que Nikki Haley s’inscrive “dans une logique du temps long, où elle attendrait que [l’ex-président] trébuche pour rester la seule en course”, analyse Lauric Henneton. Ces dernières semaines, elle a multiplié les attaques contre Donald Trump. “Au lieu de me demander quels Etats je vais gagner, pourquoi on ne se demande pas comment il va remporter l’élection présidentielle après avoir passé une année entière au tribunal ?”, a-t-elle lancé dans un entretien à l’agence AP, fin février.
“Qu’elle le veuille ou non, Nikki Haley est devenue la porte-voix des électeurs des primaires qui ne peuvent se résoudre à [voter pour Donald] Trump.”
Lauric Henneton, historien spécialiste des Etats-Unis.
Cette stratégie a toutefois peu de chances de réussir, selon Françoise Coste. “Si Donald Trump ne pouvait pas être candidat, on voit mal comment celle qui l’a défié, en tenant parfois des propos très durs contre lui, serait vue comme un choix de remplacement… La base trumpiste ne l’adoptera jamais”, décrypte la spécialiste des Etats-Unis. “Une frange des républicains serait enchantée par un retour à une certaine normalité après la tempête Trump, mais le parti reste acquis” au milliardaire, confirme Lauric Henneton. Il n’est donc “pas sûr que Nikki Haley soit l’héritière la plus évidente” en cas d’abandon forcé du favori des primaires républicaines.
Préparer la présidentielle de 2028
L’ex-gouverneure cherche-t-elle à se positionner pour la prochaine échéance présidentielle ? “L’élection de 2028 a déjà des airs d’horizon pour ceux qui veulent (…) renouveler les cadres, côté démocrate comme côté républicain”, assure Lauric Henneton. Dans quatre ans, “Trump et Biden ne se représenteront pas”. Nikki Haley “aura acquis une notoriété qui permet de se positionner au cours d’une primaire”, estime l’historien. “Elle aura fait parler d’elle, elle aura eu du temps d’antenne, et cette visibilité attire les donateurs.”
La candidate “fait le pari qu’une fois que Donald Trump aura quitté la scène politique, le Parti républicain redeviendra ‘comme avant'”, avec un conservatisme “à la sauce George W. Bush qu’elle incarne bien”, confirme Françoise Coste.
“Ce pari est très risqué, tant la base du Parti républicain a été transformée par toutes ces années de trumpisme.”
Françoise Coste, professeure d’études américaines à franceinfo
L’élection de 2028 pourrait voir s’affronter “une foule d’héritiers” politiques de l’ancien président, ce qui “fragmenterait le vote trumpiste”, avance Lauric Henneton. Si le reste du parti n’est pas trop morcelé, “Nikki Haley pourrait avoir une bonne chance” d’emporter l’investiture des conservateurs pour la prochaine présidentielle, estime l’historien. Reste à savoir si c’est vraiment son objectif. “Si elle n’a pas d’ambition pour 2024 ni pour 2028, on peut se demander pourquoi elle s’obstine, souligne Lauric Henneton. Une campagne présidentielle a un coût qui n’est pas seulement financier, il faut avoir une bonne raison de poursuivre l’effort.”