Par Félix C. Ebolé Bola (CP)
L’Union européenne (UE) dénonce l’accord de partenariat volontaire (APV) relatif à l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux des bois et produits dérivés vers son espace, en provenance du Cameroun, entré en vigueur le 1er décembre 2011. Telle est la teneur de la décision du Conseil, prise le 2 octobre et appelée à être notifiée à Yaoundé «au plus tard le 30 novembre 2024, afin qu’il ne soit pas renouvelé par tacite reconduction». Et ladite décision entrera en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel de l’UE.
Signé le 27 septembre 2010 avant son entrée en vigueur, l’APV, assorti d’une Application des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux (Flegt), d’une durée de 7 ans et qui avait été renouvelé par tacite reconduction le 1er décembre 2018, devait être reconduit le 11 décembre 2025. Le bois, rappelle-t-on, est le premier produit d’exportation du Cameroun, hors hydrocarbures.
«Malgré les tentatives de l’UE, la République du Cameroun n’a pas été en mesure de remplir ses obligations au titre de l’APV, notamment pour ce qui est de la mise en place du régime d’autorisation Flegt, qui vise à vérifier et attester au moyen d’une autorisation Flegt que le bois et les produits dérivés exportés vers l’Union européenne ont été produits ou acquis légalement. Étant donné que la République du Cameroun n’a pas rempli ses obligations au titre de l’APV, la Commission estime que l’APV ne satisfait plus à l’exigence d’’’utilité’’ visée au considérant 81 du règlement de l’UE sur la déforestation.» Ainsi est formulée la raison de la rupture.
L’action du Minfof
Bien plus encore : l’état de mise en œuvre de l’APV, avec le Cameroun, ces 10 dernières années, indique que ses objectifs, et notamment le régime d’autorisation Flegt, ne cadrent pas avec la politique adoptée par la République du Cameroun à l’égard de ce secteur. «La poursuite de l’APV, en dépit de ces difficultés, pourrait nuire à la crédibilité de l’UE en tant que porte drapeau à l’échelle mondiale des questions liées à la protection des forêts et à la biodiversité et porter préjudice à l’intégrité des APV en tant qu’instruments commerciaux de l’UE.»
Avec pour but d’appuyer les efforts déployés, à l’échelle mondiale, en matière de lutte contre le problème de l’exploitation illégale des forêts et le commerce qui y est associé, l’APV-Flegt est doté d’un système visant à vérifier, garantir et certifier la légalité du bois exporté vers l’UE. En rapport avec son calendrier de mise en œuvre, un régime d’autorisation aurait dû être mis en place, dans les 5 ans suivant la réforme du cadre juridique. Autrement dit, la politique de l’anarchie continue de régner, en dépit des engagements pris par le Cameroun. Au cœur de la controverse, l’action du ministère des Forets et de la Faune (Minfof).
De même, dans un délai de 3 à 4 ans, était prévue la mise en œuvre d’un système d’amélioration des systèmes nationaux de contrôle, ainsi que la mise en place du système de vérification de la légalité et du système de traçabilité, qui à ce jour auraient toutes dû être terminées. Le Cameroun, indiquent des sources proches du dossier, s’était alors fixé un calendrier des plus ambitieux pour bien marquer sa volonté politique, renforcer la dynamique qui s’était fait jour parmi l’ensemble des parties prenantes et mobiliser les ressources nécessaires à la mise en œuvre de l’APV.
Non-conformité
Pour l’UE, cela fait pourtant 13 ans que l’APV est entré en vigueur, alors que le régime d’autorisation Flegt n’a toujours pas vu le jour à en croire un examen conjoint effectuée cette année, «ce qui revient à dire que l’APV n’est pas opérationnel». Ainsi donc, la volonté politique du Cameroun s’est estompée, toute chose s’étant avérée préjudiciable à la mise en œuvre de l’APV et à l’engagement pris par le pays d’atteindre ses objectifs, en particulier en ce qui concerne la délivrance d’autorisations Flegt.
Le principal différend, entre les parties, est survenu lors du lancement par le Minfof, le 1er avril 2021, du Système informatique de gestion des informations forestières de 2ème génération (Sigif2). Le même jour, l’UE et la Coopération allemande (KfW et GIZ) publiaient une déclaration conjointe. Ils y reconnaissent, certes, que cet instrument «aurait dû être une étape cruciale de la mise en œuvre» de l’APV-Flegt, mais s’empressent de noter des «divergences importantes».
Ces partenaires affirment avoir alors, clairement, exprimé leurs différends tout au long du processus de développement et d’évaluation du Sigif2, retenu «de manière unilatérale par les services du Minfof, et pourtant développé sur des financements européens tout en offrant leur appui matériel, financier et technique». Et ils indiquent avoir fait des propositions visant à faire disparaître ces discordances.
Finalement, constatent-ils, la version du Sigif2, livrée en novembre 2018, n’a pas été réceptionnée par la commission ad hoc du fait de sa non-conformité au cahier de charges. Ainsi, mentionnent-ils, les tests réalisés par un consultant indépendant ont-ils révélé des dysfonctionnements majeurs. «Depuis lors, la KfW, en tant que partenaire financier, n’a plus jamais été tenue informée de l’évolution de ce marché. Par conséquent, la Coopération allemande souligne qu’elle n’est plus engagée vis-à-vis de cette activité.»
Bois illégal
Depuis lors, les certificats émis par le Sigif2 n’ont pas été reconnus ou validés, dans le cadre du règlement bois de l’UE (Rbue), encore moins pour les autorisations Flegt permettant de faire des économies ainsi qu’un accès direct et prioritaire au marché européen. Ces dernières ne sont donc plus émises, sous réserve de la mise en place d’un autre instrument, ou alors d’une refonte intégrale de l’outil, sur la base d’une l’étude benchmark conduite avec le ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat).
De même, la réforme du cadre juridique n’est pas allée à son terme et l’exploitation des forêts, s’effectuant toujours en partie sur la base de petits titres d’exploitation (ventes de coupe), ne nécessitant aucun plan d’aménagement. Il en est de même des systèmes nationaux de contrôle, qui ne sont pas opérationnels, «de sorte que l’application des réglementations et la gouvernance demeurent médiocres, permettant la poursuite d’opérations d’abattage illégales et portant atteinte à l’environnement». Si la mise au point du module de vérification de la légalité intégré dans le système de traçabilité est toujours en cours, les rares progrès accomplis à ce jour n’ont, eux, fait l’objet d’aucun audit indépendant susceptible d’attester sa crédibilité.
Ainsi, souligne l’UE, de nombreuses enquêtes ont révélé l’état lamentable du secteur forestier, «pointant du doigt la participation d’entreprises privées, tant étrangères que nationales, et d’acteurs du secteur public à un commerce de bois d’origine illégale représentant plusieurs millions de dollars». Entre 2011 et 2022, l’Union a évalué que 900.000ha de couvert forestier ont été perdus, représentant 5% de la totalité du couvert du pays. L’ONG Global Forest Watch n’est pas bien loin de cette portée du massacre environnemental : de 2013 à 2021, le pays a perdu plus d’un million d’hectares de couvert forestier.
Selon des données officielles, l’Asie est devenue la principale destination du bois camerounais. Le Programme de sécurisation des recettes forestières indique ainsi que le Vietnam, mais aussi la Chine ont, en 2019, engrangé près de 70% du volume total de bois exporté. Dans ce pillage organisé, et selon un rapport publié en 2020 par le Centre pour l’environnement et le développement (CED) et l’Environmental Investigation Agency (EIA), «un groupe de sociétés vietnamiennes (…) est au cœur de l’essor du commerce illégal du bois entre le Cameroun et le Vietnam», avec la complicité d’acteurs locaux.
Le Minfof tente une échappatoire
La partie camerounaise était censée savoir que la rupture était inéluctable, au vu de la quantité et de la qualité des bourdes commises dans l’application de l’APV-Flegt. Lors d’une audience, voici quelques mois avec la délégation de l’UE sur les perspectives de l’Accord, le patron du Minfof, Jules Doret Ndongo, en était encore à évoquer la «capitalisation du dialogue fructueux» entre les parties, dans le cadre du renforcement de la gouvernance forestière ainsi que la prise en compte de l’émergence de nouveaux instruments juridiques au plan international, et autres problématiques émergentes en matière de gestion forestière et de lutte contre le changement climatique.
S’il suggérait la reprise d’un dialogue plus ou moins élaboré entre les parties, de préférence avant la date de renouvellement tacite de l’APV pour 7 nouvelles années, le Minfof engageait aussi ses interlocuteurs en vue de la reprise complète de la feuille de route à partir des éléments contenus dans la feuille de route de 2019, en y intégrant les évolutions des contextes aux niveaux international, du pays et de l’UE.
Continuant de ne point envisager l’éventualité de la suppression du marché intérieur du bois (MIB) dans le développement de l’APV et/ou du système de traçabilité, tel que proposé par le rapport de l’UE, le Minfof proposait alors la prise de dispositions, à très court terme, en vue de consulter les parties prenantes nationales, dans le cadre d’une session du Comité national de suivi de l’APV. Il s’agirait, ainsi, de discuter sur la proposition de scenario possible à adopter par le Cameroun, permettant alors de mettre en avant l’un des piliers importants de la bonne gouvernance concernant les processus délibératifs et la participation. Plus simplement, Yaoundé, qui ne souhaitait point se sentir isolé suivant le scénario retenu, entendait solliciter son partenaire européen pour une prise de position des Etats membres de ce dernier.
FCEB
Des milliards en fumée
Ainsi donc, le Cameroun va perdre l’importante manne issue de l’APV-Flegt signée avec ses partenaires européens. Premier partenaire commercial, les exportations du pays vers cet espace sont estimées à plus de 40%.
S’agissant des exportations des bois sciés, au détriment des bois bruts, elles ont augmenté de 0,6% en 2023 en glissement annuel, générant une recette de 107,2 milliards de francs, soit 7% des recettes d’exportations vers l’UE. Un an auparavant, où 33,1% des quantités de bois sciés ont été exportées et -22,1% des quantités exportées de grumes, 97,4% de ces derniers ont été exportés vers l’Asie Orientale (Chine, 52,6%, Vietnam, 40,6% et Bangladesh, 4,6%), tandis que les exportations de bois sciés ont été orientées à 50,2% vers l’UE et à 27,1% vers l’Asie orientale.
Avec ces derniers Etats, on ne peut pas dire que la transparence fait partie des grands principes de gouvernance. Surtout dans un secteur managé par toutes sortes de mafias. En 2021, l’Agence nationale d’investigation financière (Anif) estimait à 33 milliards de francs, les pertes annuelles du Cameroun du fait de l’exploitation illégale de la forêt et de la faune.
C’est pour mettre fin aux nombreux trafics qui gangrènent le secteur, le Cameroun a mis en place le Sigif2. Il s’agit d’un logiciel destiné au traçage du bois, de la coupe en forêt jusqu’aux ports ou aux scieries. Une démarche qui, ainsi qu’on le constate aujourd’hui, est fortement contestée par l’UE.