Par Léopold DASSI NDJIDJOU
Si officiellement la proclamation des résultats biaisés de l’élection présidentielle a été l’élément déclencheur direct du coup d’État, il n’en demeure pas moins vrai que cette assertion est brumeuse ou au second plan dans l’esprit de beaucoup de Gabonais, travaillés au cours des décades par la construction de « l’ennemi Fang » qui nourrirait sans cesse des ambitions de pourvoir contre les autres ethnies du pays.
Ce sont des clichés savamment et insidieusement entretenus contre cette composition sociologique la plus nombreuse du pays, qu’on retrouve en grand nombre dans les provinces du Woleu-Ntem, du Moyen-Ogooué, de l’Estuaire ou de l’Ogooué-Ivindo. Il y a de ce fait une méfiance quasi morbide de voir un natif de cette « ethnie hégémonique », prendre les rênes du pouvoir. De ce fait, certains n’ont tardé pas à expliciter la grande euphorie qui a accompagné le coup d’Etat par le fait précisément que les militaires étaient un moindre mal, par rapport à Ali Bongo et aussi par rapport à Ondo Ossa de l’ethnie Fang. Si l’Armée a fait irruption pour remettre la balle au centre, pourquoi donc n’avoir pas restitué l’exactitude des résultats des urnes du 26 août ? Pourquoi n’avoir pas remis le pouvoir à Ondo Ossa qui serait le grand vainqueur des élections ? Face à ceci, on émettra vite les réserves en excipant que le nouvel homme fort du Gabon est un Fang de père. Bien sûr, mais personne n’oublie qu’il a grandi dans la culture haltogovénne dont est issue sa mère. Il est de ce fait du Haut-Ogooué. Une telle analyse peut être vexatoire bien sûr, parce que précisément personne ne veut entendre parler ouvertement de l’intrusion de la donne ethnique en politique en Afrique et surtout en Afrique centrale.
Pourtant, c’est ce concept qui fonde la distribution des cartes. Ndong Sima est de ce fait nommé le nouveau Premier ministre du Gabon parce qu’il est avant tout Fang avant autres considérations à l’exemple de ses qualités de brillant économiste. C’est ainsi ! Il est difficile d’expliquer cet état des choses. Avant la dynastie Bongo, Léon Mba, le premier président du pays était Fang. Bongo n’a pris la relève qu’en 1967 après sa mort. Le Fang serait-il une préoccupation dans l’exercice du pouvoir au Gabon parce qu’ils sont majoritaires.
De ce fait, les partenaires du Gabon, en droite ligne avec la logique de la post colonie, craindraient-ils vraisemblablement qu’un chef d’État, gabonais ou en Afrique centrale, s’appuie sur la souveraineté de son peuple ligué derrière lui (de la même ethnie) pour s’émanciper rapidement des injonctions ou des propositions qui lui sont faites ? Cette situation est préoccupante à la lumière de ce qui s’est passé au Burundi avec l’assassinat en 1993 de Melchior Ndadaye, le premier président burundais démocratiquement élu de l’ethnie hutu.
Pour la petite histoire, la population de ce pays est constituée de 85% de Hutu. Cela n’a pas empêché qu’il soit assassiné par la minorité tutsi avec précisément Pierre Buyoya issue de cette dernière ethnie comme le commanditaire ou l’acteur principal à la manœuvre. Stupeur avec l’arrivée des coups d’Etat en Afrique équatoriale où les clivages ethniques sont si prégnants.