Par Sandra Embollo
Chaque jour à Libreville, des retraités patientent de très longues heures, dès l’aube, devant leur caisse du bord de mer pour réclamer des pensions jamais payées, parfois depuis des années. Mais, autrefois bredouilles et résignés après plusieurs heures sous une chaleur accablante, ils sont aujourd’hui des dizaines à patienter, pleins d’espoir. Le général Brice Oligui Nguema, tombeur du président Ali Bongo Ondimba il y a deux semaines, a fait de la fin de leur calvaire sa toute première promesse.
Léonie Oumtoma est lasse. Elle ne sait plus combien de fois elle a attendu devant la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) de Batavia, au centre de la capitale, simplement pour connaître l’état d’avancement de son dossier. « Je suis déjà grand-mère, je suis vieille. J’ai perdu mon mari en 2017, j’ai fait mon dossier en 2018, mais depuis, je ne reçois rien. A chaque fois je pars je reviens, je pars je reviens, se lamente-t-elle. Et je ne sais même pas combien on va me donner… »Le 30 août, l’armée a renversé Ali Bongo, tout juste reconduit dans une élection jugée frauduleuse par les militaires, qui ont également accusé son régime de corruption massive et d’une gouvernance calamiteuse. Deux jours plus tard, leur chef, le général Brice Oligui Nguema, propulsé président de transition, s’est emporté devant 200 à 300 patrons gabonais, sous l’œil des caméras : il a juré de « mettre fin aux souffrances » des retraités et des malades en plaçant « immédiatement sous gestion du secteur privé » les caisses publiques de retraite et de maladie.
Quelques jours plus tard, devant la Cnss de Batavia, ils sont plusieurs dizaines assis sur des chaises en plastique. « Je suis veuve mais je n’ai pas touché un centime de la pension de mon mari depuis deux ans », souffle Henriette Nset, une commerçante de 57 ans. Aristide Mouanda, 57 ans lui aussi, est retraité depuis un an. Ce technicien a travaillé « un peu partout dans le privé » mais n’a jamais rien touché de sa pension malgré plusieurs relances. « Ça fait deux ans que j’attends ma pension, lâche de son côté François Moussavou, 58 ans. Je suis contraint de piocher dans mes économies pour subvenir aux besoins de ma petite famille. »
Espoir et impatiences
Ils sont des milliers dans ce cas, alertaient l’opposition et la société civile depuis des années. Un habitant sur trois vit sous le seuil de pauvreté (moins de 2 euros par jour) au Gabon, troisième pays le plus riche d’Afrique en revenu par habitant grâce à son pétrole, où l’espérance de vie était de 66 ans en 2021, selon la Banque mondiale. Les richesses sont donc concentrées dans les mains d’une petite classe dirigeante depuis les cinquante-cinq ans de règne de la famille Bongo : quatorze pour Ali et, avant lui, quarante-et-un pour son père, Omar Bongo Ondimba. Romaric Ngomo Menie, inspecteur général à la Cnss, se dit conscient des souffrances des retraités. « Il fallait impérativement que l’Etat intervienne pour essayer de relancer toute la gouvernance et remettre la Cnss dans le droit fil », dit-il, ajoutant que le président de la transition « veut des résultats rapidement parce qu’il tient à la protection sociale ». Hélas, malgré la promesse du général, il va encore falloir revenir à la Cnss de Batavia. L’agacement tourne à la bronca : un « problème technique » entraîne sa fermeture prématurée en milieu de matinée. Il ne reste à Aristide Mouanda comme aux autres qu’à espérer « qu’avec le nouveau pouvoir, les choses vont changer ». Le général, qui promet de « rendre le pouvoir aux civils » par des élections après la transition, a multiplié les réunions avec toutes les « forces vives de la nation », rapidement mis en place un gouvernement et multiplié les promesses en faveur des « plus pauvres ». Mais l’espoir qu’il a fait naître chez une grande majorité de Gabonais applaudissant chaque jour une armée qui les a « libérés du clan Bongo » suscite déjà des impatiences. Et des grèves chez des employés qui n’ont pas reçu leurs salaires depuis des mois ou accusent leurs employeurs d’« esclavagisme ».