Par Joël Onana
La police haïtienne a annoncé mardi 19 novembre avoir tué, avec l’appui d’habitants de Port-au-Prince, 28 membres de gangs armés, après que ces derniers eurent lancé une offensive dans la capitale de ce pays des Caraïbes en plein chaos.
Signe d’une très forte insécurité, Médecins sans frontières (Msf) va suspendre à partir de mercredi son travail à Port-au-Prince et accuse les forces de police de “violences et menaces” à son encontre depuis plus d’une semaine.
L’Ong rappelle dans un communiqué avoir dénoncé le 13 novembre des incidents, deux jours plus tôt, quand l’une de ses ambulances “avait été attaquée, entraînant l’exécution d’au moins deux patients et une agression contre le personnel médical”. “La semaine qui a suivi, des policiers ont arrêté à plusieurs reprises des véhicules de Msf et menacé directement le personnel, incluant des menaces de mort et de viol”, dénonce-t-elle.
Dans la nuit de lundi à mardi, des policiers ont intercepté un camion et un minibus transportant des membres de gangs armés à Pétion-Ville, commune aisée de la banlieue de Port-au-Prince, et dans le centre de la capitale, a expliqué à l’Afp le porte-parole adjoint de la police nationale.
Les forces de l’ordre ont alors ouvert le feu sur ces membres de gangs, en tuant dix d’entre eux, selon la même source. D’autres ont été poursuivis et tués par des habitants organisés en groupes d’autodéfense et par des policiers.D’après un photographe de l’Afp, des cadavres de personnes, décrites comme des membres de ces bandes criminelles, ont par la suite été brûlés dans une rue de Pétion-Ville.
Le bilan s’élève à 28 morts selon la police.
Des habitants ont raconté à l’Afptv, sous couvert d’anonymat, que “des gangs sont arrivés en camion, armés de gros calibres, de pioches, de grands marteaux, afin de provoquer des troubles et répandre la terreur à Pétion-Ville”. Mais, a assuré l’un d’eux, “on fera la peau à quiconque tente d’attaquer Pétion-Ville (car) nous sommes déterminés à préserver la sécurité de notre ville”.
Déplacement de population
Depuis la semaine dernière, Port-au-Prince est secouée par une nouvelle flambée de violences attisée par “Viv Ansanm” (Vivre ensemble), alliance de gangs formée en février et parvenue à renverser le Premier ministre d’alors, Ariel Henry. Cette coalition a lancé une attaque contre Pétion-Ville et les quartiers Bourdon et Canapé Vert, après un appel sur les réseaux sociaux de l’un de ses chefs, Jimmy Chérisier, alias “Barbecue”.
Ce dernier a “exigé la démission du Conseil présidentiel de transition” (Cpt), la tête de l’exécutif. Le secrétaire général de l’Onu Antonio Guterres est inquiet “de l’escalade de la violence en Haïti”, selon son porte-parole, et exhorte à faire “des progrès urgents dans la transition politique”.
Ces violences surviennent en pleine crise politique avec le limogeage le 10 novembre par le Cpt du Premier ministre, Garry Conille, lequel a été remplacé le 11 par l’homme d’affaires Alix Didier Fils-Aimé. Il a promis de rétablir la sécurité et d’organiser les premières élections depuis 2016.
Haïti, pays le plus pauvre des Amériques, pâtit depuis longtemps des violences de bandes criminelles, accusées de meurtres, viols, pillages et enlèvements contre rançon. La semaine dernière, des tirs d’armes à feu sur trois avions de compagnies américaines ont poussé le régulateur fédéral de l’aviation civile à interdire les vols commerciaux entre les Etats-Unis et Haïti. L’aéroport de Port-au-Prince est fermé depuis.
Aux violences s’ajoute une situation humanitaire catastrophique qui a forcé la semaine dernière plus de 20 000 personnes à se déplacer, selon l’Organisation internationale pour les migrations (Oim), du jamais-vu avec “une telle ampleur […] depuis août 2023”. Il y a pourtant en Haïti une mission multinationale de soutien à la police. Appuyée par l’Onu et les États-Unis, elle est conduite par le Kenya qui y a déployé cet été un peu plus de 400 hommes.
La représentation locale des Nations unies a dénombré 1 233 meurtres entre juillet et septembre, dont 45 % imputables aux forces de l’ordre et 47 % aux gangs, dans un pays de 12 millions d’habitants.