Par Sandra Embollo
Abdoul rêvait de monter son propre atelier de confection en Europe. Le long périple de ce tailleur ivoirien le mène d’abord à Sebha, dans le centre de la Libye, où il vit ce qui demeurera l’expérience la plus traumatisante de son odyssée. Il se retrouve regroupé avec d’autres migrants, dont des fillettes, que les trafiquants emmenaient avec eux pour les violer. « Ça restera gravé dans ma mémoire. Je vois encore les visages de ces petites filles pour lesquelles on n’a rien pu faire », témoigne-t-il.
Il finit par échouer en Toscane, dans une ville textile en proie à la mafia italienne, chinoise et nigériane, où il répare d’abord de vieux meubles. Un travail annoncé comme volontaire par l’Italienne qui gère sa maison d’accueil, mais qui ne l’est en réalité aucunement et rémunéré seulement par le gîte et le couvert.
Pour se faire un peu d’argent, Abdoul accepte ensuite un travail dans l’un des nombreux ateliers textiles clandestins tenus par des familles chinoises. « C’est une mise en esclavage. Il travaille jour et nuit ou quatorze heures par jour, dans des conditions absolument abominables. On fait tout pour limiter les coûts de ce vêtement. Ces gens travaillent la nuit. Ces gens n’ont pas de contrat. Ces gens n’ont pas de sécurité sociale », souligne Audrey Millet, autrice de l’enquête L’Odyssée d’Abdoul (éditions Les Pérégrines).
Payé 20 à 30 euros par jour, Abdoul est victime de discrimination. Il précise la pyramide raciale : « D’abord les Chinois, après les Pakistanais et après, les Noirs qui viennent en dernier. »
Et pour une productivité maximale, des ateliers tentent de mettre les ouvriers sous leur coupe. « Ils te proposent de dormir dans l’entreprise pour pouvoir mieux gérer ta vie et certains trucs pour mieux travailler. J’ai refusé, afin d’éviter que l’on me donne quelque chose pour me faire travailler comme un esclave », explique Abdoul. Depuis, il a réussi à trouver un emploi déclaré, avec des horaires décents. Mais des conditions parfois difficiles.