Par Sandra Embollo
«Sans délai ». Seize mois après avoir exigé le départ immédiat des soldats de l’opération « Barkhane » du Mali, c’est à l’Onu et à ses casques bleus déployés au sein de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) que Bamako vient de demander de quitter le pays. Vendredi 16 juin, le chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, a demandé, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, le « retrait sans délai de la Minusma ». Déployée depuis 2013 pour restaurer l’autorité de l’Etat et protéger les civils, la mission de l’Onu « n’a pas atteint son objectif fondamental »,à savoir « apporter les réponses adéquates à la situation sécuritaire du Mali », a affirmé le ministre.
Si l’argument est difficilement contestable, la rupture entre la junte au pouvoir à Bamako depuis le coup d’Etat d’août 2020 et les Nations unies est le résultat d’une longue crise de confiance, alimentée par la collaboration du Mali avec le groupe paramilitaire privé russe Wagner et les récentes accusations de massacres faites par l’Onu contre les autorités de Bamako.
Si le calendrier de retrait demeure incertain, cette demande de Bamako devrait ouvrir la voie à un départ des quelque 15 000 militaires, policiers et civils déployés sous le drapeau de l’Onu.
« Le maintien de la paix est basé sur le principe du consentement du pays hôte, et sans ce consentement, les opérations sont presque impossibles ».
a déclaré El-Ghassim Wane, le chef de la Minusma, à l’issue de la réunion de vendredi.
« Une coquille quasiment vide »
Les Etats membres du Conseil avaient jusqu’à fin juin pour renouveler ou non le mandat de la mission. La décision de Bamako met un point final aux débats. Elle n’a cependant pas surpris la plupart des diplomates de l’Onu. A New York, il se chuchotait depuis quelques jours qu’il fallait s’attendre à un « coup d’éclat » du ministre des affaires étrangères malien. Une sortie comparable à la demande de retrait des soldats français du Mali après des mois de tensions et de déclarations incendiaires. En août 2022, les derniers militaires de l’opération « Barkhane » ont quitté le pays.
La « rationalisation de la mission » – sans réduction d’effectifs mais en fermant des bases –, recommandée par le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, dans son rapport mardi 13 juin, a été rejetée par la junte malienne.
« Ni les propositions du secrétaire général, encore moins le projet de résolution en cours de négociation par les membres de ce Conseil, n’apportent de réponse appropriée aux attentes des Maliens ».
a estimé Abdoulaye Diop ce vendredi.
Dans un rapport adressé à l’Onu en décembre 2022, Bamako avait dressé la liste de ses exigences envers la Minusma : donner la priorité « à la dimension sécuritaire de son mandat », renforcer « son soutien aux forces armées maliennes » et opter « pour des actions et des patrouilles offensives ».
Depuis son arrivée au pouvoir, la junte promet de venir à bout de la menace djihadiste. Aussi, les militaires maliens voient-ils le mandat de la Minusma, qui n’est pas de lutter contre les groupes armés terroristes, comme « une coquille quasiment vide », selon les termes d’un diplomate occidental. « Pour la junte, la Minusma est plus une source d’ennui qu’autre choses »,résume-t-il.
Défiance croissante depuis l’arrivée des colonels
Dans son discours devant le Conseil de sécurité, Abdoulaye Diop a dénoncé « l’instrumentalisation et la politisation de la question des droits humains », avant d’accuser la Minusma d’alimenter « les tensions intercommunautaires, exacerbées par des allégations d’une extrême gravité et qui sont fortement préjudiciables à la paix ». Début mai, l’Onu avait accusé dans un rapport les soldats maliens et « des personnels militaires étrangers », identifiés par des témoins et des Ong comme étant des mercenaires du groupe paramilitaire privé russe Wagner, d’avoir exécuté au moins 500 personnes lors d’une opération antiterroriste menée en mars 2022 dans le village de Moura, dans le centre du pays. La junte n’a, depuis, cessé de s’insurger contre les conclusions de ce rapport reposant, selon elle, sur « un récit fictif ». Au point d’annoncer, comme l’a relevé l’Onu dans son dernier rapport sur la situation au Mali publié le 1er juin, son intention d’ouvrir une « enquête judiciaire contre la mission d’établissement des faits et ses complices pour espionnage, atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat et complot militaire ».
L’affaire illustre le niveau de tensions entre Bamako et la Minusma. Une défiance qui n’a cessé de croître depuis l’arrivée au pouvoir des colonels. Ces derniers ont ainsi expulsé Olivier Salgado, le porte-parole de la mission, en juillet 2022, puis Guillaume NGefa, le directeur de sa division droits humains, en mars 2023. Sur le terrain, la junte entrave les mouvements des casques bleus. « Entre le 1er avril et le 11 mai, la mission a demandé 565 autorisations de vol, dont 167 n’ont pas été obtenues », note l’Onu dans son dernier rapport, précisant aussi que quatre des cinq demandes formulées auprès des autorités pour enquêter sur les droits de l’homme « lui ont été refusées » depuis janvier. Ces entraves avaient poussé plusieurs pays à enclencher le retrait ou le non-renouvellement de leur contingent, provoquant récemment une chute de 17 % des effectifs de la mission.
A New York comme à Bamako, nombre de diplomates s’inquiètent du lourd impact que pourrait avoir le retrait des casques bleus du pays. Car, bien qu’entravée dans l’exercice de son mandat, la Minusma, mission la plus meurtrière pour ses participants avec 187 soldats tués en dix ans, permettait jusqu’ici d’assurer, dans le nord et le centre du pays, une présence dissuasive envers les groupes djihadistes.