Par Léopold DASSI NDJIDJJOU
A l’heure des médias instantanés où l’esprit de l’homme est phagocyté par l’immédiateté ;
A l’heure où l’homme refuse des efforts pour saisir la polysémie des mots ;
A l’heure où l’image, le « tout image », « la photo », « la vidéo », dévorent systématiquement la pensée dans sa fluidité éthérée ;
A l’heure où le verbe dépouillé des scories de l’immédiateté agonise dans les dictionnaires des bibliothèques empoussiérées ;
Il y a-t-il encore de l’espace à la poésie qui s’incarne dans l’oralité et l’écriture des mots fermentés, hermétiques au sens premier ?
A l’heure où chaque mot est une semence pour un gain de l’instant ;
A l’heure où l’homme parle comme on rit ;
A l’heure où la parole de l’homme est des échos, des piaffements, un roulement de tambour, qui se meurent avec le son ;
Que faut-il donc attendre aujourd’hui de l’entreprise thérapeutique du mot chargé de toutes ses émotions d’humanisme ?
Ah ! La parole se perd dans l’intérêt comme le regard du chien sur un morceau d’os !
Et pourtant, l’homme africain, surtout lui, affirmera encore son originalité par sa capacité derechef de remplir chaque mot, chaque phrase de lui-même, de ce qu’il est, de ses émotions, de ses peines et de sa vision du monde !
Le cauchemar de l’humanité d’aujourd’hui vient à n’en plus douter, de cette faille sans fond entre les peuples, entre les hommes, où chacun écoute non pas ce que dit son interlocuteur, mais ce qu’il pense !
La communication est en passe de devenir une guerre, même dans les familles, où écouter l’autre est devenu une épreuve très difficile.
Quand vous lirez donc ces quelques mots, ne m’écoutez donc pas, écoutez-vous vous-mêmes ! Ce faisant, nous serons quittes !
D’où que vous soyez sur la planète, considérez que le mot est un vaisseau, le vôtre, qui vous conduira à des espaces lumières si vous y êtes dociles et disciplinés !
Vous verrez en chemin combien le feu du verbe peut embraser les forteresses les plus imprenables, combien les fondements de vos convictions les plus irréductibles, peuvent être ébranlés par la frêle puissance d’un son, d’un mot !
La poésie n’est donc plus un récital, une soif inextinguible de la symphonie et de la synchronie ! C’est me semble-t-il, un livre blanc écrit en dedans et dehors, un miroir où l’âme de l’auteur vous mire, un livre fermé et ouvert, qui vous dépouille ou vous enrichit de vous-mêmes !
De ce point de vue, cet art a encore de longs jours, c’est la futurologie incarnée, c’est vivre l’avenir au présent, en un idiot consacré par tous les prisonniers de l’immédiateté et de l’oubli.
Tout compte pesé, la poésie est esprit, comme la fumée d’une cigarette qui s’évade vers le ciel d’un cendrier, ainsi est la poésie dont la nocivité est prononcée par tous les adeptes des batailles au bout de l’épée, au bout de la sueur et du sang ! Or la vraie victoire, celle qui est durable, est la victoire sur soi-même !
Ce n’est donc plus uniquement la dimension esthétique que la Muse répand sur les âmes désolées, mais il y a bien plus !
C’est cette chirurgie scripturale qui sépare l’animalité de l’humanité, le mortel du divin ! Que c’est beau d’écouter et de comprendre ! Que c’est doux de lire étant dans chaque mot ! Que c’est poétique de s’évader avec chaque mot car le feu du Verne carbure sans fin.