Par Sasha Blanche
Vladimir Poutine l’avait assumé au cours de ses dernières déclarations, il n’était pas prévu d’hommage national aujourd’hui à Mikhaïl Gorbatchev. C’est sa fondation, la fondation Gorbatchev, créée en 1991, qui organise cette journée de funérailles dans le centre de Moscou, rapporte notre correspondant, Paul Gogo. Elle est composée de proches qui se sont affairés ces dernières années à protéger l’héritage du politicien, parce que la société russe est de plus en plus poussée à regretter la fin de l’Urss.
Des milliers de personnes en un flux continu se sont succédées à l’étage de la Maison des syndicats dans le centre de Moscou. Une tradition en Russie pour les dignitaires du régime. En discret fond sonore, une musique extraite du film La Liste de Schindler de Steven Speilberg. Un grand portrait de Mikhaïl Gorbatchev y était affiché, le parquet craquait.
Et le cercueil apparaît, le visage paisible du dernier président d’Urss à découvert. Un cercueil enveloppé de roses, deux soldats de la garde du Kremlin à ses côtés lui rendant hommage. C’est la contribution du Kremlin. Le service du protocole du président s’est contenté d’une aide à l’organisation.
Dans la rue, les Moscovites, dans le silence, étaient nombreux à voir en ce décès un sens politique. Vitaly, 74 ans est sorti ému de la salle : « Il m’est très cher parce qu’il a ouvert la fenêtre de la liberté qu’on est en train de clouer en ce moment. »
Les policiers prêtent attention au moindre discours critique qui pourrait émerger à l’occasion de cet événement. Dans la salle, étaient installés au premier rang, Dmitri Mouratov, le prix Nobel de la paix et rédacteur en chef de la rédaction en exil de Novaya Gazeta dont Mikhaïl Gorbatchev avait contribué à la création.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, proche du Kremlin, est le seul dirigeant étranger présent mais selon la présidence russe, aucune rencontre n’est prévue avec Vladimir Poutine.
Poutine et Gorbatchev : une relation complexe
Selon des images diffusées à la télévision russe, Vladimir Poutine s’est déjà rendu, jeudi, à l’Hôpital central clinique (Tskb) de Moscou, où est décédé Gorbatchev.
Le président russe a déposé un bouquet de roses rouges près du cercueil ouvert de l’ultime chef de l’Urss, a marqué un moment de recueillement de quelques secondes, puis il a incliné la tête en signe de déférence.
Au lendemain de sa mort, M. Poutine lui avait rendu un premier hommage minimal, dans un message de condoléances. Sur un ton neutre, il avait constaté que Mikhaïl Gorbatchev avait eu “une grande influence sur l’Histoire du monde” et qu’il s’était “efforcé de proposer ses propres solutions aux problèmes”.
La relation entre les deux hommes était complexe, oscillant entre marques d’estime et reproches mutuels, avant de faire place à une cordiale indifférence.
Par contraste, les capitales occidentales, de Washington à Berlin, en passant par Paris et Rome, ont célébré chaleureusement la mémoire de Gorbatchev, salué pour avoir œuvré au rapprochement Est-Ouest et à une réduction des arsenaux nucléaires, ce qui lui avait valu en 1990 le Nobel de la paix.
L’Allemagne, dont la réunification a été permise par la chute du mur de Berlin et de l’Urss, a annoncé que les drapeaux seraient en berne dans la capitale allemande samedi.
Mais, en Russie, Gorbatchev est perçu par beaucoup comme le fossoyeur de la grande puissance soviétique qui rivalisait avec l’Amérique et dont la fin, jugée humiliante, a laissé place à une décennie de crises et de violences.
Boris Eltsine, premier président de la Russie au pouvoir lors des années de transition douloureuse vers l’économie de marché, et qui avait désigné Vladimir Poutine comme successeur, avait eu droit, lui, à des honneurs appuyés à sa mort en 2007.
Le Kremlin avait alors décrété un jour de deuil national et organisé des funérailles officielles, en présence de Vladimir Poutine et Mikhaïl Gorbatchev
Mikhaïl Gorbatchev doit être enterré dans l’après-midi au cimetière des grandes personnalités du pays, le cimetière Novodevitchi à Moscou, aux côtés de sa femme Raïssa, et non loin de son successeur au Kremlin, Boris Eltsine.