Par Julie Peh
Retour à la normale en Russie : sur le site de vente en ligne Wildberries, les produits siglés « Wagner » sont de retour. Sur les routes au sud de Moscou, on rebouche la chaussée, éventrée la veille à la tractopelle. Anecdotique ? Révélateur d’un pays qui s’empresse d’oublier un épisode aussi bref que vertigineux : la rébellion d’une milice privée qui a réussi, en une journée, celle de samedi 24 juin, à s’emparer d’une ville d’un million d’habitants et à s’approcher à 200 ou 300 kilomètres de la capitale sans rencontrer de résistance sérieuse.
L’enquête criminelle ouverte contre Evgueni Prigojine pour « appel à l’insurrection armée » a été refermée − l’annonce en a été faite par le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Même le ministère de la défense paraît considérer l’épisode comme clos. Sur ses réseaux sociaux, samedi soir, le ministère publiait une photo proclamant « cohésion et unité ». Les dégâts causés par l’aventure Prigojine doivent être passés par pertes et profits : les blogueurs militaires russes évaluent ces pertes entre treize et vingt dans les rangs de l’armée, quasiment tous tués à bord d’appareils abattus (six hélicoptères et un avion).
Dix-neuf immeubles de la région de Voronej ont aussi été touchés par les combats et la raffinerie de la ville de Voronej était toujours en feu, dimanche. Ce qui n’a pas empêché, le même jour, le député Andreï Kartapolov, chef du comité de la défense à la Douma, d’assurer que les autorités n’avaient « aucun reproche » à adresser aux mercenaires : « Ils n’ont offensé personne, ils n’ont rien cassé », a-t-il assuré.
Affection pour les putschistes
A Rostov-sur-le-Don, épicentre de la crise, la vie a aussi repris son cours. Samedi soir, les combattants de Wagner et les blindés qu’ils avaient déployés en ville ont commencé à partir, sous les acclamations des habitants − mélange de soulagement de voir le bain de sang évité et d’adhésion au discours anti-élite d’Evgueni Prigojine. Le Kremlin ne manquera pas de remarquer cette affection témoignée aux putschistes par une partie de la population.
La crise s’est terminée de façon aussi brusque et surprenante qu’elle avait commencée. Mais sera-t-elle oubliée si facilement ? D’abord, on ne connaît que les grandes lignes de l’accord conclu sous l’égide du dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko, qui a permis une résolution pacifique. Evgueni Prigojine a sauvé sa tête, au moins momentanément : les poursuites contre lui sont abandonnées et l’homme d’affaires pétersbourgeois doit être accueilli en Biélorussie. Son aventure politique − ne prétendait-il pas ramener « l’ordre et la justice » ? − trouve un terme, peut-être lui aussi momentané.