Par Léger Ntiga
Au Cameroun, il est connu de tous que «la terre ne trompe pas». C’est conscient de cette réalité que les Camerounais retournent au travail de la terre et la culture des arbres fruitiers depuis une décennie. C’est le cas de l’ingénieur agronome Maurice Bineli. Après une carrière au ministère de l’Agriculture à Yaoundé et ailleurs dans le pays, ce chef de famille tente sa chance dans les affaires. Cette autre expérience va tourner court. L’homme se rappelle alors que «la vie pourrait être plus simple» s’il se mettait à la fertilisation et l’agriculture du sol. Il va y consacrer tout son temps et toute son énergie.
«Le plus difficile aura été de convaincre mon épouse Albertine de quitter la ville de Yaoundé pour nous installer à Ebebda mon village natal. Mais passé cet écueil, nous vivons aujourd’hui, du travail de notre labeur»,
se félicite Maurice Bineli entouré de sa famille.
L’exploitation familiale qu’il a développée à Ebebda petit village devenu un arrondissement à 80Km au Nord de Yaoundé (la capitale du Cameroun), s’étend sur une superficie de 14 hectares.
«Le principal atout dont j’ai bénéficié, ce sont ces terres ancestrales héritées de mes parents. Ingénieur agronome de mon état, je sais comment faire pousser, entretenir, récolter. Il me restait donc de faire une étude de marché pour écouler le fruit de notre travail. C’est ici que j’ai fait appel à l’expertise d’Albertine qui a fait des études de commerce et exercer comme cadre commercial dans plusieurs entreprises»,
explique M. Bineli dans son verger et sous une casquette qui ne le quitte plus.
Dans cette vaste étendue qui va à perte de vue, on trouve du cacaoyer, des arbres fruitiers dont des agrumes, et une bananeraie.
Produit phare
Sur le choix de faire du bananier son produit phare (environ trois tonnes chaque année), M. Bineli assure:
«Lorsque l’idée m’est venue de créer cette exploitation, il s’agissait de mettre en place une palmeraie comme c’était la mode à l’époque. Mais je me suis rappelé que le palmier à huile appauvrit le sol. J’ai donc rapidement refait l’étude du projet et opté pour le bananier qui a l’avantage d’être particulièrement riche en eau. De ce point de vue, même en temps de sécheresse, il nourrit de son abondante sève les arbres fruitiers et les le cacaoyer. C’est pour cela qu’entre les sillons, vous voyez ces orangers, mandariniers, citronniers et avocatiers. Il faut pour une réelle harmonie, élaguer régulièrement parce que toutes ces plantes veulent se nourrir également de soleil».
Si les débuts ont pu être difficiles comme le souligne Maurice Bineli lui-même, les résultats ne se sont pas fait attendre.
«Je suis Vandelin Mbenda, le responsable des travaux dans tout ce domaine. Je suis moi aussi ingénieur agricole. Quand M. Bineli m’a exposé son projet, j’ai été immédiatement séduit. Bien que n’étant pas d’ici, je savais qu’à une centaine de kilomètres de Yaoundé, ma famille n’allait tant que cela, souffrir de mon absence. Par ailleurs, en plus des marchés de la localité et ceux de Yaoundé, nous avions le Gabon et la Guinée Equatoriale pour écouler nos récoltes. Je l’ai encouragé et nous nous sommes mis au travail».
Pour enrichir le sol longtemps resté en jachère, le tandem Bineli – Mbenda développe la fumure qu’ils l’enfouissent dans la terre. Partis d’une petite exploitation de six personnes, nous sommes aujourd’hui, à la tête d’une équipe de 50 employés permanents et une cinquantaine de temporaires, ce qui est devenu un complexe agricole «produit en permanence», de l’aveu de Maurice Bineli.
«Notre système de production est adossé sur des produits de saison. De septembre à novembre, nous récoltons le cacao. A la même période, nous avons également de la tomate. Tout à côté, les mandarines commencent à mûrir. De Janvier à mars, c’est la grande période des agrumes. Et dès avril, nous avons la première récolte de tomate. Mais toute l’année durant, nous avons à disposition toutes les variétés de banane. Nous écoulons notre production dans les marchés notamment le marché des fruits à Yaoundé. S’agissant de la banane, Libreville et Malabo sont les deux principaux marchés»,
se laisse aller Vandelin Mbenda.
Pour qui, les tracasseries policières, les relations commerciales difficiles en le Cameroun et la Guinée Equatoriale comme d’avec le Gabon, sont autant de difficultés qu’ils affrontent sur le chemin de la commercialisation du fruit de leur travail.
Compagnonnage
Au plan de la gestion proprement dite de la ferme, chacun de ses arbres cultivés, est positionné de façon à ce qu’en cas de maladie, il ne puisse contaminer son voisin. La technique consiste donc à intercaler des arbres d’espèces différentes pour éviter la propagation des maladies, ces dernières étant en général spécifiques à chaque espèce.
«D’autre part, chaque arbre fruitier produit des molécules détruisant les bactéries responsables de la contamination d’autres arbres fruitiers. Il s’agit d’un écosystème totalement viable et équilibré, où l’apport de pesticides, nocifs pour la santé, est inutile: on appelle cela le compagnonnage. Cette technique nécessite néanmoins de l’apprentissage. Il faut savoir quelle plante favorise la croissance d’une autre, et à l’inverse laquelle l’entrave»,
développe l’épouse Albertine Bineli.
Autre avantage et non des moindres d’une telle diversité d’espèces dans le verger: permettre aux différentes familles dont les parents travaillent ici, de se nourrir de manière saine et variée toute l’année, sans discontinuité. Ainsi, les fruits non consommés ne sont pas laissés au sol mais enfouis sous des feuilles mortes où ils se décomposent lentement pour fournir un terreau fertile, gratuit, et naturel.
Une technique qui permet d’éviter non seulement la prolifération des insectes sur les fruits pourris mais enrichit également la terre. Comme sont également enfouies les feuilles mortes de bananiers pour contribuer à fertiliser un sol en permanence gorgée d’eau. Ainsi les ressources du terrain ne s’épuisent pas car elles se renouvellent naturellement, sans apports chimiques nuisibles pour la santé ou pour le sol. L’exploitation familiale permet donc de protéger la riche biodiversité de cette région du Cameroun.
Afin de fournir de l’énergie nécessaire au fonctionnement de sa structure rurale, Maurice Bineli a acquis un panneau solaire. L’énergie est créée de manière simple, continue, et toujours respectueuse de l’environnement. Un investissement qui permet à la famille d’alimenter l’ordinateur et le téléphone et de rester en contact avec le monde extérieur, de manière autonome. Sur le plan financier, l’exploitation ainsi mise en place, fabrique du jus de fruits consommés localement et dont la vente permet de gagner un peu plus d’argent chaque année.
Fort de ce gain, Maurice prévoit prochainement de transformer également le surplus des mangues qu’elle produit en abondance. Ce marché pourrait l’amener à lui rapporter deux à trois millions de Fcfa par an. Pour pouvoir être conservées, les denrées sont transformées de manière artisanale (techniques de four à séchage par exemple); des outils dont les coûts de maintenance sont très faibles.
En plus de la production de fruits, Maurice Bineli s’essaie à pour subvenir aux besoins en lait et œufs de sa famille et de ses employés.
«C’est notre manière de relancer la révolution verte»,
renchérit M. Bineli qui rappelle ce projet du président Ahidjo lancé en 1975 à l’effet de parvenir à l’autosuffisance alimentaire.
Un produit généralement très apprécié par les consommateurs et les revendeuses souvent venus faire des achats dans les champs à Ebebda.
«Nous venons chercher notre marchandise ici, parce que tout est cultivé de manière naturelle. Nous avons fait la connaissance de Mme Bineli de manière fortuite. Elle est venue nous proposer des fruits il y a quatre ans à Yaoundé au marché des fruits. Au cours de l’échange, elle nous a expliqué l’approche de travail développée par l’équipe mise en place par son époux. Nous avons décidé de faire le déplacement. Grande a été notre surprise. Aussi vaste qu’elle soit, cette exploitation n’utilise pas de produits chimiques. Cela se ressent d’ailleurs au goût de cette banane comme des oranges que je tiens dans les mains»,
apprécie Maryline Ntsa, une revendeuse. Une expérience à laquelle adhèrent quasiment toutes les familles du pays.