Par Joël Onana
“Grande a été la surprise chez certains Sénégalais”. Une double surprise, même, qui occupe en effet la presse sénégalaise depuis son annonce ce 30 septembre.
Dans un premier temps, dans la perspective des élections législatives anticipées du 17 novembre, l’Alliance pour la République (Apr-Yaakaar), le Parti démocratique sénégalais (Pds) et Rewmi se sont alliés pour mettre en place une coalition. L’Apr-Yaakaar, fondée en 2008 par l’ancien Premier ministre puis président Macky Sall (de 2012 à avril dernier), a donc choisi de s’allier avec le PDS, fondé par son prédécesseur à la présidence, Abdoulaye Wade (2000-2012). Le Pds est désormais dirigé par son fils, Karim Wade, depuis son exil au Qatar. À ce duo s’ajoute Rewmi, parti de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck (2002-2004).
Mais “une autre surprise était, pourtant, en gestation”, poursuit le titre dakarois, puisque Macky Sall a été choisi comme tête de liste nationale de cette coalition baptisée “Takku Wallu Sénégal”.
Élu en mars sur la promesse d’un changement profond, l’actuel président Bassirou Diomaye Faye avait annoncé le 12 septembre la tenue de nouvelles législatives le 17 novembre. Par ce geste, le président sénégalais entendait obtenir une majorité. Le retour annoncé de Macky Sall, absent du pays depuis qu’il a cédé le pouvoir à Bassirou Diomaye Faye en avril, est un revirement de taille dans la vie politique sénégalaise. S’il n’a jamais cessé de s’activer en coulisses pour réunifier sa famille politique et tenter de limiter l’influence de son ex-premier ministre, Amadou Ba, dont il a soutenu du bout des lèvres la candidature lors de la présidentielle du 24 mars, cette réapparition confirme son implication grandissante dans ce scrutin.
Depuis sa défaite, M. Ba est, lui, parti avec des cadres du mouvement de l’ancien président pour former un nouveau parti, Nouvelle responsabilité, et prendre la tête d’une autre coalition de l’opposition, Jam ak Njariñ (« Paix et prospérité » en wolof).
Une revanche politique pour Ousmane Sonko ?
Le président Diomaye Faye et son premier ministre Ousmane Sonko, tous deux emprisonnés durant le dernier mandat de Macky Sall, n’avaient pas réagi mardi 1er octobre à ce retour annoncé. Ce rebondissement en début de campagne des législatives ne devrait toutefois pas manquer d’électriser un peu plus les débats. Car Macky Sall est loin de faire l’unanimité. Le collectif des victimes de son régime le tient pour l’un des responsables de la répression des manifestations antigouvernementales qui a fait plus soixante morts entre 2021 et 2024 d’après Amnesty International.
Sa figure agit comme un chiffon rouge brandi par le nouveau pouvoir, lancé depuis plusieurs semaines dans une opération de « reddition des comptes » qui vise les anciennes autorités. Enquêtes contre certains de ses proches, interdictions de quitter le territoire, audits des comptes publics, le gouvernement du premier ministre exerce une forte pression sur les anciens responsables et les soutiens de l’ex-président. « Le régime du président Macky Sall a menti au peuple et aux partenaires », dénonçait, jeudi 26 septembre, Ousmane Sonko lors d’une conférence de presse.
Avec Macky Sall annoncé comme tête de liste nationale de l’une des coalitions de l’opposition, Takku Wallu Sénégal, Ousmane Sonko pourrait tenir une revanche personnelle et politique. Le leader des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), désigné dimanche par son parti tête de liste nationale, fut pendant cinq ans le premier détracteur et la première victime de la répression de l’ex président. Aujourd’hui, le rapport de force s’est inversé.
Ousmane Sonko n’est plus l’opposant numéro un mais un dirigeant au pouvoir ayant placé ses hommes dans les rouages de l’Etat. Il a remporté, par procuration, une victoire aussi large qu’inattendue au scrutin présidentiel du 24 mars avec l’élection de Bassirou Diomaye Faye, alors quasi inconnu des Sénégalais.
Galvaniser sa base
Fort de ce plébiscite, son mouvement, qui se définit comme souverainiste de gauche, veut faire des législatives du 17 novembre « un second tour de présidentielle ». Le Pastef entend en effet poursuivre sur sa lancée victorieuse avec l’objectif de décrocher – sous sa bannière unique – une majorité à l’Assemblée nationale. Celle-ci a été dissoute le 12 septembre sur décision du chef de l’Etat, ses troupes étant en minorité après les législatives de 2022.
Pour y parvenir, Ousmane Sonko semble en campagne permanente pour galvaniser sa base, essentiellement jeune et avide d’un nouveau mode de gouvernance au Sénégal. Et dans sa quête d’une majorité, le parti a opéré une rupture stratégique électorale, choisissant de faire cavalier seul plutôt que de nouer des alliances comme par le passé. « Il fait le choix d’investir des soutiens de la coalition présidentielle, Diomaye Président, sous l’étiquette Pastef, pour resserrer les rangs et éviter de futurs cas de transhumance, analyse le politologue Alassane Ndao, de l’université Gaston-Berger de Saint-Louis.
« Le pari du Pastef c’est d’être hégémonique au sein de l’Assemblée nationale comme ont pu l’être à une époque le Parti socialiste puis le Parti démocratique sénégalais », poursuit Mamadou Lamine Sarr, enseignant chercheur en sciences politiques à l’université numérique Cheikh-Hamidou-Kane. Il reste moins de cinquante jours à la nouvelle opposition sénégalaise pour inverser cette tendance.