Par Sandra Embollo avec Afp
Au Sénégal, les députés ont rendu, samedi 5 août, leur éligibilité à deux figures de l’opposition, Khalifa Sall et Karim Wade, sept mois avant la présidentielle où ils devraient figurer parmi les principaux candidats. La réforme du code électoral adoptée par 124 voix pour, 1 contre et 0 abstention permet à une personne condamnée et ayant bénéficié ensuite d’une amnistie ou d’une grâce – ce qui est le cas de Sall et Wade – de figurer sur les listes électorales, et donc de se présenter aux élections.
Si le texte défendu par le gouvernement est promulgué, Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, et Karim Wade, héritier de l’ex-président Abdoulaye Wade, s’annoncent parmi les principaux candidats à la présidentielle de février 2024. Ils avaient été empêchés par leur condamnation dans des affaires financières distinctes de concourir à celle de 2019 contre le sortant et futur vainqueur Macky Sall (sans parenté avec Khalifa).
Leur réhabilitation électorale est surtout considérée comme susceptible de contribuer à surmonter les tumultes traversés par le Sénégal. Le pays qui se distingue par sa relative stabilité dans une région troublée a vécu depuis 2021 plusieurs épisodes de contestation meurtrière liée au bras de fer entre l’opposant Ousmane Sonko et le pouvoir. L’incertitude sur une candidature du président sortant à un troisième mandat et sur l’éligibilité de Khalifa Sall et Karim Wade a contribué aux tensions.
Le président Macky Sall, à la tête du pays depuis 2012, a finalement annoncé qu’il ne briguerait pas sa succession. Après plus de deux ans de confrontation ouverte avec le pouvoir et deux condamnations, Ousmane Sonko, devenue la figure la plus voyante de l’opposition, a été écroué lundi sous différents chefs d’inculpation, et sa candidature semble désormais irréaliste. Avec le probable retour dans la course de Khalifa Sall et de Karim Wade se précise un peu plus la distribution de la présidentielle, inédite par son indécision.
Karim Wade, 54 ans, collaborateur et ministre de son père président de 2000 à 2012, a été condamné en 2015 à six ans de prison ferme pour enrichissement illicite. Détenu plus de trois ans, il a été gracié en 2016 par le président, mais a dû s’exiler.
Khalifa Sall, 67 ans, maire de Dakar à partir de 2009, a été reconnu coupable du détournement d’environ 2,5 millions d’euros des caisses municipales, et condamné en 2018 à cinq ans de prison. Emprisonné en 2017, il a recouvré la liberté en 2019, lui aussi à la faveur d’une grâce présidentielle.
Les deux opposants, comme Ousmane Sonko, ont dénoncé les procédures à leur encontre comme une machination politique.
Dans ce contexte, le président Sall a ouvert fin mai un dialogue avec une partie de l’opposition. Il a accepté que l’éligibilité de Khalifa Sall et Karim Wade soit discutée. Les participants se sont accordés pour modifier le code électoral. Khalifa Sall et Ousmane Sonko ont fait alliance en 2021 en vue des futures échéances électorales. Leur coalition, Yewwi Askan Wi, a remporté plusieurs villes, dont Dakar, aux élections locales de 2022, puis s’est imposée la même année comme la principale force d’opposition à Macky Sall au Parlement. L’hypothèse d’une amnistie de Khalifa Sall et de Karim Wade, soulevée après ces élections par le président Sall, avait été interprétée comme une manœuvre pour fracturer l’opposition.
De fait, Khalifa Sall et les siens ont accepté de participer au dialogue initié par le président quand Ousmane Sonko a vigoureusement refusé. La figure de ce dernier a plané sur le débat à l’Assemblée. Le camp présidentiel a quitté la séance dans l’agitation quand un député a réclamé qu’Ousmane Sonko bénéficie de la réforme.
Celle-ci consacre “l’élimination d’un candidat qui constituait un espoir énorme pour les populations”, a dit le député Bakary Diédhiou, parlant de loi “cynique”. Le ministre de l’Intérieur, Antoine Abdoulaye Félix Diome, a fait valoir que le texte ne se résumait pas à réformer les conditions d’éligibilité, mais aussi les règles de parrainage ou de cautionnement.
Le camp présidentiel a donné carte blanche au chef de l’État pour désigner un candidat à sa propre succession. Sa décision se fait attendre après sa rencontre avec de nombreux prétendants jeudi.