Par Sasha Blanche
Dans le camp d’Ousmane Sonko, les cris d’alarme se multiplient. Après un mois d’une grève de la faim entamée le 30 juillet après son placement en détention, le leader des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) serait, selon ses proches, « méconnaissable », en « début de déficit cardiaque », victime d’« hypoglycémie sévère ». Son état a atteint un « seuil alarmant », a de nouveau alerté mercredi 30 août Me Ciré Cledor Ly, porte-parole du collectif d’avocats de l’opposant. « Il est à craindre que les seuls soins médicaux ne puissent plus lui éviter une dégradation irréversible de ses organes vitaux », a-t-il conclu après une visite à Ousmane Sonko.
Discrètes malgré le tumulte médiatique autour de leur mari, les deux épouses de l’opposant se sont exprimées pour la première fois pour plaider sa libération auprès du chef de l’Etat, dans une interview avec le journaliste Pape Alé Niang, lui-même poursuivi par la justice sénégalaise pour « appel à l’insurrection ».
Le refus d’Ousmane Sonko de s’alimenter, boire et recevoir des soins semblait pourtant avoir trouvé une issue, le 22 août, après la visite de membres de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi à Touba, ville sainte de la confrérie musulmane des mourides. Le guide de cette communauté, Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, avait alors appelé le leader du Pastef à cesser sa grève de la faim, l’invitant à manger quelques dattes qu’il lui avait fait envoyer. En vain.
Le pouvoir ne cède pas
« Pour qu’on puisse lui transmettre [la requête du guide mouride], il aurait déjà fallu qu’il puisse nous reconnaître et sache l’objet de notre visite, sauf qu’il est dans une situation critique », s’est justifié l’ancien ministre Habib Sy après une visite au chevet d’Ousmane Sonko. « Il ne peut plus demeurer en milieu carcéral », a ajouté, le visage serré, Aïda Mbodj, l’une des leaders de Yewwi Askan Wi. Ousmane Sonko a été admis au service de réanimation de l’hôpital principal de Dakar dans la nuit du 16 au 17 août. Refusant de boire, de s’alimenter et de se soigner depuis son incarcération afin, selon ses avocats, de contester son arrestation et « le régime dictatorial de Macky Sall », il avait été interné le 6 août. Même s’il continue à promouvoir le dialogue entre les autorités et l’opposition, Alioune Tine, le fondateur du groupe de réflexion AfrikaJom Center, déplore que la médiation soit devenue « très difficile dans un contexte de radicalisation du pouvoir ». L’expert indépendant a signé avec 141 personnalités, dont l’ancien ministre de la justice Serigne Diop, une pétition pour appeler à la remise en liberté d’Ousmane Sonko « afin de préserver sa vie ».
Dans l’entourage de Macky Sall, l’intransigeance reste cependant de mise. « Nous sommes dans un Etat de droit », s’agace un proche collaborateur du président sénégalais s’abritant derrière la séparation des pouvoirs. « S’il doit être libéré sur cette base, tous les prisonniers qui feraient une grève de la faim le seraient aussi », ajoute-t-il.
Le Pastef dissous et radié des listes électorales
En difficulté, l’ancien parti de l’opposant – le Pastef a été dissous dans la foulée de l’incarcération d’Ousmane Sonko, le 31 juillet – exclut toujours toute autre option qu’une candidature d’Ousmane Sonko à la présidentielle prévue en février 2024. « Sonko est plus que jamais éligible et reste notre seul et unique candidat », a réaffirmé mardi, El Malick Ndiaye, le porte-parole du Pastef, alors que le débat sur de possibles alternatives est ouvert. La capacité de l’opposant à se présenter paraît toutefois sérieusement entamée. Sa radiation des listes électorales a été confirmée par les autorités sénégalaises, bien que son parti assure n’avoir reçu aucune notification. Sous le coup de deux condamnations pour diffamation et « corruption de la jeunesse », Ousmane Sonko est, en outre, poursuivi depuis fin juillet pour neuf chefs d’accusation dont appel à l’insurrection.
Ses avocats réclament sa libération, estimant que son incarcération fin juillet remet en cause le jugement prononcé par contumace en juin dans le procès pour viol qui l’opposait à la jeune masseuse Adji Sarr. Le parquet ainsi que le ministère de la justice affirment que les deux procédures – les poursuites de juillet et l’affaire Sweet Beauty – ne sont pas liées. Les manifestations en marge de ses convocations devant la justice en mars et 2021 et juin 2023 ont fait 37 morts selon Amnesty international et des dégâts considérables. Le 24 août, l’Etat du Sénégal a annoncé via ses avocats qu’il compte se constituer partie civile dans les procédures judiciaires en lien avec de récents troubles qui ont secoué le pays en juin ouvertes contre Ousmane Sonko et son avocat franco-espagnol Juan Branco, arrêté puis expulsé début août après son entrée clandestine au Sénégal. « L’Etat a souffert des attaques et pillages des biens publics » et compte obtenir « la réparation du préjudice », selon Me Ndèye Anta Mbaye, membre du collectif.