Par Perton Biyiha
Le dernier bilan de santé des entreprises publiques a été dressé dans le rapport de la Commission technique de réhabilitation des entreprises et établissements publics au Cameroun (Ctr) comptant pour l’année 2020. La substance de ce document volumineux qui a été publié en 2022, est sensiblement la même que celle qui figure dans les rapports précédents. Elle peut être résumée en ces mots: Les entreprises publiques vont mal! Selon ledit rapport, la rentabilité financière de 38 entreprises publiques, sur les 44 qui constituent le portefeuille des entreprises de l’Etat, s’est fortement détériorée en 2020. «En effet, le taux de rentabilité financière s’établit à -14,5%, soit 6,5 points de moins qu’en 2018. Depuis l’exercice 2017, cette rentabilité est plombée par la situation structurellement déficitaire de ces entreprises », précise le rapport de la Ctr.
Cette dynamique négative s’observe également au niveau des pertes enregistrées au cours de la même période. A en croire les données fournies par la Ctr, 33 entreprises publiques ont perdu 383 milliards en un an (de 2019 à 2020, NdlR). Ce montant constitue à lui seul, 25,54% de pertes sur le chiffre d’affaires des sociétés publiques et parapubliques évaluées de 2018 à 2020. Les chiffres relatifs à l’endettement donnent également le tournis. Dans le détail, on observe un endettement global d’environ 3 492,8 milliards de Fcfa (soit 313% du chiffre d’affaires global). Concrètement, l’endettement à long terme de ces entreprises publiques est estimé à 1 698,4 milliards de Fcfa tandis qu’à court terme, il est de 1 794,4 milliards de Fcfa.
Cette situation est loin d’être inédite. Une rétrospective des performances enregistrées sur une période de plus de 10 ans permet de constater qu’elle tend même à perdurer. Louis Paul Motaze, le ministre des Finances actuel, le reconnaît d’ailleurs. C’est la raison pour laquelle dans une circulaire publiée le 5 juillet 2022, il a décidé de ressusciter les contrats de performances, afin «d’assainir le fonctionnement de ces entités caractérisées par des contre-performances chroniques depuis plus de 10 ans» a-t-il indiqué dans son manifeste. Le membre du gouvernement est convaincu que «Les Eep doivent atteindre un niveau de performance souhaitable dans leurs secteurs d’activités respectifs et occuper une place centrale dans l’impulsion du programme de développement du Chef de l’Etat». Pour parvenir à cet objectif, l’Etat et chaque entité vont convenir, sur une période de 3 à cinq 5 ans, des objectifs de performance qui peuvent être opérationnels, techniques, économiques et/ou financiers en fonction de la nature de la structure.
La privatisation
Toutefois, ces réajustements élaborés en fonction de la conjoncture se soldent la plupart du temps par de lamentables échecs. L’un des plus retentissants est celui qui a conduit à la privatisation de la plupart des entreprises publiques au milieu des années 1990. La revue francophone Cairn qui a consacré une revue sur le sujet a pu recenser quelques blocages qui ont conduit à l’échec de ce processus que l’on présentait d’ailleurs comme la panacée devant ramener le pays à la croissance, qui n’a jamais eu lieu. Il s’agit notamment de L’inadaptation du cadre juridique, l’excessive bureaucratisation du processus de privatisation, l’absence de consensus sociopolitique, des entreprises non attractives, la rentabilité incertaine des entreprises à privatiser, le régime juridique des titres moins protecteur etc. Le Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam) va même plus loin en indiquant que le bilan économique et social des privatisations au Cameroun affiche des résultats plutôt mitigés, caractérisés notamment par le non-respect des cahiers de charges par les repreneurs ; la mauvaise couverture des zones rurales ; les tarifs prohibitifs des services publics et la faible densité des services publics notamment dans les zones rurales. Si le bilan financier paraît positif pour l’Etat, les résultats en termes d’amélioration des performances productives ont été obérés par les coûts cachés, la pratique de l’optimisation fiscale et les prix de transfert.
Les retombées
Cette période trouble marquée par ce qu’on a appelé la «La crise économique camerounaise» a pourtant été précédée par des jours plutôt heureux. Selon une étude menée entre 1997 et 1998 par le Centre pour la recherche forestière internationale Avant la crise, l’économie du Cameroun a enregistré entre 1980-81 et 1985-86 un fort taux de croissance (près de 8% en termes réels par an) grâce essentiellement au développement du secteur pétrolier. «Des taux de croissance réels annuels élevés des investissements (7%), des exportations (16%) et de la consommation (3,3%) expliquent cette performance. Toutefois, à partir de 1986- 87, l’économie connaît une forte contraction avec des taux de croissance négatifs. La crise qui s’est installée au Cameroun depuis 1985-86 est due principalement à la chute des prix internationaux des principaux produits d’exportation (pétrole, café et cacao) de 45% au cours des trois dernières années budgétaires, combinée avec une dépréciation d’environ 40% du dollar par rapport au Fcfa, monnaie dans laquelle sont libellés les prix des principaux produits d’exportation. Sur le plan interne, on relève les mauvaises performances des entreprises publiques et parapubliques dont la gestion déficitaire oblige l’Etat à consentir les concours financiers importants sur les ressources publiques» précise l’étude.
Une centaine d’entreprises créées sous l’ère Ahmadou Ahidjo, vont ainsi disparaître ou être vendues à des opérateurs privés. Des fleurons de la production et de la transformation du blé tel que la Sodeble vont mettre la clé sous le paillasson rendant le Cameroun complètement dépendant des importations. Le pays peine désormais à couvrir la demande nationale de produits de première nécessité tels que le riz, le poisson, l’huile de palme etc. en 2021, ce sont 121 000 tonnes d’huile de palme qui ont été importées, 185 000 tonnes de poissons, 319 330 tonnes qui ont été importés à hauteur de plus de 200 milliards de F.