Par Joseph OLINGA N.
Depuis la déclaration de l’indépendance du Cameroun, le 1er janvier 1960, pas moins de huit présidents de la République se sont succédés au palais de l’Elysée, en France. Plus de 60 ans après, l’image de la France débarrassée de sa cape de colonisateur, défenderesse des droits de l’Homme et des libertés et désintéressée des ressources de ses anciennes colonies que s’emploie à faire prospérer le discours officiel de la politique camerounaise a beaucoup de mal à convaincre. Plus d’un demi siècle après, les relations entre la France, officiellement inscrites dans le registre de la «coopération» sont marquées par un sentiment anti-français qui va grandissant.
Le désaveu de la majorité des camerounais vis-à-vis de la France est-elle que presque toutes expressions de revendications politiques, économiques, culturelles ou sociales n’exemptent pas l’implication des politiques françaises dans les problèmes que connaissent les camerounais. Un sentiment exprimé de façon similaire dans les autres pays issus de l’ancien pré-carré français. A l’observation, l’essentiel des oppositions camerounaises fondent leurs postures sur ce sentiment anti-français. Une posture qui s’imprègne de la philosophie des pères des luttes indépendantistes camerounaises.
France-Afrique
Les assurances données par le huitième président de la cinquième République française, lors de son accession au pouvoir ont résisté le temps d’un discours de circonstance. Emmanuel Macron dont la posture d’abolitionniste de la françafrique avait séduit les camerounais n’échappe pas à la perception ancrée de gardien du concept créé par son concitoyen, l’économiste François Xavier Verschaves. Lui qui «a forgé ce concept pour décrire cette relation malsaine et incestueuse qui lie État français aux États issus de ses anciennes colonies.» Comme l’explique l’acteur politique sénégalais, Dialo Diop. Une politique qui promeut la dépendance structurelle des anciennes colonies française dans tous les domaines. A la réalité, un système qui instaure, de manière insidieuse, la tutelle de la France sur les pays d’Afrique francophone. En fait, une démarche qui consiste à faire prévaloir les intérêts économiques et financiers de la France sur ceux des populations camerounaises.
Le système perpétué par les différents pouvoirs français depuis la déclaration des indépendances trouve désormais une opposition franche de la nouvelle génération des camerounais. Plus instruis, au fait des évolutions du monde et, surtout, soucieuse de jouir des potentialités qu’offre le pays, elle n’hésite plus à s’opposer à la mainmise des pouvoirs français au Cameroun. Une posture en déphasage avec celle de l’élite, dont les principales composantes sont produis par la colonisation et qui bénéficie des soutiens souvent affichés de l’establishment français.
A l’observation, les politiques français ne veulent pas se débarrasser de cette françafrique. Son implication et son investissement dans le maintien des dirigeants pourtant vomis par le peuple est de notoriété. Du coup, toutes oppositions liées à la classe dirigeante ravive le ressentiment que les jeunes, qui constituent l’essentiel de la population camerounaise, éprouvent instinctivement des politiques françaises avec le pouvoir camerounais. Le pouvoir français le sait trop bien, la nouvelle génération camerounaise exige la révision des rapports économiques, financiers, sécuritaires et migratoire que l’Elysée entretient avec la classe dirigeante camerounaise.
Les mouvements de contestations «anti-français», loin d’être xénophobe, qui éclosent au Cameroun depuis quelques années sont, à la fois, l’expression d’un désaveu des politiques conduites par l’élite au pouvoir et la trop forte implications des pouvoirs français dans ces logiques qui produisent la mal-être chez les camerounais. Difficile d’expliquer la primauté donner aux entreprises françaises dans un environnement où l’initiative locale est étouffée au profit des multinationales françaises dont le souci n’est pas de produire des plus-values pour l’économie camerounaise. Autant difficile de justifier la souveraineté du Cameroun dans un contexte où les politiques françaises imposent leur primauté sur les initiatives et les stratégies de sécurité nationale.
Souveraineté monétaire
Le désaveu exprimé par les camerounais vis-à-vis de la France, c’est aussi la forte dépendance monétaire que semble lui imposer la classe politique française, depuis la déclaration de son indépendance. Plus de 60 ans après les indépendances, une quinzaine de pays de l’ancien giron français dépendent toujours du bon vouloir de la France pour leurs échanges commerciaux sur le marché international. Pour des raisons obscurs, l’actuel président de la République de France s’est ouvertement opposé à la création d’une monnaie annoncée par les huit pays membres de l’Ecowas.
Alors que le Francs français n’a pu résister aux réalités de l’économie européenne et s’est vu obligé de se rattacher à une monnaie unique européenne, la classe politique française, avec le concours de l’élite au pouvoir au Cameroun, a imposer le rattachement du Francs Cfa au trésor français. Depuis 1999, la monnaie coloniale n’est convertible qu’en France. La monnaie est par ailleurs exclusivement imprimée en France. De même que la France garde un droit de regard sur le fonctionnement des principales institutions financières du Cameroun.
La manœuvre est loin d’être fortuite. En s’opposant à la création d’une monnaie indépendante et en assujettissant le Francs Cfa à la convertibilité française, le pouvoir politique français garantit son accès «préférentiel» aux ressources du Cameroun dans le cadre des accords monétaires liant le pays à la France. En fait, tout laisse dire que l’indépendance accordée par la France au Cameroun avait pour conditionnalité que le pays utilise exclusivement le Francs Cfa.
Au moment où l’actuel président de la République de France prône la révision du partenariat qui lie son pays au Cameroun, a-t-il conscience que le nœud de cette relation décomplexée et équilibrée que réclament les camerounais réside dans la résolution de la controverse autour de cette monnaie coloniale ? Une monnaie dont les contours de son usage s’apparente à un impôt colonial reversé par le Cameroun à la France. Comment expliquer l’exigence que fait la France au Cameroun de stocker 50% de ses réserves monétaires à la Banque de France dans ce que la France appelle «Compte opérationnel» ? De même, comment expliquer que cette masse monétaire injectée dans l’économie française, accessible au Cameroun que sur approbation de l’Etat français. Pis, le Cameroun reçoit 0,75% de taux d’intérêt sur ses réserves monétaires. Un taux d’intérêts qui diminue lorsque l’inflation est élevée dans la zone Euro.
Au moment où le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron entame une visite au Cameroun, il doit savoir que le Francs Cfa est un goulot d’étranglement pour l’économie camerounaise et celles des treize autres pays africains qui l’utilisent comme monnaie. L’actuel président français qui se définit comme un apôtre du développement de l’Afrique sait assurément que cette monnaie d’un autre temps empêche au Cameroun de se développer. A la lumière, les camerounais ont un schéma de développement qui s’émancipe de l’infantilisation séculaire et permanente auquel veut lui soumettre les politiques françaises.
Le désaveu exprimer par les camerounais consiste à dénoncer et récuser l’intrusion de la classe politique française dans sa souveraineté. La posture «oppositionnelle» des camerounais vis-à-vis de la France est l’expression de la confirmation d’un partenariat équilibré et décomplexé que nourrit encore la France plus de 60 ans après l’accession du Cameroun à son indépendance.
Mentalités décolonisées
Au-delà du discours «politiquement correct» délivré par les officiels camerounais, le président de la République de France garde probablement à l’esprit qu’il séjourne dans un Etat dont les populations sont défaits de la mentalité de colonisé. Lui qui, à son arrivée à l’Elysée, promettait de défendre et respecter les principes démocratiques fondamentaux partout en Afrique, saura-t-il comprendre que la nécessité de redéfinir les relations entre le Cameroun et la France n’est pas une doléance mais une réalité dans laquelle vivent les camerounais ?
A son bénéfice, l’on peut espérer une prise de conscience du chef de l’Etat français au sujet des aspirations légitimes des peuples africains. Mais il reste à prouver, comme le souligne de nombreux observateurs. En effet, si le président français a permis l’accès à certains dossiers soigneusement dissimulés par ses prédécesseurs, il lui reste à réparer les responsabilités «lourdes» que la France doit assumer sur des torts causés par la France en Afrique et au Cameroun, en particulier. Hors, comme l’indique la sénégalaise Fatou Ndiaye Diop,
«Macron a eu le courage d’ouvrir des dossiers que ses prédécesseurs n’ont jamais ouvert mais à l’arrivée quel est le résultat ? Le rapport sur le Rwanda établit que des hautes personnalités en France ont joué un rôle capital et il n’y a pas de condamnations. Le rapport de Benjamin Stora sur l’Algérie aussi laisse sur sa faim. On est tenté de se dire que c’est un ‘”coup de com.»
Macron peut-il faire différemment ?
Pour une bonne partie des observateurs, la posture anti-française et les doutes sur la capacité du chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, que manifeste beaucoup de jeunes en Afrique francophone est compréhensibles. Le politologue Mono Aristide Mono explique que
«Le rejet de la France et de son chef de l’Etat, Emmanuel Macron, viennent de ce que les jeunes camerounais observent les collusions de fait entre les autorités françaises et l’élite gouvernante au Cameroun.»
Pour les jeunes camerounais, le chef de l’Etat français qui a séduit à son arrivée de part sa jeunesse et son discours rénovateur «donne le sentiment que ceux qui sont au pouvoir dans nos différents pays en Afrique le sont par la volonté de la France. Et ils sont maintenus au pouvoir par le fait de la puissance française. Et qu’il n’ont pas de légitimité populaire en dehors de cela.»
Cette perception est justifiée par le parallèle que les jeunes font avec les autres pays africains, anciennes colonies d’autres puissances coloniales européennes. Des pays au niveau de développement relativement plus élevé que celui des pays issus du giron colonial français. Des pays dans lesquels la pratique démocratique est aussi meilleure.
Dans l’esprit des jeunes camerounais, une illustration récente vient doucher le chapelet de bonnes intentions exprimées par le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron. Activiste tchadien, Makaïla Nguebla résume cette perception dans une interview accordée à Bbc.
«La France a soutenu et maintenu contre la volonté de son peuple Idriss Deby pendant 30 ans. Sa mort tragique aurait dû lui permettre de reconsidérer son soutien à un pouvoir décrié par les tchadiens, au lieu de cela elle est venue conforter la junte militaire dirigée par son fils.»
Un scénario dans lequel s’illustre le pouvoir politique Français depuis de nombreuses décennies, soutient la même source.
Interrogés sur la question, les jeunes camerounais considèrent que la position du président français, Emmanuel Macron, s’apparente à de la «trahison». Trahison justifiée par le décalage entre les postures discursives de Macron et la place que se donne la France dans le concert des nations.
«La France est censée être la patrie des droits de l’homme et de la démocratie mais chez nous, ils ne respectent pas ça.»
Patriotisme
Il faut néanmoins mettre un bémol de la perception exprimée par les jeunes au Cameroun, comme dans le reste des pays ayant subi la colonisation française. Membre du mouvement anti-français d’origine sénégalaise, «Frapp-France-Dégage», Papis Djim résume que «Il n’y a pas de sentiment antifrançais au Sénégal mais un sentiment patriotique et pro-africain. Nous n’avons rien contre le citoyen lambda français. Nous ne sommes pas xénophobes. Nous menons un combat de souveraineté pour notre peuple et nos pays. Notre objectif est de déchaîner l’Afrique pour qu’elle soit en mesure de négocier en toute liberté ses contrats avec n’importe quel pays du monde.»