Entretien avec Léger Ntiga
Que vous inspire le dernier séjour au Cameroun, du président français Emmanuel Macron
Le séjour du président Macron au Cameroun les 25 et 26 juillet 2022 est chargé d’enseignements. Le premier est que La France doit totalement changé de paradigme. L’exigence de poursuivre une relation très ancienne avec un pays ami signifie aussi tenir compte des évolutions, mutations et développements. C’est ce que nous appelons le nouveau prisme. Ceci veut que le chef de l’Etat français ne doit plus regarder ses homologues d’Afrique comme des obligés vis-à-vis de qui l’on peut avoir des propos particulièrement désobligeants. Or, l’histoire récente le montre à suffisance qu’en perte dans ses anciennes colonies, la France revient ventre à terre vers le Cameroun pour aider à recoller les morceaux notamment en Rca. Et le Cameroun a beau jeu de tenir et garder son positionnement de pays à la coopération diversifiée. Au point que les promesses du président Macron n’émeuvent pas outre mesure.
En tant que vice-président du groupement patronal Mecam, chargé de l’environnement des affaires, qu’attendez-vous de la France?
A priori rien du tout! Mais dans la mesure où le contexte est tel que le marché est quasiment universel, la manière dont les Français investissent dans nos pays, pose problème. Je vais prendre un ensemble d’enseignes installées chez nous: Carrefour s’installe avec un centre commercial dans un bâtiment totalement démontable à Yaoundé. Or, Carrefour est le visage de la grande distribution en France. Est-ce la marque d’une confiance dans les affaires? J’estime que non! Sur la même lancée, les locaux qui servent de direction générale à la Sosucam à Yaoundé, se trouvent dans deux conteneurs. Rien de durable! Et pourtant Sosucam se fait tellement de beurre au Cameroun. Mais ses dirigeants sont dans une logique mercenariat qui ne dit pas son nom.
Je poursuis ce répertoire avec les Brasseries du Cameroun. Près d’un siècle au Cameroun, cette entreprise se permet de refuser de payer des impôts alors que pour être l’une des plus grandes exploitations au Cameroun, elle devrait soutenir par ses initiatives des entreprises comme Camair Co. Là aussi, c’est non! Cimencam fait partie des groupes français les mieux implantés au Cameroun avec un chiffre d’affaires astronomique. Mais qui ne concourent pas au développement du Cameroun. Au contraire, Cimencam se manifeste par les mêmes méthodes d’arnaque.
Comparée aux Allemands qui sont partis du Cameroun au lendemain de la première guerre mondiale, les traces de la France ne sont pas visibles de manière durable. Mais nous avons des bâtiments et ouvrages qui datent de l’époque allemande et qui rappellent la solidité de ce peuple. Matérialisant ainsi leur ambition pour notre pays. C’est le même cas aujourd’hui avec les Chinois, les Turques et autres dont les empreintes sont fortes chez nous. Je vais donc dire que la France doit travailler au transfert de technologie par exemple et non se limiter à une économie de comptoir comme si le Cameroun était son héritage. Qu’elle cesse de parler des parts de marché qui sont passées de 40 à 10%. Car nous sommes tous embarqués dans la concurrence.
Et pourtant, le président du Gicam, Célestin Tawamba appelle le président français au secours…
Le président du Gicam n’a rien compris! Il a inutilement pris la parole pour plaider la cause de ses membres de nationalité française. Or, le problème ici n’est pas de cet ordre. Il de l’ordre des intérêts de la classe d’affaires au Cameroun. Emmanuel Macron n’est pas le président du Cameroun. Il n’est pas venu pour que les Camerounais vivent mieux. Il est venu pour les intérêts français. En prenant la parole au nom des gens d’affaires d’Afrique centrale et du Cameroun, M. Tawamba aurait pu poser le problème de la concurrence déloyale. Il s’est plutôt fait le porte-parole des entrepreneurs français. Il lui a manqué totalement la dimension politique du discours. Une dimension qui l’aurait alors ouvert aux enjeux stratégiques. Encore qu’en arrivant au Cameroun, Emmanuel Macron aurait dû se faire accompagner des investisseurs français pour donner la possibilité de parler affaire avec les milieux d’affaires du Cameroun. Que non! Il est venu plaider des parts de marché pour des monopoles, des cumuls de métiers et des Opa.
Sur ces questions économiques, comment entrevoyez-vous l’industrialisation en Afrique centrale?
Il faut impulser cette industrialisation qui s’inscrire dans une dynamique de convergence. Le Cameroun est bien parti pour porter ce leadership. Pour que cette industrialisation se matérialise, chaque pays doit mettre en avant sa spécificité dans le développement économique. C’est pour cette raison que les Etats doivent faire avancer les politiques de convergence de manière à ce qu’aucun citoyen ne soit étranger en zone Cemac. C’est de tout ceci que procède l’équilibre régional économique. A l’intérieur du Cameroun par exemple, il n’est pas normal que les ressortissants d’une seule aire aient tout: quincaillerie, commerce général, poissonnerie, élevage en tout genre, etc. Ce d’autant plus que de telles pratiques aboutissent au cumul des métiers et d’insécurité.
Le Cameroun vient de vivre une pénurie sans précédent en matière de produits pétroliers à la pompe. Quel commentaire?
J’ai souvent parlé des problèmes de sécurité et de prévention des crises. Dans ce pays, l’on ne prête pas assez attention à ces problématiques. La sécurité n’est pas ce que l’on croit souvent. Elle réside dans la capacité d’un pays à anticiper grâce à ses stocks régulateurs. Ceci appelle impérativement à la mise en place d’un véritable Conseil national de sécurité. Qui tienne compte d’une diversité de représentations au niveau des composantes de la population du Cameroun. Car, la crise actuelle interpelle sur comment prévenir les crises futures pour éviter de se retrouver dans des situations de pénurie. Il faut donc mettre en place un petit Pentagone. Car, où que la sécurité soit rompue dans le monde, c’est le monde entier qui est menacé.
Il faut surtout noter que la sécurité de tous, est la sécurité de chacun. Dans une dynamique communautaire, le Cameroun doit travailler en synergie avec les autres pays de la Cemac. Dans le cadre de la guerre en Rca, le Cameroun s’est retrouvé menacé aussi bien par l’insécurité générée que par le grand banditisme. C’est cette raison qu’il faut apporter des solutions globales à l’occasion des crises globales. Il faut donc une stratégie commune de résolution des crises dans l’espace Cemac.
C’est ici qu’il faut penser au transport par conduite. Notamment en ce qui concerne le gaz domestique. Il faut mettre en place une tuyauterie aussi bien pour le transport des carburants que pour l’eau.