Avec Celcom Ambassade de France à Yaoundé
La France n’est-elle pas dans une impasse au Niger ?
La politique de la France est simple. D’une part, nous condamnons toute prise de pouvoir par des putschistes, qui plus est dans un pays comme le Niger, où les institutions démocratiques fonctionnaient. D’autre part, nous appuyons les efforts des pays de la région pour parvenir à un retour à l’ordre constitutionnel. Les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ont formulé un certain nombre de demandes et décidé de sanctions économiques, financières, de la fermeture des frontières, et d’un recours éventuel à une force régionale si les efforts diplomatiques en cours n’étaient pas couronnés de succès. Les seules autorités du Niger que nous reconnaissons, comme l’ensemble de la communauté internationale, sont le président Mohamed Bazoum et son gouvernement. Notre position n’a rien de singulier de ce point de vue.
N’est-il pas risqué de maintenir coûte que coûte l’ambassadeur français à Niamey ?
Il est notre représentant auprès des autorités légitimes du Niger, accrédité comme tel, et nous n’avons pas à nous ranger aux injonctions d’un ministre qui n’a aucune légitimité, ni pour les pays de la sous-région, ni pour l’Union africaine, ni pour les Nations unies, ni pour la France. C’est ce qui explique le maintien de notre ambassadeur. Nous nous assurons qu’il puisse faire face en toute sécurité aux pressions des putschistes.
Dans un climat de défiance aussi fort, est-il possible de maintenir les troupes françaises, dont la junte réclame le départ ?
Il est important de rappeler que ces troupes sont là à la demande des autorités du Niger, pour les appuyer dans la lutte contre les groupes armés terroristes, et pour mener des actions de formation. Aujourd’hui, cette mission ne peut plus être assurée, puisque nous n’avons plus, de facto, d’opérations menées conjointement avec les forces armées nigériennes.
Après le Mali, redoutez-vous l’intrusion au Niger des mercenaires russes de Wagner ?
L’auteur principal du coup d’État [le général Tiani] semble d’abord avoir agi pour lui-même, et non à l’instigation de Wagner ou de la Russie. Mais que la Russie, là comme ailleurs, y ait vu un gain d’opportunité possible, je crois que c’est assez clair. Je ne suis pas convaincue que tout le monde, dans le pays, dorme avec un drapeau russe flambant neuf sous son oreiller et le sorte à la première occasion. Il y a une tentation populiste de s’en prendre à la France et de vouloir rallier contre elle. C’est le propre du populisme de trouver un bouc émissaire et d’aller agiter ce genre de prêt-à-porter idéologique.
Comment voyez-vous l’évolution de Wagner en Afrique après la mort de son chef, Evgueni Prigojine ?
Wagner vient de subir un choc considérable avec la mort de ses fondateurs et de certains de ses cadres. Il est néanmoins trop tôt pour savoir quelles en seront toutes les conséquences. Il est probable que ceux qui avaient eu recours à Wagner s’interrogent aujourd’hui, à la fois sur son rôle au sein du système russe – il y a quand même des fragilités dans ce système, c’est le moins qu’on puisse dire – et sur le bilan de Wagner. Ce groupe est d’une inefficacité totale dans la lutte contre le terrorisme et le djihadisme, doublé d’exactions graves, et documentées. Il faut s’attendre à d’autres tentatives de pillage des ressources et de basses oeuvres faites pour la Russie, si ce n’est au nom de la Russie.
Il est souvent reproché à la France de tenir un double discours, en condamnant d’un côté les militaires prenant le pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger, tout en s’accommodant du pouvoir militaire au Tchad…
Ce n’est pas la France qui fait ou défait les élections, choisit les chefs d’État africains ou, a fortiori, mène les coups d’État. Au Tchad, nous avons pris acte d’une période de transition, et il faudra évidemment que le processus en cours soit respecté intégralement. Au Niger, des militaires s’en sont pris à celui qu’ils étaient censés protéger, un président dont nul ne conteste qu’il a été élu démocratiquement, et s’employait à moderniser son pays, à le faire progresser, sur les plans économique, social et sécuritaire.
La condamnation par la France du coup d’État contre Ali Bongo au Gabon semble moins ferme. Vos réactions ne sont-elles pas à géométrie variable ?
Au Gabon, le processus électoral suscitait, comme en 2016, un certain nombre de questions. Dans un cas comme dans l’autre, nous agissons avec des principes simples. Le premier est de condamner les coups d’État et de trouver une solution démocratique à la crise. Le second, c’est que nous n’avons pas à nous substituer aux organisations régionales, en l’occurrence l’Union africaine et la Ceeac [Communauté économique des États de l’Afrique centrale]. La ligne de la France, c’est d’être à l’écoute des Africains, pas de décider à leur place. La «Françafrique» est morte depuis longtemps.
Faut-il de nouvelles élections, ou simplement recompter les votes du scrutin présidentiel, dans la mesure où le candidat de l’opposition, Albert Ondo Ossa, revendique la victoire ?
Ce n’est pas à nous d’être prescriptifs, ni dans ce cas ni dans d’autres. Le processus électoral était imparfait, il n’est pas allé à son terme. Je ne suis pas sûre qu’on sache aujourd’hui quel eût été le bon comptage des voix.
Et, malgré tout, on observe une perte d’influence de la France en Afrique. La coopération n’a-t-elle pas été trop réduite au volet sécuritaire ?
Non, nous sommes intervenus chaque fois en appui des demandes de ces pays. La France est en effet un partenaire de sécurité fiable pour ses partenaires. Elle l’a prouvé au Sahel. Quand nous sommes moins présents, l’insécurité augmente : au Mali, les groupes armés terroristes ont doublé la superficie des territoires qu’ils contrôlent. Au Niger, où nous sommes de facto dans l’impossibilité de mener des actions, les attaques ont augmenté de 600% en un mois. Forcément, ces groupes profitent du désordre.
Ces crises sont troublantes, préoccupantes, parce que cela donne parfois l’impression d’un retour cinquante ans en arrière. Mais il ne faut pas voir nos relations avec le continent africain sous ce seul prisme. Méfions-nous de l’effet loupe : ce n’est pas parce qu’il y a 3.000 ou 5.000 personnes qui manifestent dans un stade à Niamey, dont une partie est payée, que cela résume nos relations avec 1,5 milliard d’Africains. L’Afrique n’est pas que le Sahel. Nos relations se développent avec des États dans lesquels nous étions moins présents, comme le Kenya, l’Afrique du Sud, où je suis allée récemment, l’Éthiopie, où je suis allée aussi.
La refondation de nos liens s’est accélérée depuis six ans, et le chemin a été tracé par le président de la République à Ouagadougou. Il faut veiller à nouer des liens avec l’ensemble des sociétés, les oppositions, la jeunesse, les intellectuels, les sportifs, les artistes, au-delà des gouvernants. En six ans, les partenariats ont été développés, on a augmenté de 50% notre investissement solidaire. Nous sommes aussi disposés à faire, avec les pays avec lesquels nous avons un passé commun, le travail nécessaire, et qui n’était pas venu assez tôt, sur la mémoire, l’histoire commune, ou des restitutions d’oeuvres d’art – à commencer par le Rwanda, l’Algérie, le Cameroun et le Bénin.
Il y a une revendication de souveraineté portée par les putschistes qui fait écho à des frustrations profondes exprimées par les populations…
La souveraineté, ceux qui l’ont mise sous le boisseau récemment l’ont plutôt fait au profit de la Chine ou de la Russie. Quand on voit, sur certains panneaux brandis dans des manifestations au Niger, «vive l’indépendance, vive la Russie», il y a une contradiction évidente. La dette chinoise, l’armement russe, pour ne pas dire soviétique dans le cas de quelques pays, voilà les instruments de la dépendance de la part de ces puissances.
Sur l’Ukraine, que pensez-vous des propos de Nicolas Sarkozy, qui met en avant sa médiation de 2008 en Géorgie pour appeler Kiev à trouver un compromis avec Moscou, considérant que «tout retour en arrière est illusoire» pour la Crimée, annexée par la Russie ?
Je n’ai pas à commenter, dans ma position, les propos d’un ancien président de la République. D’autres l’ont fait. Si l’on regarde les principes, la Crimée est ukrainienne. On ne peut pas imaginer que la France s’écarte du principe d’intangibilité des frontières. Que la Crimée soit occupée par la Russie ne change pas cette réalité. Sur le plan des faits, ce qui s’est passé en 2008 en Géorgie n’a pas empêché la Russie de poursuivre son oeuvre impérialiste.
N’est-il pas irréaliste de plaider pour une négociation, en pleine contre-offensive ukrainienne ?
Manifestement, le moment où des négociations de bonne foi pour une paix juste pourraient s’engager n’est pas venu. Le seul pays à en parler, c’est l’Ukraine. Il est remarquable qu’elle continue de le faire alors qu’elle est attaquée, envahie, meurtrie, bombardée jour après jour, y compris sur des objectifs civils, dans une guerre lâche. Le président Zelensky a présenté au G20 de Bali, en Indonésie, en novembre 2022, un plan en dix points qui fait l’objet de leur part, avec notre accompagnement, d’un gros effort d’explication vis-à-vis des pays émergents, qui ne pensent pas spontanément comme eux. C’est aux Ukrainiens de décider quel sera le moment de négocier, cela va de soi. Du côté russe, nous ne voyons aucun signal d’aucune sorte d’une quelconque volonté d’engager des négociations.
Que pensez-vous des réserves dont il est question aux États-Unis sur la conduite de la contre-offensive ?
Les Ukrainiens ont toujours dit qu’ils mèneraient leur contre-offensive sur plusieurs mois, et non en quelques jours ou semaines. Ils disent eux-mêmes que les opérations sont difficiles, car les Russes ont mis en place plusieurs lignes de défense, des mines, et contrôlent le ciel. Néanmoins, les Ukrainiens progressent et ont percé à certains endroits. Avant de porter des jugements, il faut se souvenir que ce sont eux qui se battent, et font le sacrifice de leurs vies.
Dmytro Kuleba, votre homologue ukrainien, considère que son pays doit être au coeur de l’ordre de sécurité européen, après le conflit et son entrée dans l’Otan, plutôt que de rechercher un arrangement avec la Russie. Partagez-vous son avis ?
Je comprends que la situation dans laquelle se trouve l’Ukraine la conduise à avoir une vision extrêmement négative de la Russie. Nous, nous avons une vision négative, non pas de la Russie, mais du comportement de la Russie, de l’agression russe, qui doit être défaite, pour l’Ukraine et pour la paix et la sécurité dans le monde. Si cette agression réussit, une autre agression se produira ailleurs. Cependant, la Russie existe et continuera d’exister. Il se trouve que la réalité, l’histoire, la géographie font que ce pays se trouve en grande partie sur le continent européen. Il faudra bien trouver avec elle le moyen de rebâtir une architecture de sécurité solide prenant en compte les intérêts de stabilité de tous. Ce qui ne veut pas dire faire passer l’Ukraine par pertes et profits ou qu’elle n’entre pas dans l’Otaĥ. La Russie a rompu ces équilibres sans aucune justification ni raison. Elle a choisi la guerre alors même qu’un processus diplomatique était en cours. L’Ukraine ne menaçait pas la Russie. Et les nazis n’étaient pas au pouvoir à Kiev.
Où en sont les réflexions françaises au sujet des garanties de sécurité promises à Kiev par les pays du G7 lors du sommet de l’Otan ? Elles paraissent encore très floues…
Pas du tout. Le G7 a été rejoint par vingt pays à ce jour, pour l’essentiel des européens, mais pas seulement. Ce travail est en cours en ce qui nous concerne, avec un premier avant-projet, et de premiers échanges. Il est envisagé de proroger à moyen terme l’aide que nous apportons à l’Ukraine, dans les domaines militaire, mais aussi civil et humanitaire. Il s’agit d’aider l’Ukraine dans la durée, puisque cette guerre peut être appelée à durer. C’est aussi un message adressé à la Russie de notre détermination de rester aux côtés de l’Ukraine, pour qu’elle recouvre sa pleine souveraineté, son indépendance et son intégrité territoriale.