Par Joël Onana
Le Royaume-Uni commence à voter jeudi matin pour des législatives qui laissent augurer la fin de 14 années tumultueuses de règne conservateur, au profit d’une victoire qui s’annonce historique du parti travailliste mené par Keir Starmer.
Déchirements du Brexit, gestion brouillonne de la pandémie de Covid, envolée des prix et augmentation de la pauvreté, hôpital public à bout de souffle, valse des Premiers ministres… La succession des crises depuis 2010 a suscité une aspiration au changement telle que les conservateurs avouaient ces derniers jours se battre non pour gagner mais pour tenter de limiter la majorité promise au Labour. Sauf coup de théâtre, c’est donc Keir Starmer, un austère ancien avocat spécialiste des droits humains de 61 ans, qui sera chargé vendredi par le roi Charles III de former un gouvernement, après avoir ramené son parti au centre-gauche et promis le retour du « sérieux » au pouvoir.
« Le Royaume-Uni peut aujourd’hui ouvrir un nouveau chapitre. Une nouvelle ère d’espoir et d’opportunités après 14 ans de chaos et de déclin », a assuré avant l’ouverture du vote ce député entré en politique il y a seulement neuf ans, exhortant les Britanniques à aller aux urnes. Les bureaux de vote ont ouvert à 7H00 (6H00 Gmt) pour fermer à 22H00 (21H00 Gmi). Des premières estimations sondages donneront une idée du résultat dès la clôture, avant que les résultats ne tombent jusqu’au petit matin.
Majorité historique ?
Quelque 46 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour renouveler les 650 sièges de la Chambre des Communes. Chaque député est élu par un scrutin uninominal à un tour, ce qui favorise les grands partis. Quelle sera l’ampleur de la victoire travailliste et de la défaite du Premier ministre Rishi Sunak, incapable de créer une quelconque dynamique après 20 mois en poste ? Comment va se traduire dans les urnes la percée du parti anti-immigration et anti-système Reform UK, porté par l’ancien champion du Brexit Nigel Farage ?
Dans les sondages, les travaillistes caracolent à 40% en moyenne des intentions de vote contre 22% aux conservateurs, 16% pour le parti nationaliste Reform et 10% pour les libéraux-démocrates (centristes). Selon la dernière projection en sièges de l’institut YouGov, cela se traduirait par 431 députés pour le Labour contre 102 aux Tories – une majorité sans précédent au Royaume-Uni depuis 1832, sondage qui fait la Une du Times. Les Lib-Dem remporteraient 78 sièges et Reform trois, permettant à Nigel Farage d’entrer au Parlement après sept tentatives infructueuses.
Pluie et gaffes
Pour Rishi Sunak, cinquième Premier ministre conservateur en 14 ans, ces élections marquent la fin d’une campagne qui a tourné au chemin de croix. Il avait pourtant tenté de prendre l’initiative fin mai, en convoquant les électeurs en juillet sans attendre l’automne comme anticipé. Mais une fois dissipée l’image désastreuse d’une annonce sous une pluie battante et sans parapluie, son parti a paru pris de court.
L’ancien banquier d’affaires et ministre des Finances de 44 ans a accumulé les gaffes et semblé manquer de sens politique, écourtant sa présence aux célébrations du 80e anniversaire du Débarquement en Normandie et tardant à réagir aux soupçons de paris frauduleux dans son camp sur la date des élections. Sa stratégie a surtout consisté à accuser les travaillistes de vouloir augmenter les impôts, puis ces derniers jours à avertir des risques d’une « super majorité » qui laisserait le Labour sans contre-pouvoir, admettant de facto sa défaite. En face, Keir Starmer a mis en avant ses origines modestes – mère infirmière et père outilleur – contrastant avec son adversaire multimillionnaire. Pour couper l’herbe sous le pied des attaques de la droite et faire oublier le programme dispendieux de son prédécesseur à la tête des travaillistes Jeremy Corbyn, il a promis une gestion des dépenses publiques très rigoureuse, sans augmentation d’impôts.
Il compte sur une stabilité retrouvée, des interventions de l’Etat et des investissements dans les infrastructures pour relancer la croissance, ce qui doit permettre de redresser des services publics en déclin depuis l’austérité du début des années 2010. Il veut se montrer ferme sur les questions migratoires et se rapprocher de l’Union européenne – sans la rejoindre. Mais il a déjà prévenu ne pas avoir de « baguette magique » et les Britanniques se montrent, dans les sondages, sans illusion sur les perspectives de changement. Si sa prudence lui a parfois valu des accusations de manquer d’ambition, elle a permis au Labour d’engranger des soutiens dans les milieux d’affaires et dans la presse étiquetée à droite. Après le quotidien Financial Times ou le magazine The Economist, c’est le tabloïd The Sun qui a appelé mercredi à voter travailliste. « Le temps du changement est venu », affirme le journal populaire détenu par le magnat Rupert Murdoch et dont le basculement pour le Labour en 1997 s’était révélé crucial pour la victoire de Tony Blair.