Par Serge Aimé Bikoi
A l’occasion de la rentrée solennelle de la cour suprême tenue le 22 février 2023 à Yaoundé, la presse était à la barre de la haute juridiction. Daniel Mekobe Sone, le premier président de la Cour suprême, a saisi cette opportunité pour fustiger les déviances observées dans la pratique du métier de journaliste et les dérives sur les réseaux sociaux. Depuis des années, des journalistes de la presse écrite, des stations de radios et des chaînes de télévisions à capitaux publics et privés ont toujours été au banc des accusés relativement à la pratique du journalisme en commandite ou du journalisme embarqué. Mais jusqu’ici, le gouvernement camerounais et les patrons de presse, acteurs qui ne sont pas, eux-mêmes, blancs comme neige, éprouvent des sérieuses difficultés à enrayer les tares et scories qui aiguillonnent l’environnement médiatique local.
La presse est à l’image de la société moderne, qui est un instrument de manipulation des masses sociales. Les journalistes -tous médias confondus- sont le reflet, mieux le prototype de l’environnement social qui, à travers une puissance coercitive et impérative, les façonne, les conditionne et les modèle au gré des principes normatifs en vigueur et du jeu d’intérêts et des lobbies divers. Depuis des décennies, l’on est sorti de la pratique journalistique suivant les canons universels des sciences de l’information et de la communication dispensées dans les écoles de journalisme d’ici et d’ailleurs. Le reportage, l’enquête, le compte-rendu, genres factuels, ont, progressivement, disparu des contenus rédactionnels de la presse nationale. Toute chose ayant ouvert les vannes de la prolifération des genres d’opinion : commentaire ; analyse; chronique ; éditorial ; etc. Ce qui est dommageable dans la focalisation sur ces genres d’opinion, c’est que des scribes basculent, sans coup férir, dans l’insulte, l’invective, la délation, la dénonciation calomnieuse, la diffamation, ainsi que dans l’acharnement et le chantage. Pourtant, quand bien même vous vous décidez à broder un article d’opinion, efforcez-vous d’agglutiner l’argumentation sur les faits et rien que sur les faits ! Mais hélas !
En 2004, il y a eu ce qu’il est convenu d’appeler “Le journalisme des listes”. Une sorte de pratique journalistique axée sur l’énumération des noms des personnalités publiques accusées à tort ou à raison ou, du moins, soupçonnées d’avoir commis telle ou telle déviance. Le promoteur du groupe L’Anecdote est l’un des précurseurs de la fondation du “journalisme des listes”. Jean Pierre Amougou Belinga avait, à l’époque, publié le top 50 des présumés homosexuels. Dans le contenu de cette parution, les professionnels de l’information avaient, vainement, cherché les faits témoignant de la qualification de telle figure publique d’homosexuelle. Ils avaient, vainement, cherché à savoir quelle est l’enquête déterminée qui avait été menée pour aboutir à la stratification de cette liste des présumés homosexuels. Peine perdue ! Des noms des ministres de la République, des parlementaires, des élus locaux, des journalistes, des artistes-musiciens, avaient, entre autres, constitué l’ossature du top 50 des présumés homosexuels.
Comme si cela ne suffisait pas, Dieudonné Mveng et Biloa Ayissi, respectivement Directeurs de la publication des journaux “La Météo” et “Nouvelle Afrique”, étaient aussi montés au créneau et avaient emboîté le pas à Amougou Belinga. Ces deux patrons de presse avaient dressé ce qu’ils avaient alors appelé “Voici la vraie liste des présumés homosexuels !” Alors, le distinguo entre le top 50 des présumés homosexuels de l’hebdomadaire L’anecdote et les autres listes publiées par les hebdomadaires La Météo et Nouvelle Afrique se situait dans l’insertion des noms de certaines personnalités publiques que J.P. Amougou Belinga avait éludés. Comme pour dire qu’il avait évité, délibérément, de citer les noms de ses amis membres du gouvernement. Question de les couvrir, clamaient-ils. Mveng et Biloa Ayissi avaient donc contre-attaqué Amougou Belinga, en ajoutant, dans leur énonciation, les noms de ces membres du gouvernement. Ceux et celles qui avaient découvert ces listes dans lesdits journaux avaient bien débusqué cette malice née du jeu d’intérêts des trois Directeurs de publication.
Au bout du compte, certaines personnalités publiques citées dans le top 50 avaient assigné les patrons de L’Anecdote, de la Météo et de Nouvelle Afrique en justice, mais ce contentieux s’était enlisé quelques années plus tard. Au bout du compte, personne n’avait été épinglé, encore moins inquiété. Aucune preuve matérielle témoignant de ce que ces Hommes publics sont présumés homosexuels n’avait été présentée. Au finish, ce n’était que du journalisme de listes de chantage, de la diffamation et de l’invective. Peut-on compter combien de familles desdites personnalités citées avaient été ébranlées et choquées ? Ces patrons de presse savent-ils quelles sont les conséquences néfastes la publication de ces listes avait entraîné en termes d’étiquetage, de marquage, de stigmatisation et de labellisation ? L’on se souvient qu’un ancien maire de la commune de Matomb, dans le département du Nyong et Kellé, région du Centre, dont le nom avait figuré dans le top 50 des présumés homosexuels, avait été victime d’un Accident vasculaire cérébral (Avc). C’était, juste, après le constat de son nom sur cette liste Quelques mois après, il s’était retiré de la scène politique. Sa progéniture ébranlée et offusquée ne comprenait pas pourquoi et comment le nom de son pater familia s’était retrouvé dans le top 50. Que de personnalités publiques couvertes d’opprobre et de discrédit ! Que de familles brisées ! Que de réseaux de sociabilité désunis ! Que de stéréotypes péjoratifs collés à ces figures de la scène publique ! Que d’images négatives marquées sur ces dernières !
Pendant ce temps, la société camerounaise, engluée dans une joie populiste et fantasmagorique, voire dans une allégresse cathartique, avait arraché ces journaux, ainsi que les photocopies des listes des présumés homosexuels comme des bouts de pains. Bien de personnes non aguerries en matière de journalisme n’avaient pas posé la question de savoir si le top 50 des présumés homosexuels était marqué du sceau de la crédibilité, de la véracité et de la fiabilité.
Mais, elles ont, de manière émotive, voire passionnelle, préféré s’enjailler et se réjouir de la présence de tel ou de tel autre sur ces listes sans même opérer la critique des sources, sans même opérer une distanciation critique avec les listes exposées, sans même faire preuve d’une rupture épistémologique au sens bachelardien avec cette affaire des présumés homosexuels. C’est cette même foule qui ne pense pas, qui ne réfléchit pas, qui est, a fortiori, régie par l’émotion, la passion et les affects, qui avait catalogué, étiqueté, marqué, stigmatisé et hué un membre du gouvernement qui avait versé les larmes au tribunal cette année-là devant son épouse. Où est donc passé le doute méthodique ou le doute cartésien pour questionner, de manière épistémologique, ces listes des présumés homosexuels ? Près de 20 ans après, cette question est, malheureusement, restée sans réponse. Hélas !