Par Joel Onana
Le communiqué du ministre camerounais des Finances Louis Paul Motaze du 6 mars n’a pas totalement levé l’équivoque. Tout juste annonçait-il le calendrier du processus de désengagement partiel de l’État du capital de la Commercial Bank Cameroun (Cbc). « Les offres fermes des repreneurs potentiels sont attendues dans les prochaines semaines au ministère des Finances », précisait le ministre. Une semaine plus tard, Rothschild & Co organisait des « management présentations », du 12 au 18 avril, à Paris. Pour ces séances de présentation de la banque à des acheteurs potentiels, dans le cadre du processus de cession, le conseiller financier de l’État dans cette opération a fait venir dans la capitale française, une délégation composée du management de la Cbc, comprenant entre autres son président du conseil d’administration, Alfred Tiki, et son directeur général, Léandre Djummo, ainsi que Sylvie Marie-Louise Eyeffa Ekomo, la directrice de la coopération financière et monétaire au ministère des Finances (Minfi).
Le schéma de cession contenu dans le plan de restructuration prévoit en effet que 51% des parts soient revendus à un partenaire stratégique, 30% des parts seront placés à la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (Bvmac), ce avant la fin de l’année si l’on s’en tient au calendrier indiqué par Louis Paul Motaze. L’État du Cameroun ne conserverait que 17% et le reliquat de 2% sera conservé par la compagnie d’assurance Allianz Cameroun.
Parmi les investisseurs intéressés présents dans la capitale française, le nigérian Access Bank, qui entend consolider sa présence au Cameroun, après le démarrage de ses activités il y a trois mois et fait main basse sur Standard Chartered Bank Cameroon. Son compatriote Zenith Bank n’est pas en reste. Présent également en Afrique du Sud, en Sierra Leone, au Ghana, au Nigeria, au Royaume-Uni et aux Émirats arabes unis, le second groupe bancaire nigérian a des visées en Afrique francophone, notamment en Côte d’Ivoire et au Sénégal. L’ouverture prochaine d’une filiale en France pourrait accélérer son implantation dans cette zone du continent ; et l’opportunité du rachat de Cbc lui offre l’occasion de planter son drapeau au Cameroun en brownfield, en profitant d’un réseau existant. Une option qui plaît également au groupe ivoirien de bancassurance Nsia, fondé par Jean Kacou Diagou, déjà présent sur le marché national dans le compartiment assurance.
Vente par ouverture du capital
Les rencontres de Paris ont délibérément esquivé de potentiels investisseurs locaux. Si bien que des interrogations se font jour sur une volonté délibéré du conseiller financier de l’opération – imposé par la présidence de la République – de céder le joyau à des étrangers. Ce d’autant que Rothschild n’échappe pas déjà au procès de vouloir sous-estimer la valeur de l’établissement de crédit, en omettant volontairement de tenir compte des réserves facultatives constituées au fil des années et qui auraient la vertu d’accroître la prime d’émission.
De plus, l’abandon pour l’instant d’une cession par ouverture du capital – et donc une hausse de celui-ci – afin d’éprouver l’engagement des prétendants à la reprise, ne rassure pas tous les acteurs impliqués dans ce projet. En effet, l’objectif de départ est la vente de la banque par ouverture du capital pour faire passer celui-ci de 24 milliards de Fcfa à 50 milliards de Fcfa. Cette option est celle que défendent les investisseurs nationaux qui se sont manifestés dans le rachat des actions mises en vente par l’État.
Des manifestations d’intérêts locales
Pourtant, quoiqu’informelles, des manifestations d’intérêt n’ont pas manqué de se faire jour au Cameroun. C’est le cas de Samuel Foyou qui a obtenu l’agrément d’Africa Golden Bank il y a sept mois et souhaiterait faire main basse sur le réseau des 21 agences de cet établissement de crédit, pour accélérer son arrivée dans le secteur. Ce qui lui éviterait de démarrer son activité bancaire en greenfield. Egalement en embuscade, Cyril Nkontchou, par l’entremise d’Enko Capital, son véhicule d’investissement présent notamment sur le marché financier de la Cemac. Albert Kouinche, fondateur d’Express Union, longtemps leader dans le transfert physique d’argent, saisirait cette opportunité pour s’introduire dans la banque. Une aubaine aussi pour la CBC qui pourrait tirer avantage du maillage territorial de cet établissement pour étendre son réseau.
Les autorités camerounaises seraient-elles disposées à tendre l’oreille avant la fin du processus, afin d’accroître la présence nationale dans un secteur aussi sensible que stratégique ? Car rien ne garantit que l’essentiel de la quote-part devant être introduite en bourse pourrait tomber dans l’escarcelle des Camerounais. Ce qui devrait accroître la présence étrangère dans ce fleuron bancaire que la part minoritaire de l’État ne saurait compenser.