Par Julie Peh
Tout est parti d’un dossier publié le 31 mai dans les colonnes de Cameroon Tribune, quotidien gouvernemental dont Marie-Claire Nnana est la directrice de publication depuis plus de 20 ans. Sous le titre « Paul Biya met fin au conflit », la publication détaille comment le chef de l’État aurait arbitré en faveur d’un compromis entre la Fecafoot de Samuel Eto’o et le ministère des Sports de Narcisse Mouelle Kombi, à couteaux tirés sur la composition du staff des Lions Indomptables. Un papier qui n’a pas du tout été du goût de certains pontes du régime, peu enclins à laisser la fédé dicter sa loi sur ce dossier. Résultat : Marie-Claire Nnana a été convoquée dare-dare par sa hiérarchie pour révéler qui lui avait soufflé cette ligne éditoriale. Un crime de lèse-majesté pour la journaliste qui, malgré sa proximité de longue date avec le cabinet civil de la présidence, semble avoir cette fois franchi la ligne rouge.
En choisissant de s’aligner sur la position de la Fecafoot, Marie-Claire Nnana savait qu’elle prenait le risque de froisser le camp d’en face. Ce qu’elle n’avait sans doute pas anticipé.
Dans le petit monde feutré de la presse gouvernementale camerounaise, les couteaux sont déjà tirés pour succéder à Marie-Claire Nnana, si d’aventure sa tête venait à tomber. Deux noms reviennent avec insistance pour s’asseoir dans le fauteuil de la Sopecam, la société éditrice de Cameroon Tribune : Félix Zogo et Christophe Mien Zock. Le premier, inspecteur au ministère de la Com’ et prof à l’Esstic, école de journalisme de Yaoundé, aurait le profil de l’héritier idéal. Le second, ex de Cameroon Tribune passé à la tête des publications du parti au pouvoir, le Rdpc, a lui marqué les esprits avec un édito musclé exigeant un « traitement politique d’urgence » de la crise Fecafoot-gouvernement. Un tacle appuyé à Samuel Eto’o qui pourrait faire mouche auprès du tout-puissant Ngoh Ngoh, arbitre en dernier ressort de cette valse de prétendants. A moins que ce dernier ne réserve une surprise de son cru.
Au final, l’affaire Marie-Claire Nnana illustre à quel point la presse, même gouvernementale, reste un outil au service des guerres d’influence qui secouent le sommet de l’État. Prise en tenaille entre sa proximité avec le cabinet civil et les injonctions du secrétariat général de la présidence, la patronne de Cameroon Tribune paie aujourd’hui son incapacité à avoir su contenter tout le monde. Un grand écart impossible qui la place désormais sur la sellette, quitte à faire de l’ancienne institution un dommage collatéral de ces bisbilles de pouvoir. Difficile dans ce contexte d’imaginer le quotidien national jouer sereinement son rôle de mise en perspective de la parole publique.